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Marchandages et tripotages autour du Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci

par Jacques Tcharny

Le prix le plus élevé atteint par une peinture est celui du « Salvator Mundi »*, attribué à Léonard de Vinci, vendu 450,3 millions de dollars chez Christie’s à New-York, le 15 novembre 2017.

Nous savions que l’œuvre avait été achetée par le Prince Mohammed Ben Salmane d’Arabie Saoudite. Ce que nous ignorions, c’est que le sous-enchérisseur était le Prince Mohammed Ben Zayed des Émirats Arabes Unis, ce qui fut découvert suite à différentes enquêtes de nombreux journalistes.

Dès lors, lorsque ces derniers demandèrent, indirectement, au Prince Ben Zayed pourquoi il avait enchéri contre son ami Ben Salmane, il leur fut répondu, par le secrétariat, que le Prince ignorait que son ami Ben Salmane s’était porté acquéreur. Soyons clairs : c’est impensable et inimaginable car les deux hommes se connaissent bien, ont les mêmes préoccupations, sont en relations d’affaires et amicales, entre eux et avec le vendeur : l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev, de l’entourage immédiat du président Poutine.
Les trois premiers semblent s’être entrevus peu avant la mise en vente du tableau… Les interrogations sont donc nombreuses. Elles constituent la trame de l’article du journaliste américain Zev Shalev du 2 janvier 2019, auquel nous renvoyons le lecteur.*

Une vente aux enchères historique en 7mn 35s

Cette vente est l’illustration de plusieurs phénomènes 

-La prise en main du commerce artistique du plus haut niveau par des investisseurs privés.
-La transformation du marché de l’art en bourse où tous les excès sont permis, suite à l’afflux de capitaux issus de personnes ayant fait fortune dans le numérique, dans l’industrie des pays émergents, et de la diversification des pétrodollars.
Tout cela sans oublier cependant, un corollaire : l’utilisation d’argent d’origine douteuse.
-Faire de la possession d’œuvres d’art exceptionnelles une preuve de sa réussite personnelle,
-L’attrait irrésistible d’un mythe de l’art et de l’Histoire.

Premier bémol : le tableau devait être présenté au musée du Louvre Abou Dabi, d’après l’annonce faite le 9 décembre 2017. Il n’a jamais été exposé. Aucune explication à ce retard n’a été donnée. A l’heure actuelle, il semble avoir disparu de la circulation : officiellement nul ne sait où il se trouve, même pas son propriétaire.

Olécio partenaire de Wukali

Ce tableau, daté sans discussion du début du seizième siècle, a subi d’innombrables vicissitudes. Ses multiples possesseurs ne sont pas tous identifiés, seulement quelques uns.

Les horribles « restaurations » dont il a souffert l’ont massacré, d’où des difficultés supplémentaires pour juger son autographie.

Autoportrait de Léonard de Vinci ( 1512-1515)
Sanguine sur papier, 33cm/21,6. Bibliothèque royale de Turin

Le débat autour de la peinture est très violent, passionné et lourd de sous-entendus vu le prix atteint. On imagine les conséquences d’un classement définitif de l’œuvre dans le corpus de Bernardino Luini, auquel il fut rattaché de tout temps, au détriment de Léonard de Vinci : des millions de dollars partiraient en fumée ! Ce serait une désastre du type effondrement de Wall Street en 1929, mais cette fois concernant le marché de l’art : c’est la crédibilité des experts et des opérateurs de ventes aux enchères qui est en cause. Les enjeux sont donc énormes, démesurés.

Nous allons analyser le tableau en essayant de n’oublier aucun aspect. Nous le ferons le plus objectivement que nous le pourrons, en dehors de toute polémique partisane. Nous en tirerons nos conclusions. Nous ne nous commettrons dans aucune discussion, ne ferons aucun commentaire sur les opinions des uns et des autres ; le lecteur jugera.



L’analyse technique des pigments est dite : « globalement compatible avec Léonard de Vinci  ». Aucune information particulière n’a été donnée au public : a-t-on utilisé des techniques modernes d’imagerie ? Mystère… Aucune datation n’a été proposée non plus.

Autre inconnu : Léonard étant gaucher, nous aimerions savoir si des coups de pinceau portés de la main gauche ont été repérés sur cette peinture. A notre connaissance, aucune personne habilitée n’a communiqué sur ce sujet.

En premier lieu, interrogeons-nous sur le support en bois de noyer.
La planche fut explosée en plusieurs morceaux qui furent recollés. On ignore où, quand et comment se produisit l’événement, ou les événements. La technique de découpage du bois est actuellement en cours d’analyse : s’agit-il de « déroulage » avec des niveaux de cassures parallèles typiques du seizième siècle, ou de « tranchage » avec les lignes de fractures courbes et mécaniques du dix-neuvième siècle ? Les résultats devraient être publiés en 2019 et devraient inclure une datation. Pour le moment, ce qui est avéré c’est que les photos prises avant remise en état tendent plutôt vers la deuxième possibilité. Mais l’étendue des restaurations est telle qu’elle concerne aussi le support…

Du fait de ces cassures, l’œuvre présente de si nombreux manques qu’on peut la qualifier de « ruine » avant restauration. De véritables estafilades verticales la parsemaient, dans le visage et autour. La chevelure apparaissait effacée, à l’instar des plis des vêtements et du globe terrestre. En vérité, manques et repeints concernent TOUT le tableau, à l’exception partielle de la main bénissant. Le Christ se détache sur un fond sombre entièrement repeint, ce qui étouffe la vision du sujet. Dans ces conditions, il ne s’agit plus de restauration mais de réinvention, de recréation et de reconstitution !
Existent trois dessins avérés de léonard de Vinci qui paraissent en rapport avec notre sujet : une tête de Christ, un vêtement et une main droite. Des repentirs sont visibles de près sur le tableau, de ce fait les experts l’ont rapproché de Léonard.

Maintenant, regardons la peinture. Le visage est vu entièrement de face. Il est totalement fixe, presque rigide. Ce qui surprend chez Léonard, où tout est toujours en mouvement et d’une vie organique évidente, mais pas autant que l’axe de symétrie qui partage cette figure en deux hémisphères égaux ! Ce hiératisme est impensable chez le Maître. D’autant plus que la conséquence se voit immédiatement : la frontalité du personnage représenté. Rien que ces deux considérations excluent toute autographie léonardesque de l’œuvre.

En haut, un détail des yeux du Salvator Mundi comme en 2006/7 après nettoyage et avant repeinture (et tel que publié par Modestini en 2014); ci-dessus, à gauche, le visage, en 2011, et, à droite, comme en 2017. Document Artwatch UK

Continuons notre travail d’analyse : l’absence de profondeur saute aux yeux du spectateur dont le ressenti est de voir une œuvre plate, sans profondeur et sans densité volumétrique. L’œil droit est plus gros que le gauche. Les deux sont globuleux, sans expression, aucune étincelle d’une spiritualité inhérente aux travaux de Léonard ne les anime. Ce visage lourd est inexpressif, morne, inerte. Le cou est mal proportionné. La chevelure est mieux traitée : les boucles sont assez bien rendues mais elles souffrent d’une tare rédhibitoire car elles sont identiques de chaque côté, et aucun souffle ne les anime, or Léonard savait que le mot hébraïque rouah signifie tout aussi bien « vent » que « esprit divin ». Il a joué de cette ambivalence dans nombre de tableaux, notamment dans « Saint-Jean Baptiste » ou dans « La Vierge aux rochers », tous deux au Louvre.

Le traitement du menton quant à lui, est d’une incroyable maladresse, inimaginable chez Léonard. Le poignet et le bras sortent lourdement de la manche, ils ne montrent aucune finesse d’exécution, seulement de la mollesse. Autre détail invraisemblable chez Léonard : le Christ montre des épaules déformées, la gauche étant plus haute que la droite. L’apparence rendue par les plis de l’habit est plate et d’une banalité inepte. Les bordures des plis et des ornements sont bêtement décoratives, descriptives, n’opérant aucun rôle actif. Or, nous savons, depuis longtemps, que tous les éléments d’une peinture de Léonard participent à la vie organique de l’œuvre prise dans son entier.

Quant à la sphère de cristal que porte la main gauche, elle démontre de façon définitive que le tableau n’est pas du Maître : on n’y voit aucune réfraction du vêtement situé derrière l’objet ! Léonard aurait, inévitablement et obligatoirement, pris en compte l’effet de distorsion optique induite des formes.

Maintenant, observons attentivement la seule partie du tableau en partie intacte : la main levée bénissant. Elle est sans consistance, comme les chairs apparentes. Les doigts n’ont aucune vie, sont rabougris. Le record d’absurdité est battu par le majeur qui est dans une position totalement impossible par rapport aux autres : il suffit de tenter la posture pour s’en convaincre !

La raison première du succès de l’art contemporain, c’est que les faux n’existent pas puisqu’on peut demander à l’artiste vivant si l’œuvre proposée est bien sienne. Seuls comptent alors le lobbying, le flair, le matraquage publicitaire et, à un degré bien moindre, le sens artistique.

Il en va tout autrement de ce qui est plus ancien : les faux abondent. L’amateur débutant doit former son goût, se faire aider de spécialistes, d’experts compétents et honnêtes. Il est clair qu’un multimilliardaire a des préoccupations plus immédiates.

Cette peinture est une démonstration de ce que l’on appelle « le rêve éveillé » du monde de l’art : la découverte d’une peinture de l’artiste mythique qu’est Léonard de Vinci.

Cependant le rêve ainsi peut devenir si puissant qu’il finit par faire perdre toute prudence au rêveur, pour finir en cauchemar. Vu le prix vertigineux atteint, l’acheteur a les reins solides. Mais cette catastrophe fera qu’on ne le reverra probablement plus sur un marché de l’art malsain, parce que devenu une bulle spéculative délirante permettant tous les excès… A moins, évidemment, que toute cette affaire ait été montée de toutes pièces ?

C’est là le problème de fond : le marché de l’art est devenue une roulette russe, une formidable machine à spéculer et à créer des bénéfices, parfois autant mirobolants qu’artificiels. Personne ne connaît les origines des fonds de payements. Des institutions, des particuliers richissimes, des fonds spéculatifs, investissent à tour de bras…Sans rien y connaître. Même la haute finance internationale s’y est mise, d’où les risques d’utilisation de capitaux pas propres, donc de coups fourrés et de manipulations, voire de blanchiments d’argent sale.

Qu’en est-il du tableau intitulé « Judith et Holopherne », découvert à Toulouse et dont l’attribution, rien moins qu’aventureuse, au Caravage laisse pantois? On reste confondu, voire choqué, devant cette paternité absurde vu la qualité médiocre de l’œuvre. On comprend bien qu’une adjudication sous un nom aussi prestigieux permettrait d’atteindre un prix mirobolant.

Ce fut le même problème avec ce « Salvator Mundi », pour lequel les soupçons d’embrouilles, multiples et variées se murmurent tellement fort que tous peuvent l’entendre…

*Article initialement publié dans WUKALI le 03/08/2019 sous le titre: Le Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, réalité ou colossale escroquerie financière ?


Extraits de l’article publié par Zev Shalev

L’histoire de Dmitry Rybolovlev est typique de nombreux oligarques russes. Il a fait fortune en tant que mineur de potasse jusqu’à ce que le Kremlin s’intéresse à lui. Il s’installe à Monaco. Il a acheté le luxueux immeuble «La Belle Epoque» en bord de mer, l’équipe de football de l’AC Monaco, 10% de la banque de Chypre et a su se faire un nom dans la principautéEn mars, le Daily Mail a révélé que le contre-soumissionnaire était le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed (MbZ). Les princes ont affirmé qu’ils ne savaient pas que l’autre enchérissait et ils ont qualifié cette affaire d’erreur (…)

Il a également rencontré le marchand d’art suisse Yves Bouvier, à qui il a acheté pour environ 2 milliards de dollars d’art. Rybolovlev a officiellement versé à Bouvier une commission de 2% par tableau, mais il a appris par la suite que le marchand d’art suisse agissait également pour le compte du vendeur, fixant les prix et empochant la marge avec les commissions de l’acheteur et du vendeur.

C’est ainsi que Rybolovlev est devenu propriétaire du Salvator Mundi pour 127 millions de dollars, au lieu de 80 millions de dollars. Les deux hommes se querellent devant le tribunal depuis. Les deux ont été arrêtés. Et Rybolovlev poursuit Sotheby’s pour avoir su et ne pas avoir dit qu’il était en train d’être arnaqué. L’affaire elle-même pourrait être une arnaque: les blanchisseurs d’argent se poursuivent mutuellement pour laver leur argent avec une ordonnance du juge.

Depuis mars 2013, «Salvator Mundi», d’un montant de 127 millions de dollars, est suspendu dans le penthouse de Rybolovlev à New York. Rybolovlev ne voit aucune honte à avoir perdu 47 millions de dollars lors de l’achat du chef-d’œuvre. Ce n’est pas la première fois que quelqu’un l’accuse de payer trop cher.

L’ art du deal

300 millions de dollars. C’est l’incroyable bénéfice réalisé par Rybolovlev sur la vente de Salvator Mundi. 300 millions de dollars, c’est aussi la somme «accidentellement» versée par le prince héritier Mohammed ben Salman (agissant par un intermédiaire) pour l’oeuvre.

Au début, blanchir des centaines de millions de dollars pour un auditoire mondial peut ne pas sembler être la solution la plus intelligente, mais les faits corroborent ces faits, c’est peut-être ce que les deux princes héritiers et Dmitry Rybolovlev ont tenté de faire.

Rybolovlev a mis le chef-d’œuvre aux enchères via Christie’s en novembre 2017. Le prix estimé du lot 9B se situait entre 80 et 120 millions de dollars. Les commissaires-priseurs de Christies ont été stupéfaits lorsque les enchères ont rapidement dépassé les 80 millions de dollars en quelques secondes, puis tout aussi facilement que plus de 130 millions de dollars. Deux enchérisseurs anonymes se surenchérissent continuellement, sans s’arrêter avant d’avoir atteint un prix atteignant 450,3 millions de dollars, ce qui en fait l’œuvre d’art la plus chère jamais vendue aux enchères.

Dans les jours qui ont suivi, le New York Times a découvert que le prince héritier Mohamed ben Salman était le véritable acheteur de ce chef-d’œuvre, mais l’identité du deuxième enchérisseur est restée cachée pendant des mois.

En mars, le Daily Mail a révélé que le contre-soumissionnaire était le prince héritier d’Abou Dhabi, Mohammed ben Zayed (MbZ). Les princes ont affirmé qu’ils ne savaient pas que l’autre enchérissait et ils ont qualifié cette affaire d’erreur (…)

Lire en complément l’article intitulé: Salvator Mundi de léonard de Vinci, un lifting pour 450,3 millions de dollars


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