Retenez tout d’abord le titre de ce roman : Accordez-moi la parole ! Salomé, est mariée a un paysagiste, elle a un très jeune enfant, et a écrit un livre qui a rencontré un grand succès. Alors qu’elle commence l’écriture d’un nouveau roman, elle est contactée, par courrier, par une femme détenue dans une prison et qui souhaite pouvoir expliquer son geste grâce une écrivaine talentueuse qui tiendrait la plume à sa place. Après bien des hésitations, bien des réticences, Salomé finit par la rencontrer et peu à peu un lien profond se tisse entre les deux femmes. Pourtant, rien n’aurait du, à la base, non seulement les faire se rencontrer, mais aussi se comprendre. Car Salomé, à travers leurs rencontres, à travers l’écriture finit par comprendre qui est Raphaëlle.
Raphaëlle, au coeur d’un fait divers qui a fait la une des médias, Raphaëlle, totalement rejetée, à vie, de la société qui l’aurait exécutée si la peine de mort avait été encore appliquée, Raphaëlle qui a essayé de s’expliquer mais qui ne fut jamais écoutée. Il faut dire qu’elle a été accusée et a reconnu sans mal son infanticide. On ne tue pas son enfant « gratuitement », et Salomé, elle l’écoute et essaye de comprendre non la cause mais les terribles causes de ce geste.
Mariée, heureuse, deux enfants, Raphaëlle doit arrêter son travail d’aide comptable qu’elle appréciait pour s’occuper de son troisième enfant, un prématuré. Elle est folle d’amour pour ce petit être, pour son « bébé d’amour », mais, hélas, est victime d’une dépression post-partum quand elle s’est sentie enfermée dans un seul rôle, celui de mère. Et ce d’autant plus que son mari buvait et était de plus en plus absent. On lui retire ses deux aînées, on refuse de l’écouter, de l’aider. Elle continue sa chute dans l’indifférence de son entourage et des services sociaux, jusqu’au jour où elle étouffe son bébé, le laisse sur une plage avec une étoile de mer et rate son suicide par noyade.
Raphaëlle est une détenue modèle, n’espérant plus rien de la vie, totalement ravagée par son acte. Il y a bien le directeur de la prison, Monsieur Vincent, qui pense qu’elle peut sortir, mais elle ne le souhaite pas, consciente qu’elle ne pourra jamais vivre « normalement » après ce qu’elle a fait et surtout à cause de la haine qu’elle suscite chez les autres. D’un côté un être humain avec sa complexité et sa solitude, de l’autre les autres qui ne réfléchissent pas, qui ne veulent surtout pas comprendre, et qui l’ont condamnée à perpétuité.
Dans ce roman, Vinciane Moeschler aborde avec une extrême pudeur le sujet de la mère infanticide, l’un des tabous les plus forts de nos sociétés. Avec le paradoxe, du moins apparent, que Raphaëlle est une mère aimante et elle explique son passage à l’acte comme étant, pour elle, le seul moyen à sa portée pour sauver, préserver son fils. Le tuer pour le protéger, comme elle la société, sa famille n’ont su la protéger. Et le lien qui se crée entre les deux femmes, lien basé sur la compréhension (et non sur l’absolution) le lecteur le ressent et finit par le partager. Comment ne pas vouloir protéger Raphaëlle dans l’enfer dans lequel elle est plongée et d’où, elle le sait, elle ne pourra jamais sortir.
Ce texte est d’autant plus fort que le style de Vinciane Moeschler, fait de phrases très courtes, avec une mélodie propre à la poésie en prose (car c’est une sorte de poésie qui est offerte à notre lecture) est d’une grande précision. Elle nous berce comme le bruit des vagues de l’océan à la marée montante : des allées et venues, une progression que rien ne peut arrêter avec une mélodie bien particulière. Cela fait longtemps qu’une telle perfection, une telle minutie dans l’écriture m’ont frappé à ce point.
Accordez-moi la parole !
Vinciane Moeschler
éditions Mercure de France. 19€80
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