A famous American cartoonist
Au début des années 1930, une floraison merveilleuse transfigura la BD américaine, avec les débuts d’un quatuor de dessinateurs hors-pair qui marqueront l’histoire du neuvième art : [**Milton Caniff*] ( Terry et les pirates), [**Alex Raymond*] ( Flash Gordon, Jungle Jim, Secret Agent X-9), [**Burne Hogarth*] qui reprendra Tarzan en 1937, bande dont le créateur graphique fut [**Harold Foster*] en 1929. Mais vite insatisfait de ne même pas connaître le scénariste anonyme dont il recevait le scénario, Foster créa une nouvelle série appelée à devenir universellement connue:« Prince Valiant au temps du roi Arthur». Il devait la réaliser seul pendant près de trente ans, sauf pour le lettrage confié à un spécialiste. Puis il eut des assistants avant de se retirer vivre une retraite paisible, en 1971. Il continua à fournir le scénario au successeur qu’il avait formé, jusqu’en 1979.
Comme écrit plus haut, il fut le premier dessinateur de Tarzan en BD. Mais c’est la série Prince Valiant qui lui ouvrira les portes du succès auprès du grand public. Foster recevra de nombreux prix tout au long de sa vie Reuben (1958), Té d’argent ( 1976), Clé d’Or (1978)…
L’histoire est censée se dérouler dans un cinquième siècle légendaire mais nombre de personnages et d’événements ne collent pas : un jour un musulman se prosterne en direction de La Mecque alors que le prophète de l’Islam ne naîtra que 150 ans plus tard ! A un autre moment, nous voyons une procession de bateaux s’apprêtant à invoquer le dieu Poséidon, alors qu’à cette époque là il y avait belle lurette que la mythologie gréco-romaine était oubliée…
Plus loin le dernier génie militaire romain, le général Aétius, est assassiné à Rome sur ordre de l’Empereur du temps, devant Prince Valiant et ses amis chevaliers Gauvain et Tristan. L’Empereur sera immédiatement tué par les partisans d’Aétius…Mais dans la réalité plus de 20 ans s’écouleront avant que cela se produise.
Publiée dans le monde entier, dans d’innombrables langues, la renommée de la série rendit familier le nom de l’artiste à tous ses lecteurs. On dit souvent que le héros d’un livre peut faire oublier son auteur ( comme celui d’Arsène Lupin qui renvoya aux oubliettes celui de son créateur [**Maurice Leblanc*]). A partir de Foster, la BD de qualité provoquera l’effet inverse : certes Prince Valiant éclipsa son inventeur dans un premier temps mais, très vite, le nom de Foster devint célèbre et, aujourd’hui, c’est celui de l’artiste qui arrive d’abord, même si l’un est le complément de l’autre.
Sa jeunesse dans les grands espaces nordiques d’un Canada disparu l’a profondément marqué : elle imprègne l’ambiance de « Prince Valiant », collant littéralement à la peau du héros, comme des personnages récurrents et secondaires. La nature tient une place exceptionnelle dans Prince Valiant. Ce sont les souvenirs d’enfance du dessinateur.
Le dessin de [**Foster*] est d’un réalisme certain : intransigeant pour les « seconds rôles » et idéalisé pour les personnages principaux. Le soin méticuleux qu’il apporte à la composition de chaque case ne connaît aucun relâchement. Sa narration est traditionnelle : à l’instar d'[**Alex Raymond*] dans Flash Gordon ou de [**Burne Hogarth*] dans Tarzan, il n’utilise pas les bulles, pourtant invention typique de la BD américaine. On remarquera que Prince Valiant a été dessiné, dès le départ, en vue de l’édition des « funnies » : les planches du dimanche. Il n’existe pas de bandes quotidiennes de Foster.
Chaque case est très travaillée : esquisse à la mine de plomb poussée, encrage avec des noirs d’encre de Chine profonds, création de gris en hachures et utilisation des blancs, laissés sur le support, comme éléments constitutifs de la planche. Cette dernière nécessitait entre 53 et 55 heures de travail par semaine.
Un des aspects les plus étonnants de la série, c’est que les scénarios de Prince Valiant sont exceptionnellement bien préparés : pour la première fois dans le neuvième art ce sont les différentes périodes d’une vie, celle du personnage principal qui vieillit. Marié avec la divine Alèta depuis le 10 février 1946, il auront 4 enfants et, au moment de la retraite de Foster, Prince Valiant est devenu un quadragénaire bien portant. Son fils aîné, Arn, est alors plus âgé que lui au début de ses aventures.
Car Prince Valiant voyage énormément : né dans un royaume de Thulé imprécis, situé vaguement quelque part sur les côtes du nord de la Norvège, il descendra au sud jusqu’aux côtes africaines, tandis que son parcours d’est en ouest l’entraînera de l’Asie centrale jusqu’aux grands lacs américains, que Foster connaissait parfaitement. Nul dessinateur ne connaît mieux que lui tous les détails de la pêche individuelle, à la mouche ou autre ; ou bien comment diriger ou réparer un bateau de bois. Le moindre détail est étudié, pesé, intégré de telle manière que l’aventure coule de source.
Naturellement le tempérament du héros change avec le temps, d’autant plus qu’il apprend très vite. Mais il n’a rien de la perfection que l’on serait en droit d’attendre d’un chevalier de la Table ronde. Ses défauts sont légions : il est rancunier, coléreux voire violent, d’ailleurs le magazine satyrique US « Mad » en fera une caricature intitulée : « Prince Violent ».
Aucune prise de tête chez Prince Valiant : l’époque est celle des invasions en Europe, pour survivre on tue pour ne pas être tué. Si l’ennemi était resté chez lui, il serait encore vivant ! Les coupeurs de cheveux en quatre n’ont pas leur place dans l’histoire. Si Prince Valiant est l’homme sain par nature, courageux et loyal, ses adversaires sont, le plus souvent, des despotes sadiques ou des hypocrites sournois dotés d’une intelligence dévoyée.
Mais la motivation profonde des actes de notre héros est à rechercher dans son rôle auprès de son suzerain. Le lecteur doit toujours garder en mémoire que Prince Valiant est, avant tout, un chevalier du roi Arthur ayant sa place à la Table Ronde. Ce qui implique droits et devoirs. Même Alèta, sa femme aimée, en fera les frais un jour qu’elle voulut l’empêcher de partir en mission pour le compte de son suzerain : « Ne te mets jamais en-travers des devoirs d’un chevalier de la Table Ronde » lui asséna-t-il.
Au fur et à mesure de la lecture, il est facile de comprendre que Foster suit l’actualité internationale : les Huns envahissent cette Europe médiévale en formation, massacrant et pillant, détruisant tout sur leur passage. Qu’est-ce à dire ? En argot américain les Huns désignent les Allemands. Et nous sommes en 1939/40….La position de l’artiste est explicite : il en appelle à l’intervention américaine.
On a beaucoup négligé l’apport des « cartoonists » au débat qui secouait alors une société américaine profondément divisée et repliée sur elle-même : tous ceux qui ont du talent prennent fait et cause pour les alliés, surtout pour le Royaume-Uni après la chute de la France. Que l’on en juge : si Prince Valiant arrête les « Huns » dès 1939/40, [**Hogarth*] dessine une aventure de Tarzan où l’homme-singe écrase une expédition nazie en Afrique en 1942. Les membres de ce commando, des Allemands et des Japonais, sont plus hideux et immondes les uns que les autres. Quant à [**Alex Raymond*], il envoie Jungle Jim combattre les Japonais avant de rejoindre lui-même le corps des marines en 1944! [**Milton Caniff*], pas en reste, transforme son héros adolescent Terry en adulte : il devient aviateur dans l’Air Force opérant dans le Pacifique, et il crée « Male Call », bande dessinée spécialement conçue pour les Marines.
Mais le sommet du genre est réalisé par Superman : il démantèlera le mur de l’Atlantique dès 1943…Ce qui provoquera cette réaction, caractéristique d’un [**Goebbels*] écumant de rage et de colère au Reichstag : « Superman est juif !».
Prince Valiant est, parfois, surprenant et quelque peu ridicule : ainsi, écœuré par le sang versé lors d’une terrible bataille, il jette son épée à l’eau …. Apparaissent alors de nouveaux ennemis décidés à l’occire. Il est obligé de se jeter à la mer pour récupérer son arme ! L’humour, discret, est donc une constante de l’histoire.
Le fantastique est présent dans la série, d’abord et avant tout parce que Prince Valiant était lié avec Merlin, et surtout jusqu’à la rencontre du héros avec sa future épouse Alèta, la Reine des îles embrumées, (le 2 février 1941) : à peine adolescent, son chemin croise celui de la sorcière Horrit qui lui prédit un avenir de gloire sans bonheur. D’innombrables animaux monstrueux veulent le dévorer : lézard préhistorique, crocodile gigantesque, tortue antédiluvienne. Il ira jusqu’à vouloir lutter avec un vieillard chenu qui incarne le temps, dans une caverne où tous les trésors perdus des civilisations disparues s’entassent, et devant laquelle l’accueille une étrange magicienne…Il perdra et l’expérience n’en sera jamais oubliée.
La saga de Prince Valiant, rêvée, matérialisée et ordonnée par l’alchimiste Harold Foster est une chanson de geste à la gloire de temps héroïques (l’Europe des grandes invasions) où la vie était rude. Elle chante les louanges d’un monde qui n’est pas vraiment le nôtre : c’est une épopée mettant en scène les prouesses légendaires d’un chevalier nommé Prince Valiant.
La vérité, on le sent bien, ne réside pas dans une succession d’exploits. Elle est dans le renouvellement permanent du miracle de la vie : celle du héros, de ses proches, de ses comparses, de la faune et de la flore, de la splendeur d’un monde où le danger est partout. Tout y est « atrocement beau » (…) .
**Nous encourageons le lecteur intéressé à lire, en partie au moins, cette saga admirable. Les éditions françaises de qualité sont nombreuses : SERG, Futuropolis, Slatkine et Zenda ( la seule complète et en couleurs).
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WUKALI 01/04/2018)]