Famous among the other famous Belgian cartoonists!
[**Raymond Macherot*] ( 1924-2008) : auteur belge de bande dessinée. Originaire de [**Verviers*] il était enfant unique, issu d’un père cheminot gravement blessé pendant la première guerre mondiale qui devait décéder lorsque Raymond avait huit ans. Sa mère fabriquait des corsets et soutien-gorges qu’elle vendait elle-même. Sa grand-mère lui racontait de fabuleux contes. Lecteur de Robinson et de Junior, journaux de BD de l’époque, il fut marqué par [**Harold Foster*] ( Prince Valiant), [**Alex Raymond*] ( Flash Gordon) et [**Milton Caniff*] ( Terry et les pirates), les grands classiques de la BD américaine. Mais la lecture qui le frappa le plus, et qui eut le plus d’incidence sur lui, ce fut « L’île au trésor » de[** Stevenson*] et son adaptation au cinéma avec [**Wallace Berry*] dans le rôle principal.
Après l’exode de mai 1940 qui l’entraîna jusqu’à Toulouse, il rentra à Verviers. A la libération de la [**Belgique*], en septembre 44, nous le retrouvons agitant les drapeaux alliés sur une grande avenue de [**Verviers*] où toute la jeunesse locale, impatiente, attendait les chars des libérateurs…Malheureusement, ce qu’ils virent ce sont les SS allemands en fuite utilisant tout ce qui pouvait rouler !
Il s’engagea un an dans la Royal Navy, en février 45, reçut sa formation en Angleterre puis se retrouva matelot sur un dragueur de mines de l’Escaut.
Rendu à la vie civile, il hésitait entre journalisme et peinture. Rencontrant [**Jacques Martin*], (homonyme sans aucun rapport avec l’homme de télévision), habitant alors Verviers, qui venait de créer Alix pour le journal [**Tintin*], il s’oriente vers la BD humoristique car sa manière de dessiner ne s’accorde pas avec un grand réalisme. Formé au neuvième art par le studio de dessin des [**éditions du Lombard*], il crée la série « Chlorophylle » en 1954 : il a trouvé son style !
Revenons à la série [**Chlorophylle*] : le graphisme de Macherot, adepte du dessin à la plume, apparaît simple, direct, ouvert, franc.. Pas de complication, pas de circonvolution cérébrale….
Torpille la loutre, dans les deux premiers albums intitulés : « [**Chlorophylle contre les rats noirs*] » et « [**Chlorophylle et les conspirateurs *] », est un personnage au tempérament rabelaisien tandis que le lérot-détective Chlorophylle ne renonce jamais, entêté, intelligent mais imbu de lui-même malgré ses affirmations d’humilité : « vous trouverez en moi un chef expérimenté, intelligent, débrouillard….Et je suis modeste ! », phrase qui provoque, pour toute réponse, cette seule onomatopée de Torpille : « hum ! »…
Une sorte d’obsession alimentaire poursuit les bêtes issues du monde de Macherot, surtout les carnivores mais les autres aussi. Doit-on remonter aux restrictions de l’occupation allemande ? S’agit-il de quelque chose lié au tempérament et au caractère du créateur ? N’en ayant jamais parlé avec lui, la réponse m’est inconnue. Tout ce que je puis certifier, c’est qu’il aimait la bonne chère.
Jusque là, on peut parler d’un début de série prometteuse mais, en aucun cas, d’une ouverture sur un monde personnel unique….Alors vint « [**Le Bosquet hanté*] ». Cette « historiette de rien du tout » complétait le troisième tome des aventures de nos héros : « Pas de salami pour Célimène ». Elle passa totalement inaperçue à l’époque… Première manifestation de l’incompréhension de ce que portait en lui l’auteur… Même auprès de ses confrères.
L’argument en est le désir de Chlorophylle et Minimum de partir en vacances. Suivant une carte routière, ils se dirigent vers un lac mais, surpris par un orage, ils s’enfoncent dans un bosquet… Nulle trace de présence…Inopportunément, ils sont entrés dans un bosquet hanté !… La suite doit être découverte par le lecteur…
Cette aventure est le sommet de sa période champêtre. A la fois ballade en campagne et bouffée d’air, elle est marquée de l’humour, de la poésie naturelle de l’auteur, toujours sous-jacente, de la tendresse dont il fait preuve pour tout ce qui vit sans chercher à nuire à autrui… La petite voiture à ressort, le ciel bleu, le soleil brillant, l’herbe verte…Le bonheur…Tout cela illumine ce récit charmant où le lecteur ravi replongera toujours avec un brin de nostalgie…Celle de l’enfant qu’il fut, il y a longtemps…
Mais, pour la première fois, apparaît un élément nouveau dans l’alchimie inventive de Raymond : le fantastique, qui deviendra vite partie intégrante de son œuvre.
L’auteur n’a jamais voulu vivre à[** Liège*] ou à [**Bruxelles*], préférant la vie au rythme des saisons dans la nature plutôt que l’enfermement infernal des villes. Son rêve d’ailleurs était permanent. A tel point qu’il n’aurait pas été surpris si « un corbeau à la belle cravate avait sonné à sa porte »…Et lui d’ouvrir la clenche et de « voir l’animal se découvrir de son chapeau obsolète, datant des années 1900/1920… avant de lui proposer un achat ». Comme il me le dit un jour…
Passer de l’autre côté du miroir… Il l’a espéré toute son existence sans vraiment y croire… A sa manière, il comprenait la théorie quantique des cordes… Une évidence pourtant, dont peu de commentateurs de son travail ont parlé : il était pataphysicien dès les années 60. Rappelons la définition de ce mouvement intellectuel qu’en donnait l’éminent membre du collège [**Boris Vian*] : « la pataphysique est à la métaphysique ce que la métaphysique est à la physique ».
Macherot était apprécié dans le petit monde de la BD de l’époque, qui n’était qu’une petite chapelle de village et pas encore la grande cathédrale d’une mégapole. Mais si son succès lui a permis de vivre, cela n’a jamais été au-delà, a contrario de [**Franquin*], [**Roba*] ou [**Peyo,*] pour citer des noms de sa génération.
Soudainement, Raymond décida d’expédier ses héros dans un monde où l’homme n’existe pas, où l’animal a pu évoluer et créer une civilisation bien à lui… Il dessinera alors deux albums pour exploiter, à peu près, toutes les implications de cette idée : « [**Les croquillards*] » et « [**Zizanion le terrible*] ». Le premier album nous présente cet univers où les Messieurs portent des fixe-chaussettes, où l’automobile date de la Belle époque, où les trains fonctionnent à la vapeur avec mécano et machiniste… Où nos héros retrouvent l’abominable Anthracite devenu une notabilité qu’ils devront démasquer… Le lecteur attendri ne peut qu’approuver ce qu’il voit…
Jusque là, la série « Chlorophylle » avait été pré-publiée dans le journal « Tintin » avant d’être éditée en album individuel par les [**éditions du Lombard*], avec l’approbation du patron, [**Monsieur Leblanc*]. Un succès d’estime s’en était suivi, sans entraîner le grand public. Cette fois, le patron censura toute idée, toute volonté de publication de ces deux histoires qu’il détestait. Offense inacceptable, camouflet envers le créateur, qui devait s’en souvenir quelques années plus tard quand il passa chez le concurrent direct du Lombard : les[** éditions Dupuis*], propriétaire du journal Spirou, le challenger du journal Tintin.
Ce rejet devait marquer du sceau de la méfiance toute la production postérieure de l’artiste au Lombard. On en publia bien quelques unes ( Le retour de Chlorophylle, La revanche d’Anthracite- Chloro joue et gagne) mais en édition brochée, secondaire donc dans l’ensemble des collections du Lombard, et qui ne rapportèrent que peu d’argent à l’artiste… La série fut reprise par différents scénaristes et dessinateurs qui furent incapables de maintenir le niveau atteint par Macherot… Elle sombra dans l’anonymat dès les années 70…
Avec « Le retour de Chlorophylle », où le héros et son partenaire Minimum regagnent le monde d’avant « Les croquillards », la vedette (comme le nom de la collection où l’album fut publié) passe à un personnage secondaire : le muscardin Mironton, dont l’épouse, la bien appelée Mirontaine, fait évoluer la gente féminine vue par l’auteur : « son extraordinaire intuition féminine » ne l’empêchant pas d’assommer, à coups de gourdin, son mari qu’elle avait pris pour un voleur. On approche du personnage de Sybilline…
La protestation générale des « fans de BD », eux qui commençaient à avoir du poids vis-à-vis des éditeurs, fit que, du bout des lèvres, fut publiée une histoire, détestée elle aussi par le patron : « Le Furet gastronome », en 1970 et en broché. On y retrouve la verve campagnarde, la poésie de la nature, la joie de vivre et la recherche apaisante du bonheur de Macherot… Malgré tout cela, un je-ne-sais-quoi d’inachevé imprègne l’esprit du lecteur en refermant le livre… Il est temps pour Raymond de changer d’air. Il rejoint alors l’équipe de Spirou avec un chef d’œuvre qui sera le drame de sa vie parce qu’incompris, même par ses copains dessinateurs : «[** Chaminou et le Khrompyre*] ».
Cette histoire se déroulant dans un univers assez moderne, satire des polars américains, mettant en scène un détective au style incompatible avec celui de Philipp Marlowe, en un pays appelé Zoolande où le bon roi, le lion Léon XXXVIII, civilise de force ses sujets, furent-ils des carnivores, est un OVNI dans le monde de la BD.
Chaminou est un chat élégant, tiré à quatre épingles, au costume gris perle impeccable, au chapeau haut-de-forme vigoureux, au monocle fuyant, en contact direct avec « les hautes sphères dirigeantes » puisqu’il peut téléphoner au roi et le déranger…. Même dans son bain ! Il est affublé d’une secrétaire parfaitement idiote, zozotant autant qu’elle fume : Zonzon, parodie des blondes platines de la grande époque d'[**Hollywood*]… Cette histoire tourne au jeu de massacre car l’auteur s’y déchaîne à chaque instant, ridiculisant la mythologie cinématographique du polar, la hiérarchie des genres comme celle des héros… La notion d’ordre y étant, pour le moins, malmenée. Ce n’est plus du deuxième, ni du troisième mais plutôt du dixième degré !
Un petit détail « croustillant » : le titre de « Chaminou et le Khrompyre » provoque une réaction pavlovienne dans l’esprit du lecteur, qui pense immédiatement qu’un chat au prise avec un vampire est la toile de fond de l’album… Lorsque l’on sait que « Khrompyre », mot du dialecte wallon, désigne une espèce de pomme de terre irrégulière, on ne peut qu’apprécier ce dédale sémantique dans lequel nous entraîne le créateur, alors Thésée d’opérette !
Graphiquement, l’artiste nous montre des personnages vivants, dessinant l’environnement avec aisance, bien que ce soit une ville. Le méchant c’est le gouverneur Crunchblott, un loup qui veut manger de la viande. Il est épaulé dans son entreprise par un affreux médecin, un vautour appelé « Urubu »…
Tous les personnages en prennent pour leur grade, y compris Chaminou et son copain Pépin, une souris sympathique avec qui il va enquêter. Mais le comportement du loup-gouverneur bat tous les records de fatuité, d’égocentrisme, de contentement de soi et … d’imbécillité ! Ses gaffes sidérantes font que nous ne pouvons pas le prendre au sérieux… Pas plus que ses déguisements de fantaisie qui déteignent sur ceux de son valet Placide, un singe borné tout dévoué à son patron…
Le drapeau flotte sur la marmite ! Le ronronnement traditionnel des salles de rédaction est bouleversé ! Mais que va-t-on faire de ce diablotin de Macherot ? De son anarchisme latent ? Même l’immense créateur et inventeur de mondes qu’était [**Franquin*] s’en émeut… L’aventure sera sans lendemain… Lancée sur des chapeaux de roues, elle se développe dans ce style caustique caractéristique de l’auteur pour s’éroder progressivement, devenant plus classique. Puis s’achève dans une certaine proximité de la tradition… Par bonheur, l’adhésion n’est pas complète. Tout amateur de BD qui se respecte doit avoir lu ce volume malicieux…
Après ? Raymond va créer Sibylline, une héroïne enfin ! Les personnages sont exceptionnellement caractérisés : Sibylline est une souris colérique, émotive, jalouse et d’une féminité explosive, son fiancé Taboum un gaffeur invétéré, toujours le premier à tomber dans les pires pièges, le brigadier Verboten, un hérisson policier mais aussi un comique qui s’ignore, c’est un balourd et un nigaud. Le plus malin est le corbeau Flouzemaker, chapeau melon sur la tête et cigare au bec, inspiré d’un copain brocanteur de l’auteur, le patron du supermarché du « bosquet joyeux » où vit cette petite communauté dont les aventures ravissent le lecteur. Macherot revient à ses idées de campagne idéale, l’âge d’or auquel il aspire tant revit ici… Le méchant est un rat noir : Anathème Percemiche, un couard couronné qu’une révolution renversera. C’est un être vide, creux et opportuniste, qu’une peur panique de tout ce qui est plus fort que lui réduit à néant…
Avec l’épisode « Sibylline et le petit cirque », l’auteur explore vraiment le monde magique et merveilleux du fantastique qu’il côtoie depuis si longtemps ( Le Bosquet hanté)…Les dernières histoires de Sibylline dessinées par l’auteur marquent la fin de sa verve créatrice… La série sera reprise mais l’esprit n’y est plus.
La société de cette série est structurée : il n’y a pas de gouvernement mais les fortes personnalités, les élites si l’on veut employer ce terme, se regroupent dans le danger qui vient systématiquement de l’extérieur : l’auteur se souvient du temps de guerre… L’argent est inconnu « au bosquet joyeux » mais le troc existe, c’est lui qui a enrichi Flouzemaker : une fortune de noisettes !
La société du « bosquet joyeux » est anarchiste, malgré ses querelles de voisinage. Tous ses membres sont égaux. Ils vivent simplement, sans dirigeants, sans soumission à des horaires qui les empêcheraient d’être heureux…Ni Dieu ni maître aurait chanté[** Léo Férré*]… L’idéal, plus ou moins conscient, de Raymond Macherot…C’est CELA qui lui a été reproché, consciemment ou non…Il était trop tôt…
Raymond, vous n’êtes plus là pour que je vous remercie d’avoir fait rêver l’adolescent que j’étais il y a tant d’années. Vous lire était un moment de bonheur, de ravissement et, à votre suite, j’espérais passer de l’autre côté du miroir…
WUKALI 25/07/2017 (précédemment publié le 26/10/2016)
*Courrier des lecteurs *] : [redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: caricature de Macherot par Franquin