Shelley est un des plus grands poètes romantiques anglais. Il a non seulement écrit certains des plus beaux poèmes de la langue anglaise, tel « Ode au vent d’ouest » que nous avons choisi et que vous lirez ici (suivi d’une part de sa récitation en langue anglaise, puis ensuite de sa traduction en français), mais il fut aussi l’auteur de pièces de théâtre. L’influence de Shelley a traversé le temps et demeure pérenne. Il a marqué de nombreux écrivains, poètes, musiciens ( on pense au Prélude de Claude Debussy) et bien davantage. Sa seconde femme, Mary Shelley bien au delà de son vrai talent de plume, est surtout connue pour avoir été l’auteur de «Frankenstein», oeuvre composée à la suite d’un pari en l’espace d’une nuit.
Pierre-Alain Lévy
ODE TO THE WEST WIND
I.
WILD West Wind, thou breath of Autumn’s being,
Thou, from whose unseen presence the leaves dead
Are driven, like ghosts from an enchanter fleeing,
Yellow, and black, and pale, and hectic red,
Pestilence-stricken multitudes: O thou,
Who chariotest to their dark wintry bed
The wingèd seeds, where they lie cold and low,
Each like a corpse within its grave, until
Thine azure sister of the spring shall blow
Her clarion o’er the dreaming earth, and fill
(Driving sweet buds like flocks to feed in air)
With living hues and odors plain and hill:
Wild Spirit, which art moving everywhere;
Destroyer and preserver; hear, oh, hear!
II.
Thou on whose stream, ‘mid the steep sky’s commotion,
Loose clouds like earth’s decaying leaves are shed,
Shook from the tangled boughs of Heaven and Ocean,
Angels of rain and lightning: there are spread
On the blue surface of thine airy surge,
Like the bright hair uplifted from the head
Of some fierce Mænad, even from the dim verge
Of the horizon to the zenith’s height,
The locks of the approaching storm. Thou dirge
Of the dying year, to which this closing night
Will be the dome of a vast sepulchre,
Vaulted with all thy congregated might
Of vapors, from whose solid atmosphere
Black rain, and fire, and hail, will burst: oh hear!
III.
Thou who didst waken from his summer dreams
The blue Mediterranean, where he lay,
Lulled by the coil of his crystalline streams,
Beside a pumice isle in Baiæ’s bay,
And saw in sleep old palaces and towers
Quivering within the wave’s intenser day,
All overgrown with azure moss and flowers
So sweet, the sense faints picturing them! Thou
For whose path the Atlantic’s level powers
Cleave themselves into chasms, while far below
The sea-blooms and the oozy woods which wear
The sapless foliage of the ocean, know
Thy voice, and suddenly grow gray with fear,
And tremble and despoil themselves: oh, hear!
IV.
If I were a dead leaf thou mightest bear;
If I were a swift cloud to fly with thee;
A wave to pant beneath thy power, and share
The impulse of thy strength, only less free
Than thou, O uncontrollable! if even
I were as in my boyhood, and could be
The comrade of thy wanderings over heaven,
As then, when to outstrip thy skyey speed
Scarce seemed a vision; I would ne’er have striven
As thus with thee in prayer in my sore need.
Oh! lift me as a wave, a leaf, a cloud!
I fall upon the thorns of life! I bleed!
A heavy weight of hours has chained and bowed
One too like thee: tameless, and swift, and proud.
V.
Make me thy lyre, even as the forest is;
What if my leaves are falling like its own!
The tumult of thy mighty harmonies
Will take from both a deep, autumnal tone,
Sweet though in sadness. Be thou, Spirit fierce,
My spirit! Be thou me, impetuous one!
Drive my dead thoughts over the universe
Like withered leaves to quicken a new birth!
And, by the incantation of this verse,
Scatter, as from an extinguished hearth
Ashes and sparks, my words among mankind!
Be through my lips to unwakened earth
The trumpet of a prophecy! O Wind,
If Winter comes, can Spring be far behind?
Percy Bysshe SHELLEY (1792-1822)
Composé en 1819
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Traduction française
Ode au vent d’Ouest
I
Sauvage Vent d’Ouest, haleine de l’Automne,
Toi, de la présence invisible duquel les feuilles mortes
S’enfuient comme des spectres chassés par un enchanteur,
Jaunes, noires, blêmes et d’un rouge de fièvre,
Multitude frappée de pestilence: 0 toi,
Qui emportes à leur sombre couche d’hiver
Les semences ailées qui gisent refroidies,
Chacune pareille à un cadavre dans sa tombe, jusqu’à ce que
Ta sœur d’azur, déesse du Printemps fasse retentir
Sa trompe sur la terre qui rêve, et emplisse
(Chassant aux prés de l’air les bourgeons, son troupeau,)
De teintes et de senteur vivantes la plaine et les monts:
Sauvage Esprit, dont l’élan emplit l’espace;
Destructeur et sauveur, oh, écoute moi!
II
Toi, dont le courant dans les hauteurs du ciel bouleversé
Entraîne les nuages dispersés comme les feuilles mourantes de la terre,
Détachés des rameaux emmêlés des Cieux et de l’Océan,
Apportant sur leurs ailes la pluie et les éclairs;
On voit s’épandre à la surface bleue de ta houle aérienne,
Telle, emportée par le vent, la chevelure dorée
De quelque Ménade déchaînée, du bord obscur
De l’horizon jusqu’à la hauteur du zénith,
Les boucles échevelées de l’orage approche.
Toi, chant funèbre
De l’an qui meurt, pour qui cette nuit qui tombe
Sera le dôme d’un immense sépulcre,
Au-dessus duquel la cohorte de toutes tes puissances assemblées
Étendra une voûte de nuées, dont l’épaisse atmosphère
Fera jaillir la noire pluie, le feu, la grêle: oh, écoute-moi!
III
Toi qui as éveillé de ses rêves d’été
La bleue Méditerranée en sa couche,
Bercée par les remous de ses ondes de cristal
Près d’une île de ponce, au golfe de Baïes,
Voyant dans son sommeil palais et tours antiques
Trembler au sein du jour plus lumineux des vagues,
Tout tapissés de mousses glauques et de fleurs
Si suaves, que nous défaillons y songeant;
Toi, devant qui les flots unis du puissant Atlantique
Se creusent en abîmes, alors qu’aux profondeurs
Les fleurs de mer et les rameaux limoneux qui portent
Le feuillage sans sève de l’océan, reconnaissent
Ta voix soudain, et blêmissent de frayeur,
Et tremblent et se dépouillent: oh, écoute-moi!
IV
Si j ‘étais feuille morte que tu pusses emporter;
Si j’étais nuage rapide et fuyais avec toi;
Vague, pour palpiter sous ta puissance,
Et partager l’impulsion de ta vigueur,
Moins libre que toi seul, indomptable!
Si même Ainsi qu’en mon enfance, je pouvais être
Le compagnon de ton vagabondage au ciel,
Comme en ce temps où dépasser ton vol céleste
Semblait à peine une vision, je n’aurais point avec toi
Ainsi lutté, te suppliant dans ma détresse.
Oh, emporte-moi, comme une vague, une feuille,un nuage!
Sur les épines de la vie, je tombe et saigne!
Le lourd fardeau des heures a enchaîné et courbé
Un être trop pareil à toi: indompté, vif et fier.
v
Fais de moi ta lyre, comme l’est la forêt:
Qu’importe si mes feuilles tombent, comme les siennes!
Le tumulte de tes puissantes harmonies
Tirera de tous deux un son profond d’automne,
Doux, malgré sa tristesse. Sois, âme farouche,
Mon âme! Sois moi-même, vent impétueux!
Chasse mes pensées mortes par-dessus l’univers,
Feuillage desséché d’où renaisse la vie!
Et par l’incantation de ces vers,
Disperse, comme d’un foyer inextinguible
Cendres et étincelles, mes paroles parmi l’humanité!
Sois par mes lèvres, pour la terre assoupie encore,
La trompette d’une prophétie! 0, Vent,
Si vient l’hiver, le printemps peut-il être loin?
SHELLEY (1819)