Cette présentation de ce superbe poème «The Hollow men» de T.S Eliot est suivie d’une somptueuse interprétation récitée de l’oeuvre en anglais puis de sa traduction en français par Pierre Leyris.
Mistah Kurtz—he dead.
A penny for the Old Guy
The hollow men
I
We are the hollow men
We are the stuffed men
Leaning together
Headpiece filled with straw. Alas!
Our dried voices, when
We whisper together
Are quiet and meaningless
As wind in dry grass
Or rats’ feet over broken glass
In our dry cellar
Shape without form, shade without colour,
Paralysed force, gesture without motion;
Those who have crossed
With direct eyes, to death’s other Kingdom
Remember us—if at all—not as lost
Violent souls, but only
As the hollow men
The stuffed men.
II
Eyes I dare not meet in dreams
In death’s dream kingdom
These do not appear:
There, the eyes are
Sunlight on a broken column
There, is a tree swinging
And voices are
In the wind’s singing
More distant and more solemn
Than a fading star.
Let me be no nearer
In death’s dream kingdom
Let me also wear
Such deliberate disguises
Rat’s coat, crowskin, crossed staves
In a field
Behaving as the wind behaves
No nearer—
Not that final meeting
In the twilight kingdom
III
This is the dead land
This is cactus land
Here the stone images
Are raised, here they receive
The supplication of a dead man’s hand
Under the twinkle of a fading star.
Is it like this
In death’s other kingdom
Waking alone
At the hour when we are
Trembling with tenderness
Lips that would kiss
Form prayers to broken stone.
IV
The eyes are not here
There are no eyes here
In this valley of dying stars
In this hollow valley
This broken jaw of our lost kingdoms
In this last of meeting places
We grope together
And avoid speech
Gathered on this beach of the tumid river
Sightless, unless
The eyes reappear
As the perpetual star
Multifoliate rose
Of death’s twilight kingdom
The hope only
Of empty men.
V
Here we go round the prickly pear
Prickly pear prickly pear
Here we go round the prickly pear
At five o’clock in the morning.
Between the idea
And the reality
Between the motion
And the act
Falls the Shadow
For Thine is the Kingdom
Between the conception
And the creation
Between the emotion
And the response
Falls the Shadow
Life is very long
Between the desire
And the spasm
Between the potency
And the existence
Between the essence
And the descent
Falls the Shadow
For Thine is the Kingdom
For Thine is
Life is
For Thine is the
This is the way the world ends
This is the way the world ends
This is the way the world ends
Not with a bang but a whimper.
Thomas-Stearns ELIOT (1888-1865)
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Traduction en français
LES HOMMES CREUX
I
Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.
Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée ;
Ceux qui s’en furent
Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort
Gardent mémoire de nous – s’ils en gardent – non pas
Comme de violentes âmes perdues, mais seulement
Comme d’hommes creux
D’hommes empaillés.
II
Les yeux que je n’ose pas rencontrer dans les rêves
Au royaume de rêve de la mort
Eux, n’apparaissent pas:
Là, les yeux sont
Du soleil sur un fût de colonne brisé
Là, un arbre se balance
Et les voix sont
Dans le vent qui chante
Plus lointaines, plus solennelles
Qu’une étoile pâlissante.
Que je ne sois pas plus proche
Au royaume de rêve de la mort
Qu’encore je porte
Pareils francs déguisements: robe de rat,
Peau de corbeau, bâtons en croix
Dans un champ
Me comportant selon le vent
Pas plus proche –
Pas cette rencontre finale
Au royaume crépusculaire.
III
C’est ici la terre morte
Une terre à cactus
Ici les images de pierre
Sont dressées, ici elles reçoivent
La supplication d’une main de mort
Sous le clignotement d’une étoile pâlissante.
Est-ce ainsi
Dans l’autre royaume de la mort:
Veillant seuls
A l’heure où nous sommes
Tremblants de tendresse
Les lèvres qui voudraient baiser
Esquissent des prières à la pierre brisée.
IV
Les yeux ne sont pas ici
Il n’y a pas d’yeux ici
Dans cette vallée d’étoiles mourantes
Dans cette vallée creuse
Cette mâchoire brisée de nos royaumes perdus
En cet ultime lieu de rencontre
Nous tâtonnons ensemble
Evitant de parler
Rassemblés là sur cette plage du fleuve enflé
Sans regard, à moins que
Les yeux ne reparaissent
Telle l’étoile perpétuelle
La rose aux maints pétales
Du royaume crépusculaire de la mort
Le seul espoir
D’hommes vides.
V
Tournons autour du fi-guier
De Barbarie, de Barbarie
Tournons autour du fi-guier
Avant qu’le jour se soit levé.
Entre l’idée
Et la réalité
Entre le mouvement
Et l’acte
Tombe l’Ombre
Car Tien est le Royaume
Entre la conception
Et la création
Entre l’émotion
Et la réponse
Tombe l’Ombre
La vie est très longue
Entre le désir
Et le spasme
Entre la puissance
Et l’existence
Entre l’essence
Et la descente
Tombe l’Ombre
Car Tien est le Royaume
Car Tien est
La vie est
Car Tien est
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
C’est ainsi que finit le monde
Pas sur un Boum, sur un murmure
THOMAS-STEARNS ELIOT
La Terre vaine et autres poèmes [1922; 1976 pour la traduction française], Éditions du Seuil, Collection Points Poésie, 2006. Traduction de Pierre Leyris.