Impressions of Japan
Pendant l’été 1979, je suis parti pour un tour du monde. D’abord quelques jours à NewYork, puis Anchorage en Alaska où je n’ai fait que découvrir la ville et les alentours, ensuite 2 semaines au Japon où je fus un parfait touriste (Tokyo, Hakone, Kamakura, Osaka, Kyoto, Nara), ensuite Nouméa et son aquarium, en Nouvelle-Calédonie, puis Tahiti, les îles du vent et celles sous le vent, les Tuamotou, enfin retour par Los Angeles et la Californie…Deux mois en tout…
Arrivé au Japon, je ne savais plus où j’étais, victime du décalage horaire. Il me fallut quelques jours pour m’adapter.
A Kyoto, un matin, tôt , je me réveille et m’apprête à descendre pour le petit déjeuner. Comme c’était l’aube, je me suis étendu et assoupi sur le lit. J’avais replié la jambe gauche, la droite étant étendue.
Soudain, je vois la première trembler. Je me dis : -« tu es nerveux ce matin », mon corps entier se met à bouger, puis le lit et les murs ! J’ai compris, je saute de ma couche, ouvre la porte, fonce dans le couloir où les murs continuent à se mouvoir tels des cartes à jouer, ils paraissent sur le point de s’effondrer…Et tout s’arrête net dans l’instant….La secousse n’a pas duré dix secondes…C’est un souvenir inoubliable…Surtout que tout cela s’est déroulé dans le silence le plus total….L’inattendu est parfois issu du quotidien…
Dans une situation extra-ordinaire comme celle-ci, seules les expériences de son passé personnel peuvent aider à éviter une panique irraisonnée. J’avais entendu parler de ce genre d’incident mais je n’imaginais pas que cela m’arriverait…Un événement comme celui là marque à tout jamais. Aujourd’hui, j’en souris mais, sur le moment, c’était autre chose ! Heureusement que les Nippons construisent des maisons et des hôtels adaptés aux conditions locales, depuis bien longtemps…
Trente-cinq ans en arrière, ce pays était difficile pour les touristes se déplaçant individuellement : très peu de gens parlaient anglais et les rues comme le métro de Tokyo ne portaient que des inscriptions en japonais… De ce fait les rapports personnels étaient difficiles avec les autochtones. Je n’ai pu échanger qu’avec quelques guides locaux anglophones.
La découverte du pays, même lorsque l’on est un « voyageur averti », était surprenante : puissance culturelle évidente, civilisation ancienne, richesse économique explosive, hygiène exemplaire (les Japonais passent pour être le peuple le plus propre du monde)… Le revers de la médaille, c’est que de nombreuses failles existent dans le collectif comme dans la sphère privée, y compris dans le quotidien (rivalités, hiérarchie induites,etc…), mais le touriste ne s’en rend pas compte : il ne fait que passer…
Tokyo était une mégapole étouffante à mes yeux car elle m’était peu intelligible. Les environnements des gares m’apparurent monstrueux : des distances énormes à parcourir à pied avant d’atteindre les quais, une foule phénoménale partout, j’étouffais…
L’impossibilité de communiquer me fit comprendre ce qu’un sourd peut ressentir au regard du monde. L’absence de sous-titres en anglais accentuant cette incompréhension.
A côté de cela, de magnifiques buildings, dont la « tour Eiffel » locale, des musées précis, riches, didactiques et bien organisés, des coins de verdure, des rues impeccables… Un mélange réussi de traditions et de modernités…Une vraie synthèse que seul un peuple évolué, civilisé, cultivé, peut obtenir…
La population que je voyais, et qui me regardait d’un air goguenard en se rendant compte de ma sidération, n’avait plus rien à voir avec les barbares fanatiques de la deuxième guerre mondiale. L’humiliante défaite subie, le déshonneur ayant obligé l’Empereur à ordonner à ses sujets de « supporter l’insupportable et de tolérer l’intolérable », tout cela était bien loin…Tout au moins en apparence. Bien sûr, je n’étais qu’un voyageur isolé parmi d’autres…
A aucun moment je n’ai pris de précautions particulières pour ma sécurité car, il faut vraiment le dire et le redire, la tranquillité comme la quiétude étaient manifestes. Le banditisme semblait inconnu dans la rue : pas de vol à la tire, pas d’agression, aucune menace…
Pour me rendre à Osaka, j’ai fait comme tout le monde : j’ai pris le train express, c’était avant le Shinkansen ( tgv local).. J’ai donc vu le Fuji-Yama sur ma droite pendant quelques minutes, mais le plus impressionnant se voyait sur la gauche : une suite ininterrompue de maisons assez identiques le long de la mer, à tel point qu’à aucun moment je n’ai pu apercevoir les plages plus de quelques instants de suite…
On comprend alors pourquoi les Japonais paraissent si cérémonieux pour nous : s’ils ne se faisaient pas de courbettes et de politesses, ils se massacreraient les uns les autres ! Ils contiennent leur violence naturelle par un monde de rites, de dogmes, de traditions bien utiles…Cette forme de sagesse paradoxale nous est étrangère…
Certains édifices cultuels sont des monuments d’un esthétisme rare comme d’une intense spiritualité : le grand bouddha de Kamakura 大仏, (1252) en est un bel exemple. Cette magnifique œuvre de bronze de grande taille rayonne de l’intérieur… On peut y accéder par une porte située à l’arrière de la statue ! J’y ai pénétré et y ai vu un petit autel couvert de fleurs devant lequel les croyants se recueillaient… Mais la vision externe vaut le détour à elle seule : la perfection technique de la sculpture soulignant ce rapport personnel avec la divinité, ce que les Japonais ressentent.
Sur certaines pièces de monnaie figurent un bâtiment cultuel : le pavillon du Phénix, très ancienne architecture datant du onzième siècle, dont l’aspect archétypal est si agréable à l’œil. (Illustration de l’entête)
Tous les Japonais le connaissent. Tous les touristes de passage en sont charmés. Il est situé à Uji, au sud de Kyoto, la pureté de ses formes évoquant un oiseau aux ailes déployées. Sa structure de bois accentue son élancement, vers le haut bien entendu mais aussi vers le bas car bâti en partie sur une ravine. S’y promener, même si d’autres humains sont là, est apaisant…Il semble induire une sérénité inattendue…
Naturellement, je ne prétends pas connaître l’âme japonaise. Deux semaines suffisent à peine pour avoir quelques impressions, pour mémoriser quelques images…
Kyoto, si célèbre par ses temples, ne m’apparut pas si magique que cela mais Nara, la ville sainte du shintoïsme, oui. Parcourir cette cité était impressionnant : des bâtiments cultuels datant de plus de dix siècles se voyaient partout, on circulait dans des rues anciennes où l’on en voyait de chaque côté… On percevait cette immatérialité tellurique, invisible mais présente, que dégagent toutes les villes saintes du monde, à l’instar de Bénarès, de Jérusalem ou de Rome. Comme si les innombrables pèlerins qui s’y étaient agglutinés y avaient laissé des ondes positives…
A Kyoto, qui fut épargnée de la bombe atomique sur ordre personnel de Truman en 1945, les jardins publics sont partie intégrante de la ville. S’y voient les célèbres « pavillon d’or » et « pavillon d’argent », temples fameux et anciens que tout visiteur se doit d’avoir regardés et appréciés. Ils sont proches l’un de l’autre. Leur charme est incontestable mais, à titre personnel, le « pavillon du phénix » me parle plus.
Un voyageur expérimenté et réfléchi, même s’il n’aime pas un pays, ses gens et ses traditions comme ce fut partiellement le cas pour moi au Japon de cette époque, doit rester objectif et se demander pourquoi il a cette attitude. Il était certain que cette incompréhension relative venait essentiellement d’un manque d’ouverture personnelle, événement imprévu pour quelqu’un qui s’était déjà baladé sur les cinq continents ! Comme quoi la sagesse ne s’acquiert pas du jour au lendemain… La leçon de vie en fut retenue…
Jacques Tcharny
WUKALI 07/12/2015
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