da Vinci, the transcendental genius


S’il est un artiste mythique, c’est bien Léonard de Vinci. S’il est un peintre qui laissait pantois Henry Duplessis, c’était bien lui. A chaque fois qu’il s’était trouvé devant un tableau du Florentin, il avait été subjugué par l’artiste. A chaque confrontation avec une de ses peintures, le Français avait ressenti de nouveaux sentiments comme il avait vu de nouveaux détails jusqu’alors ignorés. Aucun peintre ne l’avait autant obligé à forcer son intelligence, à la transcender.

Seulement vint-cinq peintures, plus ou moins reliées à lui, sont parvenues jusqu’à nous alors qu’il en a créé une petite cinquantaine. Le nombre exact est, et restera, inconnu. Léonard a vécu à Rome entre 1513 et 1517, sous forme d’allers et venues, avant d’accepter l’hospitalité de François Ier et de partir pour la France. Ce qui explique pourquoi le Louvre conserve huit tableaux de la liste des vingt-cinq. En revanche l’Italie en possède peu : neuf au total dont un seul à Rome, le Saint Jérome inachevé de la pinacothèque vaticane. Ce panneau peint est resté à l’état d’ébauche monochrome. Bien qu’aucun témoignage historique le concernant ne demeure, son autographie est certaine.

Si vous l’observez de près, vous verrez une sorte de césure divisant en deux parties le tableau aux deux tiers de sa hauteur. Une légende court à son propos : il aurait figuré autrefois dans l’ancienne pinacothèque vaticane, aurait été égaré puis scié en deux. Le cardinal Fesch, l’oncle de Napoléon Ier, récupérant chez un brocanteur local la partie inférieure du panneau qui servait de couvercle à une caisse et, après de longues années de recherche, la partie supérieure utilisée comme dessus de tabouret par son cordonnier.

Olécio partenaire de Wukali

Nul ne peut affirmer quelle part de véracité contient cette légende mais la césure montre que deux morceaux de bois ont été raccordés pour servir de support à cette peinture de dimensions conséquentes : 103X75cm. L’œuvre fut rachetée par un pape aux héritiers du cardinal. C’est un des fleurons des collections vaticanes. Rien que pour cette belle histoire romanesque, les touristes généralement pressés d’aller vers la chapelle Sixtine s’arrêtent quelques instants devant ce tableau.|center>

Bien souvent le Français était venu se perdre au Vatican et, comme nous l’avons indiqué au chapitre précédent, il avait fini par rencontrer le pape lui-même, à son corps défendant dirons-nous à sa décharge. La Sixtine, ce monument à Dante créé par Michel-Ange, l’avait fait rêver mais, aujourd’hui, il était venu revoir Saint Jérôme. La pinacothèque n’avait pas attiré beaucoup de monde ce matin-là. Il faut dire qu’il y fait très sombre et que l’éclairage y est faible, sans doute pour protéger la surface du panneau. Il put donc prendre son temps et le regarder tranquillement.

L’intensité du sentiment religieux dans le regard et l’attitude de l’ermite confine à l’universel. C’est l’expression ultime de la spiritualité humaine. Jamais le message christique ne fut aussi puissant ni aussi intemporel. Le geste du bras et de l’épaule droite est sublime, abandonné au divin. Le visage ravagé est extatique. Le corps est émacié, les joues creusées par l’ascèse. Le ressenti du spectateur est une forme d’impuissance devant la force qui s’en dégage. Un souffle divin parait animé l’œuvre. Le touriste reste désemparé en face de ce phénomène irrationnel. Nulle parole n’est vraiment convaincante devant ce drame. Contrepoint d’équilibre, la présence du lion à la gueule ouverte se tourne vers le saint montrant ainsi le centre psychologique du tableau : le corps martyrisé de Jérôme qui voit Dieu, c’est évident. Henry en restait muet, soumis à la volonté et au génie de Léonard, comme bien d’autres avant lui. Une émotion violente, pour ne pas dire une commotion, le saisissait alors. Il était ému aux larmes. Il comprenait devant ce panneau le sens de l’expression : chef d’œuvre. La grande ligne courbe formant le corps de l’animal acquérait une consistance étonnante par le mouvement de rotation de sa tête, orientée vers l’ermite. Le corps fluide et la queue souple étaient pleins de vie. Le modelé sculptural du torse du saint domine des jambes grêles qui le soutiennent mal, à la limite de l’effondrement. Le mouvement de la tête s’incurve, les gestes des bras deviennent acte de soumission à une volonté supérieure. La génuflexion respectueuse marque l’instant privilégié de cette rencontre du céleste et du terrestre. Henry voyait aussi la résignation superbe du regard dans un crâne n’ayant plus que les os sous la peau. La bouche amère aux lèvres disjointes et aux dents abîmées rajoutant encore à cette soumission. Cette anecdote pseudo-historique devenait symbole de la destinée humaine. Notre ami se savait au cœur de la spiritualité occidentale dans sa plus grande pureté. Il n’avait aucun sens du mystique, à fortiori du religieux, mais il ressentait la grandeur de l’âme et la lumière de l’intelligence de Léonard. Pour ces deux raisons, c’était un des peintres qui l’attirait le plus. Contrairement à ce que racontent certains, la lumière froide de la nuit n’est qu’un des pôles attractifs de l’art du Vinci. Il en existe d’autres comme le prouve la chaleur humaine, digne de Giotto, qui se dégage de cette esquisse jamais achevée.

Le Français était donc seul devant le panneau, perdu dans sa rêverie et ses pensées. Il devenait un atome dans l’infini du cosmos. Il comprenait que Léonard avait dépassé le strict état de membre de l’espèce humaine. Appelez cela comme vous voudrez : fulgurance intellectuelle, illumination divine, peu importe. Le peintre avait une âme plus élevée que l’immense majorité des bipèdes humains, et il possédait le génie. Henry sentait que les mots étaient notoirement insuffisants face à ce phénomène. il se disait que n’est pas créateur qui veut. Vous avez le don ou non. Seulement après vient le travail. Il faut d’abord POUVOIR et ensuite tenter.|left>

Notre exilé connaissait les défauts voir les tares du Vinci  : son dilettantisme, sa paresse, sa pédérastie. Précisons les choses : si l’homosexualité est parfaitement acceptable, et acceptée, dans une société ouverte comme la nôtre ; agresser des enfants, filles ou garçons, est un crime punissable et puni par les lois. A l’époque, l’homosexualité pouvait conduire au bûcher, c’est vrai. Léonard a été dénoncé pour sodomie dans sa jeunesse florentine, c’est exact. Mais une fois célèbres, des gloires comme lui ou Michel-Ange ne risquaient plus rien de l’Inquisition à ce sujet. Henry savait que le décorateur de la chapelle Sixtine avait été surveillé à la fin de sa vie, mais pour ses opinions religieuses qui avaient eu tendance de se rapprocher des idées de la Réforme.

Malgré tout cela, notre héros admirait le créateur du Saint Jérôme, l’artiste, sans réserve. Pas ses comportements dans la vie courante. Aux yeux de l’émigré, le peintre était une énigme. Probablement l’a-t-il voulu, se disait-il… Devant une de ses œuvres certaines comme le panneau du Vatican, il se sentait écrasé, dominé, restait muet. Son humilité oubliée retrouvait droit de cité et le monde perturbé le sens des valeurs. Il se demandait si le génie impliquait des défauts inévitables et ce pour tous les membres de la communauté des hommes. En y réfléchissant, il pensait que oui…Il repartit doucement, observé avec curiosité par les gardiens qui avaient fini par reconnaître sa silhouette, se disant que le miracle avait encore eu lieu. Tout était donc normal. Il reprit le cours de ses pensées serein, calme et résolu à revenir un jour prochain. Après tout, qui sait ? Peut-être qu’un jour le génie du Florentin cesserait d’éclater à ses yeux… Aujourd’hui, il était heureux.

Jacques Tcharny

À suivre. .. Prochain épisode Samedi 16 janvier 2016, Les rivaux de Rome



Récapitulatif des chapitres précédents:
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Le Piéton de Rome

Premier chapitre : Au nom de Bacchus (1)
Deuxième chapitre: Au nom de Bacchus (2)
Troisième chapitre: Petit hommage au grand Vélaquez
Quatrième chapitre: A l’assaut de l’Ambassade-
Cinquième chapitre Le Palais Colonna
Sixième chapitre La Leçon du musée d’art moderne
Septième chapitre Une arcane au Vatican


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