Beyond musical frontiers
Il y a peu de vrais voyages, il n’y a plus que des « déplacements ». Le voyage proposé par Ibrahim Maalouf est initiatique et nous propose de renouer avec le vrai voyage, le rêve, le désir, l’aventure, celle de notre humanité.
Le talentueux polyinstrumentiste et compositeur français a publié simultanément un album qui repousse les frontières et les catégories musicales, Red and Black light, et un album dans lequel il rend un hommage magnifique, Kalthoum, tout est dit.
Solaire, lumineux, heureux, voilà comment je vois le spectacle d’Ibrahim Maalouf, mes premières impressions, par la musique, ne sont pas musicales, mais visuelles, corporelles, tant l’artiste donne envie de s’émerveiller d’abord, de chanter, de danser, en une transe continue. Les plus grands folklores sont ceux des nomades, non pas parce qu’ils n’ont pas de pays, mais parce que tout territoire devient leur pays. Maalouf ne commente pas son temps, son époque, il lui oppose une musique libératrice et joyeuse, où l’on s’étonne de renouer avec l’insouciance de la fête. Puissante culture contre violente bêtise, voilà notre avenir, le seul possible.
Lumineuse formation «jazz » apte à investir tous les styles musicaux, toutes les formes. Ibrahim Maalouf conduit avec sincérité et humour, au chant, aux percussions, aux claviers, et à la trompette microtonale à 4 pistons une équipe légère au gros son : François Delporte à la guitare, Stéphane Galland à la batterie, Eric Legnini, aux claviers, dont le magique Rhodes, et la puissante basse électrique. Jazz oriental aux accents rock, fauves, claviers vintage, avec l’échappée immense d’une trompette inventée par Nassim Maalouf, le père. Un instrument qui permet de tenter le quart de ton de la musique arabe et qui invite tonalement l’Orient partout où la liberté la veut. Blue note, la note orientale change l’atmosphère et la fait glisser dans le recueillement, la vraie mystique, la sympathie pour l’humain, la prière, le rêve. Le lieu s’y prète : Den Atelier, à Luxembourg ville, nous accueille avec chaleur, une salle à taille humaine, un super-club à l’acoustique impeccable.
Red and black light est d’abord un hommage aux femmes, à la femme, qui tient tout pour permettre la magie, parfois la folie des hommes, dans une famille d’artistes, de créateurs, voyageurs. Hommage et revendication : la liberté et la dignité de la femme. Le message est clair, la vraie foi est en l’homme, c’est-à-dire en la femme, ou en l’homme dans la mesure où il établit partout et en tout temps l’égalité de l’une et de l’autre. Un voyage spirituel personnel, qu’Ibrahim Maalouf nous raconte avec humour et tendre gentillesse qui lie naturellement le moment du baiser du soir, avant l’endormissement à la danse la plus éveillée. Communauté du bien vivre…
Brillantissime hommage à Oum Kalthoum, zénithale chanteuse de l’humanité, dont le nom complet Oum Kalthoum Ibrahim al-Sayyid al-Beltagui contient son prénom. Il rappelle le rituel de ses chants, longue incantation musicale précédant son entrée en scène triomphante, chant aérien et languissant, puis, à l’époque où les single durent 2’30, un refrain de la même durée… Une interprétation dense Trompette/guitare… une beauté et intelligences orientales universelles. Le musicien nous fait chanter « Bienvenue » en langue arabe, tout un symbole. S’il y a un Orient des Lumières, en voici l’Aurore aux doigts de rose !
Patrick Kopp
WUKALI 02/04/2016
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