Jean Gabin, perfect and coalescing French lover
[**Pépé le Moko *] est un film de [**Julien Duvivier*] ( 1896-1967) sorti en 1937. Reconnu immédiatement comme un chef d’œuvre, le film devint mythique et fit de[** Jean Gabin*] (1904-1976) LA vedette masculine de l’époque au grand écran. Le couple formé par Gabin et [**Mireille Balin*] (1909-1968), qui eurent une courte liaison pendant le tournage, était le plus glamour du temps. On les retrouvera dans « Gueule d’amour » l’année suivante.
L’argument est assez simple : cherchant à coincer un caïd de la pègre parisienne en fuite qui exerce ses talents à partir de la casbah d'[**Alger*], qu’il ne peut quitter sous peine d’arrestation immédiate, la police est obligée de faire appel à des « indics » pour arriver à le faire sortir de son repère.
La vie de Pépé le Moko sera bouleversée par la rencontre de Gaby, jeune femme entretenue par un riche quinquagénaire, touriste de passage dans la ville qui, involontairement, provoquera sa capture. Elle représente tout ce qu’aime Pépé et qui lui rappelle son passé : elle est parisienne, sophistiquée, authentiquement « vamp » et tout à l’opposé de ce qu’il vit au quotidien dans la casbah. Elle est splendide, son magnétisme de mauvais aloi le bouleverse comme son parfum qui lui rappelle le métro…En première, bien entendu ! Sa présence incongrue illumine les tristes ruelles de la Casbah d’Alger parfaitement reconstituée en studios par le metteur en scène.
L’inspecteur Slimane va chercher à profiter de la situation pour obliger son adversaire à bouger. C’est la maîtresse locale de Pépé qui trahira…
Le film fut reçut avec enthousiasme par le public et par la critique. Comme si quelque chose, en gestation confuse dans l’esprit et dans l’air du temps, se cristallisant et prenant forme dans le film, apparaissait brutalement au grand jour. On pourrait comparer la réception, par son temps, de ce que porte de nouveautés « Pépé le Moko », en 1937, avec celle de : « Un homme et une femme » de [**Lelouch*] en 1966 ou, en bande dessinée, de celle de « La ballade de la mer salée » d'[**Hugo Pratt*] en 1967/69.
Citons le critique[** Jacques Siclier*] : « Pépé le Moko, c’est l’installation officielle, dans le cinéma français d’avant-guerre, du romantisme des êtres en marge, de la mythologie de l’échec. C’est de la poésie populiste à fleur de peau : mauvais garçons, filles de joie, alcool, cafard et fleur bleue ».
Au menu, de nombreuses scènes d’anthologie, figurant pour l’éternité au Panthéon du cinéma mondial :
-La rencontre de Pépé, descendant des toits par un escalier, avec Gaby, entrée par hasard chez une fille des rues…Slimane voit le manège…
-L’amour naissant entre les deux tourtereaux dans une chambre isolée du monde.
-Pépé chantant sa joie devant sa maîtresse locale ([**Line Noro*]) qui ne sait pas pourquoi
-Le désespoir de pépé à la mort de son jeune acolyte suivi de celle du traître, joué par [**Charpin*].
-[**Fréhel*] interprétant « où est-il donc ? » sur son propre disque.
-Pépé descendant de la Casbah pour aller retrouver Gaby. Il vient d’apprendre qu’elle s’embarque pour la France.
Et le final :
-Pépé menotté et encerclé par les policiers qui réussit à se suicider en se faisant hara-kiri, alors que Gaby regarde Alger une dernière fois sans apercevoir l’homme qu’elle croit mort. Elle ne saura jamais ce qui s’est passé…
» pepe le moko » – official film trailer… par ahmet-yilmaz
La solitude du héros(?) va crescendo au fur et à mesure que se développe l’histoire, les trahisons aussi. A tel point que le spectateur prend fait et cause pour Pépé, ce malfaiteur magistralement rendu par un [**Jean Gabin*] « qui en voulait », incarnant alors ce Jean Valjean des temps modernes devenu un être frappé du sceau de la tragédie, en prenant possession de son personnage, en le faisant entrer dans sa peau comme personne n’avait su le faire jusque là. L’acteur dépasse le mythe, créant une réalité alternative qui saute au visage du spectateur médusé. La performance de Gabin est pour beaucoup dans le triomphe du film. La réalisation de[** Duvivier*] aussi, avec d’exceptionnels dialogues d'[**Henri Jeanson*] d’un percutant invraisemblable, avec les décors magistraux reconstitués dans les studios de Pathé-Cinéma par [**Jacques Krauss*], avec des prises de vue d’un efficacité et d’une justesse inconnues dues à [**Jules Kruger et Marc Fossart.*]
Le spectateur assiste à cette « montée au calvaire » d’un individu coupable, certes, mais qui aurait mérité une autre chance… S’il n’en avait déjà eu tant… Devenus partenaires actifs du déroulement du film, nous ne pouvons que ressentir de la compassion pour le drame que vit Pépé, alors que le vide se crée autour de lui, que sa compagne le dénoncera et qu’il mourra sans pouvoir parler à Gaby, entrevue un instant, mais pas elle.
Existe aussi un autre intervenant, jamais visible mais omniprésent : le DESTIN. Son souffle discret pousse vers une fin inéluctable que pressent le spectateur. Rien ne pourra lui échapper. A ma connaissance, c’est un des très rares films où le destin domine tout, agitant les personnages comme des marionnettes. Le film noir français naît avec « Pépé le Moko », création archétypale intemporelle.
Rajoutons un dernier détail : le film impressionna tellement la population que, pendant des mois, nombre d’hommes arborèrent le foulard porté par Gabin, y compris « les macs » de Pigalle…
WUKALI 12/09/2016
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