Such an intelligent and freudian staging for a renewed and brilliant Carmen at Aix-en-Provence Festival.
Nul doute que la mise en scène de [**Dmitri Tcherniakov*] pour l’œuvre phare de [**Bizet*] -[**Carmen*]- ne fasse couler beaucoup d’encre et de salive ! Elle alimentera les conversations des passionnés d’art lyrique qui probablement se diviseront en parts à peu près égales entre partisans enamourés et détracteurs passionnés. D’autant que le metteur en scène s’est autorisé le luxe de modifier et réécrire les dialogues parlés pour donner à son angle d’attaque – certains diront son parti pris – une cohérence logique ainsi qu’ une puissance dramatique.
La querelle des Anciens et des Modernes fera donc, de nouveau rage, cet été dans l’ombre bienfaisante des platanes du Cours Mirabeau et ce d’autant que l’œuvre crée le 3 mars 1875 à l’Opéra-Comique de Paris n’avait pas été programmée au Festival d’Aix depuis…..69 ans. C’est donc probablement un choix délibéré de la part des organisateurs du Festival d’Aix qui, n’ayant pas les mêmes contraintes que les responsables d’institutions lyriques, offre à un public plus large et composé en partie d’amateurs passionnés, une vision nouvelle d’un opéra emblématique.
Les œuvres qui, telle Carmen, font partie du noyau dur – et très envié – des opéras les plus joués au monde ont traversé avec succès et imperturbablement le temps. Elles suscitent le même intérêt, le même engouement, les mêmes passions et remplissent invariablement les salles dès lors qu’elles sont à l’affiche. Pourquoi ?
En raison de leur intemporalité. Car ce sont des œuvres qui traitent de problèmes universels de l’âme humaine confrontée aux réalités de la vie : l’amour et la mort. Du sang et des larmes pour reprendre une formule célèbre définissant l’opéra.
Une myriade d’œuvres lyriques distille pourtant les vicissitudes de personnages confrontés aux affres de la passion ou à la peur de la mort. Elles n’en finissent pas moins, pour autant, peu jouées ou oubliés sur les étagères des bibliothèques musicales.
Un autre facteur entre donc en ligne de compte.
Il tient à ce qui unit le spectateur – par le jeu complexes des affects et de l’émotion – au protagonistes du drame. C’est la force subtile de l’identification qui, volontairement ou non, nous relie à tel ou tel des protagonistes. La force de l’opéra ne réside plus alors uniquement dans la puissance ou la beauté de l’œuvre mais tient dans le fait que le spectateur – dès lors qu’il est assis dans un fauteuil – part pour un voyage qui peut l’emmener avec ou contre son gré au centre de difficultés inconnues voire au pire au cœur de ses propres problèmes.
L’œuvre de [**Bizet*] – comme d’autres d’ailleurs – est donc une sorte de diamant qui, comme le célèbre air des Contes d’Hoffmann, scintille et prend au piège non pas les alouettes mais les auditeurs. Chaque metteur en scène en voulant donner, à juste titre, une cohérence à son propos dramatique se saisit le plus souvent d’une facette de ce diamant qui n’épuise pas, loin s’en faut, le potentiel suggestif de l’œuvre. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle il est assez facile de critiquer une mise en scène au motif qu’il n’a pas tout dit. Heureusement !
Et c’est effectivement l’un de choix scéniques de [**Dmitri Tcherniakov*] qui, si l’on suit bien la démarche au regard du spectacle, en comporte plusieurs malgré tout.
D’abord, il va renvoyer au second plan ce qui, pour lui, fait vraisemblablement partie d’une facette -secondaire? – du diamant : l’exotisme.
N’oublions pas la dimension historique importante.
A l’époque de la création de Carmen en 1875 l’[**Espagne*] est exotique. La mode de l’orientalisme a saisi l’Europe dès le 18ème siècle et la nouvelle de [**Prosper Mérimée*] publiée en [**1847*] en est précisément un exemple. On pourrait citer les exemples des œuvres lyriques qui ont pour cadre des pays lointains inconnus. [**Mozart*] et[** Rossini*], entre autres, en sont de brillants exemples.
Si l’Espagne – hélas – ne fait plus rêver personne ; il me semble que le metteur en scène fait entrer l’exotisme par une autre porte en situant l’action de l’opéra dans une clinique psychiatrique qui, pour nombre de spectateurs, est un lieu aussi « exotique » – c’est-à-dire inconnu – que ne l’était l’Espagne au début du 19ème siècle !
Ensuite, Dmitri Tcherniakov déplace le projecteur – au sens propre du terme – de la belle gitane vers le beau brigadier. Avant de crier au scandale et à la trahison, il est également utile de revenir à la perspective historique en regard des textes du recueil de Mérimée dont est extrait Carmen que les spécialistes de la littérature qualifie de « roman picaresque ».
Car, la nouvelle de Mérimée est incontestablement centrée sur le personnage de Don José. Ce dernier raconte ses démêlés amoureux avec la belle gitane à un archéologue rencontré par hasard dans une taverne en Andalousie qui va se lier d’amitié avec lui…..au point de lui porter des cigares en prison !
Le récit des amours volcaniques de Don José n’occupe exclusivement que le troisième chapitre de la nouvelle qui en comporte quatre. A la fin du récit consacré à Don José, le brigadier est en prison condamné à mort pour de multiples forfaits, meurtres et trafics. Au seuil du garrotage, Don José demande au narrateur d’aller porter, après son exécution, une médaille à un femme en Navarre dont l’identité n’est pas précisée mais dans laquelle il est raisonnable de voir la mère du Brigadier.
On ne peut donc pas raisonnablement accuser [**Dmitri Tchnerniakov*] d’infidélité iconoclaste ou de transposition hasardeuse. Il fait un retour quasi méthodique au texte lui-même mais inverse, pour le coup, la vision de [**Henri Meilhac*] et [**Ludovic Halévy*] – les librettistes – qui, eux, avaient centré l’intensité dramatique et le fil de l’action sur le personnage de Carmen qui est, inutile de le dire, nettement plus spectaculaire que le falot Don José. Pour harmoniser, doser et atténuer un peu le côté noir, morbide et sulfureux de Carmen, ils avaient créé un personnage pur et solaire en la personne de Micaëla qui, malheureusement, n’entrava pas les réactions hostiles du public et des critiques qui, on le sait, brisèrent Georges Bizet pour qui cette œuvre était probablement beaucoup plus personnelle qu’exotique.
[**Dmitri Tcherniakov*] reprend à son compte en l’amplifiant le point de vue psychologique choisi et conduit avec finesse par [**Meilhac*] et [**Halévy*]. S’ils font de Don José un être falot, faible et sans charisme, manquant de virilité, indécis et versatile qui tombe sans se défendre comme l’agneau de la fable entre les griffes du loup ; le metteur en scène accentue encore cette dimension. Il fait de Don José un être déprimé, tourmenté, mal dans sa peau qui tente désespérément de couper le cordon qui le relie à sa mère qui, au loin, a décidé et de sa vie et de ses choix amoureux. Tcherniakov fait alors un prodigieux saut dans le temps puisque Don José, au début de l’œuvre, arrive à la clinique psychiatrique poussé par une femme – Micaëla – dont on comprend qu’elle est la sienne qui n’en peut plus de son mal-être et de la distance qu’il installe entre eux ! Don José est absent à la vie.
Le jeu est au cœur de la mise en scène et du parti pris envisagé par le metteur en scène.
Mais au lieu d’un jeu pervers et morbide qui est celui que la belle gitane utilise dans l’œuvre de Bizet où l’héroïne exerce une emprise sans partage sur le brigadier – donc plutôt dans le sens de la destructivité – le jeu est ici mis au service de la guérison : donc plutôt dans le sens de la vitalité.
Don José va effectivement mais progressivement succomber aux charmes provocateurs de cette femme fascinante mais, pour lui, inatteignable. Carmen, en brave comédienne, va jouer voire surjouer cette séduction comme si elle voulait réveiller d’un long sommeil ce qui pourrait être le « beau au bois dormant ». Don José va alors pouvoir avoir accès à ses émotions, ses affects et probablement ses pulsions. Enfin !
Il a rompu ses chaînes et brisé la digue qui, à l’intérieur de lui emprisonnaient son affectivité. Il peut sortir de l’état comateux et morbide et connaître le vertige de ceux qui, longtemps emprisonnés dans le noir, sortent du cachot en pleine lumière. Il est aussi alors comme « un homme ivre » car il sort d’une prison pour rentrer dans une autre. Pris au piège de ce vécu intense auquel il est confronté, il va reporter sur le personnage de Carmen ce que[** Freud*] a subsumé sous le vocable de transfert : c’est-à-dire un amour imaginaire qui se répète et se poursuit mais qui exclut le champ de la réalité Il est alors vécu par lui comme indissoluble, inaliénable et perpétuel. A l’image de l’amour maternel et de la relation à la mère que rien, au départ, ne laisse augurer la fin mais dont il faut un jour faire le deuil.
Et l’opéra – dans la mise en scène de [**Dmitri Tcherniakov*]- se termine non pas sur le cadavre de Carmen tenu par les mains ensanglantées du brigadier mais sur l’image de Don José dans les bras de Micaëla tel un enfant meurtri et perdu qui doit affronter le vaste et terrible monde.
[**Il faut bien sûr, pour un tel projet, une distribution de haut vol*].
[**Stéphanie d’Oustrac*] allie à la fois les qualités lyriques que les amateurs lui connaissent depuis longtemps et qui l’aide dans cette prise de rôle. Mais elle déploie surtout un art du jeu subtil où elle ne refuse pas d’aller jusqu’au second degré qui consiste à jouer en faisant comprendre qu’on joue. Ce qui va tout à fait dans le sens de la mise en scène.
[**Michael Fabiano*] campe aussi pour la première fois un Don José que la mise en scène veut différent. Les habitués des retransmissions du Metropolitan Opera de New York connaissent ce ténor américain qui, aux côtés de [**Sonya Yoncheva*], donna une interprétation habitée d’Alfredo dans La Traviata de [**Verdi*] (2017). Si l’expression « donner tout » a un sens, elle décrit scéniquement l’incroyable présence de ce chanteur qui termina, éberlué, sa prestation comme perdu entre le rêve et la réalité. Son grand air « La fleur que tu m’avais jetée » était à l’égal des plus grandes versions.
Il faudrait citer toute la distribution :[** Elsa Dreisig*] en Micaëla, Michael Todd Simpson en Escamillo, Frasquita : [**Gabrielle Philiponet*] et Mercédes : [**Virginie Verrez*] ainsi que [**Mathias Vidal*] en Remendado et le Dancaïre de [**Guillaume Andrieux*] que les habitués de l’Opéra Théâtre de Metz Métropole ont entendu dans l’opéra de [**G.C. Menotti*] « Le téléphone » au cours de la saison 2017.
Les applaudissements nourris du public saluèrent répétitivement de plusieurs rappels les saluts de tous les artistes.
Le[** Chœur Aedes*] se déploie dans une ligne originale où la formation est moins « chœur » habituel ponctuant l’action aux moments ad hoc que personnage à part entière de l’opéra ou diffracté en de multiples petits rôles.
La direction musicale de[** Pablo Heras-Casado*] dirigeant l’Orchestre de Paris tire bien évidemment la partition vers les couleurs hispaniques et suit pas à pas les mouvements scéniques d’une mise en scène qui, à certains côtés, est aussi une mise en abyme.
Au début de mon texte, j’avais inscrit « Don José » de [**G.Bizet*] pour suggérer qu’une œuvre de l’envergure de [**Carmen*] ne peut vraisemblablement pas se réduire aux seuls clichés que suggère le titre. Elle recèle, à n’en pas douter, d’infinies richesses qui n’ont pas fini de donner du travail comme dans la nouvelle de [**Mérimée*]….aux archéologues…. dont font apparemment partie certains metteurs en scène.
Et puis n’oublions peut-être pas qu’il y a certainement plus de personnel qu’on ne le croit dans cette œuvre. N’y-a-t-il pas un peu – beaucoup ? – de [**Bizet*] dans ce Don José ?
L’intégral de cet opéra présenté lors du Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2017 est accessible sur ARTE en rediffusion (Cliquer)
Festival d’Aix-en-Provence.
[**Carmen*]
dates des représentations : les 4, 6, 8, 10, 13, 15, 17 et 20 Juillet à 19h30
Contact : redaction@wukali.com
WUKALI 08/07/2017
Illustration de l’entête: Michael Fabiano dans le rôle de Don José. Capture d’écran ©ARTE.Carmen, Festival d’Aix-en-Provence 2017