The progenitor of modern sculpture


[**Auguste Rodin (1840-1917)*], génie universel de l’art tridimensionnel, est à classer au firmament des sculpteurs, au rang des plus grands : [**Ghiberti, Donatello, Verrocchio, Michel-Ange, Bernin, Canova, Bourdelle et Brancusi*]. Son œuvre est représentée dans tous les musées importants du monde ; spécialement au musée Rodin de Paris (hôtel Biron) et à la Villa des brillants à Meudon, où il vécut, et qui lui servit de dépôt.
Il est à l’origine de la sculpture moderne. Il nous a laissé une production immense car sa capacité de travail, comme son sens inné de l’organisation, était incommensurable. De ce fait, il ne finissait pas toujours ce qu’il avait commencé, la Porte de l’Enfer en est l’exemple.

Dans son atelier, des artistes tels que [**Bourdelle, Desbois, Pompon*] ou [**Camille Claudel*] exerçaient leur art, sous sa direction exclusive et tyrannique. Son œuvre est considérable et multiple : héritier des humanismes de la Renaissance et de l’Antiquité classique, sa créativité multiforme fut une synthèse baroque de tout ce qui avait existé avant lui, fusionnant en une symbiose personnelle romantisme et impressionnisme, au cœur d’une expression plastique où dominent sa sensualité exacerbée, son érotisme latent de «  bouc sacré »* et une douleur permanente quasi-mystique.

Il naquit dans un milieu modeste. Sa myopie et son désintérêt pour les études firent que son manque de culture l’handicapa longtemps. A tel point qu’il lui fallut visiter Florence, en 1875, pour prendre conscience de cette carence. Élève de « la petite école »(par opposition aux Beaux-Arts), il fut profondément influencé par son premier maître, [**Lecoq de Boisbaudran*], dont la méthode consistait à faire s’épanouir l’esprit individuel de chacun.

Olécio partenaire de Wukali

En 1855 il découvre la sculpture avec l’animalier [**Barye*], puis avec [**Albert Carrier-Belleuse*], dont il intégrera l’atelier vers 1865. Toute sa vie, il se revendiquera comme «  élève de Carrier-Belleuse ». Cette même année vit le refus au salon de «  L’homme au nez cassé »…

Un long séjour en Belgique (1870/76) fut entrecoupé, en 1875, de son premier voyage en Italie (Turin, Gênes, Venise, Florence, Rome et Naples) où il découvre Donatello et Michel-Ange. Sa vision de l’art en sera enrichie, bouleversée, transformée. A son retour en France, il va à la rencontre des cathédrales, la plus précieuse des études sur l’art tridimensionnel français. Sa formation d’autodidacte est alors achevée.

En 1877, à l’âge de 37 ans, il présente sa première œuvre magistrale : « L’Âge d’airain ». C’est un scandale : on l’accuse d’avoir moulé sur nature, pratique déloyale à l’époque. Pourquoi une telle réaction ? La vie qui en émane, le naturalisme idéalisé que le sujet exprime, sont aux antipodes de l’art académique enseigné à l’école des Beaux-arts ! Les pontifes de la tradition du Prix de Rome sont complètement dépassés par ce qu’ils voient, ne comprennent pas et refusent d’admettre. Rodin aura toutes les difficultés pour faire reconnaître sa bonne foi mais il y parviendra et recevra, pour ce sujet, la seule récompense officielle de toute sa carrière : une médaille de troisième classe…

Suivront bien des chefs d’œuvre : La porte de l’Enfer, Le baiser, Saint-Jean Baptiste… Jusqu’à l’explosion du scandale final : son[** Balzac*] pour la Société des gens de lettres en 1897.

On ne présente pas [**Honoré de Balzac*] (1799-1850), qui fut écrivain, romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d’art…|left>

Il a créé une œuvre romanesque d’une densité, d’un fourmillement de vie, absolument incroyables : 90 romans et nouvelles parurent entre 1829 et 1855. L’ensemble fut regroupé sous le titre générique : « La Comédie humaine ».
Cela va du roman philosophique : « Le chef d’œuvre inconnu », au roman fantastique : « La Peau de chagrin », en passant par le roman poétique : « Le Lys dans la vallée », et bien d’autres…

L’ampleur du personnage, au sens propre comme au sens figuré, ses triomphes et ses échecs, son influence incommensurable sur des générations d’écrivains, son inimaginable vitalité malgré ses déboires financiers, tout cela a créé une « légende dorée » qui a fait oublier le vrai Balzac, génie universel. C’est cet homme-là que Rodin va chercher à retrouver et à caractériser le mieux possible. Ce sera son chemin de croix comme la marque de son triomphe, posthume!

La commande en fut passée en [**1891*] à Rodin par la Société des gens de lettres, sous la férule de [**Zola.*] Très vite, le sculpteur se prend d’une passion sidérante pour son sujet : il se livre à des études de détails et à des recherches iconographiques très poussées, voire excessives ou carrément délirantes. |left>

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les images du romancier sont peu nombreuses : un portrait de [**Deveria*], un pastel de [**Séguin*], un dessin à la sépia de [**Boulanger*], une médaille de [**David d’Angers*]. Au musée de Tours, Rodin découvre le portrait au pastel de [**Court*]. Et, surtout, [**Nadar*] lui confie un daguerréotype de Balzac pris par [**Brisson*] en 1842. Il ira même à Bruxelles pour regarder de près la main de l’écrivain moulée d’après nature.

Les caricatures d’époque, notamment celle du Charivari représentant Balzac dans sa célèbre robe de chambre blanche de dominicain, lui donneront l’idée de retrouver un ancien tailleur de l’auteur, auquel il commandera différents vêtements lui permettant la mise en place de son sujet : taille, silhouette, corpulence.

Littéralement ensorcelé, il réalisera de nombreuses études de nus de son Balzac. Toutes ces recherches vont provoquer un retard inacceptable pour la Société des gens de lettres et, en 1898, après le départ de Zola du poste de président de la dite société, le sculpteur sera dessaisi de la commande, au profit de [**Falguière.*]|right>

On a du mal à imaginer le tollé du public, comme des critiques, au salon de 1898, à la vision du sujet présenté par Rodin, qui reversa les acomptes perçus, ce dont il était peu coutumier. C’est un scandale certes, mais aussi une cabale qui se manifeste par des campagnes de presse orchestrées contre l’artiste. Les opposants allant jusqu’à confondre la défense de la statue avec celle du [**capitaine Dreyfus*]. A ce propos, la vérité c’est que Rodin ne fut dreyfusard, dans la mesure où il le fut, que par intérêt personnel…

Le fond du problème ? La puissance, incontrôlable et incontrôlée, du génie du sculpteur : bien en avance sur son temps, il savait avoir l’éternité pour lui. Prophète à ses heures, il écrira, en 1908, : « cette œuvre dont on a tant ri, qu’on a pris soin de bafouer parce qu’on ne pouvait pas la détruire, c’est la résultante de toute ma vie et le pivot de mon esthétique  ».

Nous sommes là au cœur du problème posé par Rodin aux autorités artistiques de l’époque : trop novateur, le monument jetait aux orties toutes les convenances traditionnelles de représentation des grands hommes. Ce que Rodin voit dans son Balzac c’est l’expression du génie universel, bien plus que celui de l’écrivain : une tête quasiment léonine surmonte un corps basculant vers l’arrière, drapé dans une immense robe de chambre devenue robe de bure du moine Balzac. Quant à ses détracteurs, ils sont passés aux oubliettes de l’Histoire…|center>

Le polémiste [**Henri Rochefort*], pas toujours aussi perspicace, écrira une phrase qui résume toutes les recherches du sculpteur « Jamais on n’a eu l’idée d’extraire ainsi la cervelle d’un homme et de lui appliquer sur la figure !  ». C’est dire combien il s’agit d’un portrait moral, pas d’un portrait physique. C’est ce qui s’appelle une révolution esthétique.
Revenons à l’œuvre : il existe plusieurs états différents de la sculpture mais seulement deux versions finales : celle du musée Rodin et celle du carrefour Vavin, croisement du boulevard Raspail et du boulevard du Montparnasse, qui fut installée là en 1939, soient vingt-deux ans après la mort du « maître de Meudon »…

Celle du musée Rodin, la référence, est en bronze et mesure 270 cm de hauteur. Sa base de bronze a une largeur de 120 cm. Un piédestal nous la montre en hauteur, dans sa plus grande magnificence. Pratiquant l’assemblage d’éléments préexistants, ayant travaillé la tête et le corps indépendamment, Rodin unit une tête caractérisée, aux traits expressifs énergiques, et un corps où la forme se dilue en une myriade de variations que rend majestueusement la robe de chambre, laissant peu visibles les chaussons couvrant les pieds du Balzac.

Le visage offre la vision d’un menton volontaire orienté vers l’avant, en opposition avec le corps ; tandis que son nez au vent, d’essence romantique, montre deux narines « dans l’acte d’inspiration  » au sens littéral du terme, que des moustaches courtes vibrent au-dessus de lèvres minces et qu’un cou trop allongé porte une gorge épaisse : aspect baroque certain.

Aucune lourdeur dans les plis du vêtement qui, à lui seul, oblige le spectateur à tourner autour de la sculpture pour en prendre possession visuelle. C’est donc une œuvre tridimensionnelle cinétique.

Les bras du romancier sont cachés à l’intérieur de la robe de chambre dont une manche apparaît vide, telle celle d’un manchot. On n’y trouve aucun des attributs classiques de l’écrivain : livre, plume, siège. Pas plus que l’expression des sentiments sur le visage : aucune concentration intellectuelle, aucune tendance à la rêverie. Ce titan est un rocher dressé, tel un menhir résistant à la pire des tempêtes. Il incarne à merveille le génie visionnaire de Balzac, avec sa robe de moine, avec ses yeux enfoncés au fond d’orbites gigantesques, avec le regard du créateur qui invente son monde, avec la force de l’inspiration qui s’extériorise.

Ce monument de l’art sculpté, au-delà de la représentation de l’écrivain, est un hymne au génie humain, d’un optimisme formidable, indéfectible et inaltérable. Ce qui implique des conséquences: jusqu’à ce moment de sa carrière, Rodin a exprimé douleur et pessimisme, profondément, dans toutes ses créations. Mais ici, pour la première fois, c’est sa verve positive qui l’emporte, le hissant au niveau de son modèle : Michel-Ange.

Mais le Balzac marque aussi un point de rupture avec l’art classique et annonce le renouveau au creuset de l’art moderne : sans [**Rodin*], le génie de [**Brancusi*] est inexplicable, le Roumain le reconnaîtra d’ailleurs, sans ambages.|right>

Devant le battage de ses ennemis, l’artiste décidera du retrait du modèle présenté au salon de 1898. Il enfermera l’œuvre dans sa villa de Meudon, allant jusqu’à cacher ce fantôme sous une montagne de couvertures et de linges protecteurs. Désormais, il refusera de la découvrir. Ce n’est qu’en 1926, après la mort du sculpteur, que [**Judith Cladel*], sa biographe, obtiendra de faire couler en bronze le sujet.

Aujourd’hui cette triste page d’Histoire de l’Art est bien tournée mais les critiques comme le public, une fois de plus, ont été aveugles, sourds… Mais pas muets !

Pour finir, laissons la parole à Rodin :

« Je ne me bats plus pour ma statue, elle se défend elle-même. Si la vérité doit mourir, mon Balzac sera mis en pièces par les générations futures. Si la vérité est impérissable, je vous prédis que ma statue fera du chemin  »

[** Jacques Tcharny*]|right>


*Grand Larousse encyclopédique, volume 17, Paris 1976, page 10489.


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WUKALI 29/08/2017

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