A famous French sculptor of the XIXth century
Le « Michel-Ange de la ménagerie » comme le surnommait [**Théophile Gautier*], plus célèbre comme sculpteur que comme peintre, [**Barye*] est né et a vécu à Paris. Ce merveilleux animalier était un ami de [**Delacroix,*] avec qui il allait observer et dessiner les fauves au Jardin des plantes, pendant des heures, dans les années qui suivirent la prise d’Alger (1830). Doté d’une rigueur scientifique incontestable, il alla jusqu’à assister aux dissections des bêtes mortes pour en saisir l’essence intime. Il fut le seul artiste animalier de son époque à agir ainsi. Au fur et à mesure qu’il approfondissait ses recherches sur l’aspect des grands félins, son sens aigu de l’observation l’entraînait vers la peinture. Ses lions, ses tigres, et autres carnivores, finirent par se mouvoir dans des paysages exotiques très énergiquement et très exactement rendus.
C’est au Jardin des plantes qu’il apprendra à rendre de manière concrète la nature : fourrures soyeuses que le spectateur croit pouvoir toucher, saisies des mouvements devenant vérité du sujet, reproductions à l’identique du tempérament sauvage de ses fauves magnifiques : on devine leurs musculatures sous leur peau. Barye n’était pas prisonnier de ses découvertes car capable de recréer la nature en atelier, par son talent hors-pair.
Au salon de 1831, il présenta « Tigre dévorant un gavial », œuvre particulièrement agitée et démonstrative qui le fit reconnaître comme le premier des sculpteurs romantiques, ce qu’était déjà son ami Delacroix en peinture. Dans ces années 1830, son tempérament romantique s’extériorise par ses réalisations de combats d’animaux : chasses diverses, tigre terrassant un gavial, lion dévorant une antilope…L’exotisme et le médiévisme habitent son œuvre, à l’instar des autres romantiques.
En 1833, le roi[** Louis-Philippe*] lui commanda un groupe pour les Tuileries. Ce fut « le lion au serpent » que le public interpréta comme un ralliement à la monarchie de juillet : la sculpture était une allusion flagrante à l’ordre royal écrasant les factieux de tout poil. Rappelons que le régime fondé par Louis-Philippe suscitait alors un assez fort discrédit, qu’il fut sauvé par l’épidémie de choléra de 1832, au cours de laquelle le Prince héritier [**Ferdinand-Philippe d’Orléans*] se comporta héroïquement en restant à Paris, prenant tous les risques pour aider le peuple dans cette terrible épreuve. Le plâtre présenté au salon triompha, comme ce devait être le cas pour le bronze au salon de 1836.
Ce lion puissant, écumant de colère, la gueule ouverte, bloque un serpent sous sa patte énorme. L’ophidien, aux crocs venimeux visibles dans sa bouche ouverte, la face rejetée en arrière, prêt à mordre, siffle avant l’attaque. L’expression naturaliste du sujet en fit son succès. Ce combat devient allégorie de celui du bien (le lion) contre le mal (le serpent). L’artiste attrape un instant où l’action est fixée, car une lutte impitoyable va se déclencher dans la seconde suivante. Le mammifère domine son adversaire mais il s’en méfie comme le démontrent sa crinière dressée, ses griffes déjà apparentes, sa queue nerveuse, son faciès de détestation totale. Quant au reptile, il n’est pas en reste avec son long corps musclé parcouru d’une violente énergie « électrique ». Mais le roi de la savane, aux narines gonflées, aux yeux exorbités, aux moustaches suant la haine, à la patte monstrueuse, va faire front… Le vrai sujet, on le sent bien, réside ailleurs que dans cet affrontement, aussi titanesque soit-il. Ce que voit le spectateur impressionné, ici, c’est la tragédie suprême : le duel de la vie contre la mort ! Sujet romantique s’il en est…
Citons le commentaire enthousiaste d'[**Alfred de Musset*] : « Le lion en bronze de Monsieur Barye est effrayant comme la nature. Quelle vigueur et quelle vérité ! Ce lion rugit, ce serpent siffle… ».
Il fut reçu à l’Institut en 1868, malgré l’opposition de certains. Les dix dernières années de sa vie furent celles de l’abondance et de la reconnaissance officielle de son génie.
Trouvant le marbre inapte à rendre l’instantané, le mouvement, et surtout l’essence romantique de son ressenti, il ouvrit sa propre fonderie et vendit lui-même son travail, notamment à une riche clientèle internationale. Dans son atelier d’artisan, il pratiquait la spécialisation, chaque ouvrier ayant la sienne : fondeur, mouleur, ciseleur, ré-pareur ( qui nettoyait la sculpture brut de fonte de tous les ébarbages et autres impuretés), patineur… Exigeant et perfectionniste, il insufflait la vie à ses bronzes par ses patines spécifiques, allant du brun clair au rouge affirmé, qu’il posait toujours aux endroits adéquats, efficaces.
Les finitions de ses pièces sont stupéfiantes : en les regardant de près, on entrevoit de minuscules saillies. Elles ne sont pas dues à un reprise de la ciselure après fonte mais préexistantes dans le modèle utilisé, permettant toutes les variations possibles de la lumière dans son « illumination » du bronze.
Profondément républicain, il se lia d’amitié avec le populaire Prince héritier Ferdinand-Philippe d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, tragiquement disparu dans un accident de circulation (1842). C’est pour lui qu’il réalisa son fameux surtout de table, chef d’œuvre des arts décoratifs du temps.
Plus tard, il devint le sculpteur favori de [**Napoléon III*] pour lequel il créa des pièces monumentales : la Paix, la Guerre, la Force, en décor au palais du Louvre ainsi que la statue équestre de Napoléon Ier à [**Ajaccio*]. Grâce à l’Empereur, il obtint un atelier au Louvre. Il devint professeur de dessin de zoologie au Muséum.
Les années 1850/1860 voient la multiplication des éditions de ses œuvres, qui figurent dans les collections de tous les musées importants du monde.
Dès le second Empire, Barye subit la rançon du succès : les tirages non-autorisés de ses créations pullulent. Un moment lié avec l’éditeur[** Émile Martin*], ce dernier fabriquera, en nombre extravagant, certains modèles sans l’en informer. Naturellement, la meilleure qualité se rencontre avec les bronzes issus de son atelier, portant cachet.
La vente après décès dudit atelier, aux enchères, dispersera ses modèles. La majorité des œuvres y fut acquise par le marchand [**Brame*] et l’éditeur [**Barbedienne*] qui continuèrent à fournir le marché, très friand des sujets de Barye. Leurs fontes portent la marque de Barbedienne. Notons une variante recherchée de nos jours : le « cachet-or », les lettres FB sur fond rectangulaire jaune, qui impliquerait que l’objet faisait partie des collections Brame ou Barbedienne…
Si cet éditeur conserve une bonne tenue dans ses tirages, qui n’atteignent pas la qualité de ceux issus de l’atelier Barye, que dire d’autres bien moins scrupuleux ? Certains feront des retirages, sans droits ni autorisation, de modèles authentique de plus ou moins belle facture, tandis que d’autres appliqueront la signature du maître sur des œuvres auxquelles l’artiste était complètement étranger et que des personnages encore moins honnêtes pratiquèrent le surmoulage (partir de bronzes existants, en prendre l’empreinte pour fondre une nouveau tirage de X exemplaires. Ces derniers se reconnaîtront à la rétraction du métal les composants).
Comme le disait le regretté [**François Fabius*] : « Barye, victime de son succès, a été copié dès le début du siècle »…
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WUKALI 11/08/2017 (Précédemment publié le 16/01/2017)
Illustration de l’entête: A-L Barye. La chasse au tigre, surtout de table (70.5 × 62 × 37 cm)