For all Rossini’s Lovers, Pesaro his dedicated Festival


[**Pesaro*], au bord de l’Adriatique, est la ville natale de [**Rossini*] qui lui rend hommage depuis 21 ans par un festival qui attire un public cosmopolite. C’est [**Gianfranco Mariotti*] qui veille à ses destinées administratives et artistiques.

Si des changements structuraux dans l’équipe administrative du festival se sont apparemment produits, des modifications artistiques – comme le retrait de l’Orchestre et des choeurs du Teatro Communale de Bologne – ont eu lieu au profit de l’Orchestre National de la R.A.I. Mais, il est trop tôt pour juger avec sérénité de l’impact de ces nouvelles dispositions sur le devenir artistiques du Festival.

Est-ce Pesaro qui ressemble à Rossini – petite ville coupée en deux entre un centre historique aux vieilles pierres et un bord de mer très « seventies » ou Rossini qui ressemble à Pesaro puisque le maestro coupa sa vie en deux à 37 ans en tirant un trait sur une vie hyperactive de compositeur d’opéras ? Peu avant cet arrêt, il quitte l’Italie où il est un compositeur reconnu qui brille sur les scènes du Sud – Naples – et du Nord – Milan et Rome – pour s’établir peu après à Paris. Après encore quelques productions opératiques créées en France, il n’écrira plus que de la musique symphonique ou religieuse et ses célèbre Pêchés de vieillesse. Il sera l’un des premiers à vivre de ce qui fit son heureuse apparition : les droits d’auteurs.

Olécio partenaire de Wukali

Le «cygne de Pesaro» laissait une importante production malgré la brièveté de sa période créatrice. Pas moins de 41 œuvres lyriques qui alimentent en évitant les redites la programmation d’un festival qui, jusqu’alors, fait un louable et remarquable effort pour proposer une programmation qui visite l’ensemble de la production rossinienne. Des opéras, des récitals, de la musique symphonique et religieuse s’éclatent dans les différents lieux scéniques. Sans oublier l’Accademia Rossini et le Festival giovane !
Elle permet à de jeunes artistes triés sur le volet de se perfectionner à l’art du chant rossinien. Traditionnellement, ces jeunes chanteurs se produisent à deux reprises au cours du festival dans une production du « Viaggio a Reims » dont la mise en scène se transmet d’année en année depuis à peu près 12 ans. La multiplicité des rôles à distribuer dans cette œuvre est une heureuse aubaine pour l’Accademia Rossini puisqu’à proprement parler il n’y a pas de premier rôle et chacun peut y aller de son morceau de bravoure. C’est effectivement stimulant mais peut se réveler un exercice difficile voire un impitoyable moment de vérité comme cette année avec le tenant du rôle périlleux du Conte di Libenskof!
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Pour combler cette impression d’examen de passage risqué, il n’est pas rare de retrouver certains de ces lauréats de l’Accademia et du Festival giovane distribués, après quelques saisons, dans les productions du festival. C’est le cas précisément d’[**Aya Wakizono*] qui souleva l’enthousiasme en 2014 dans le rôle de la Marchesa Melibea et qui campe en 2017 celui de la Marchesa Clarice dans la Pietra del Paragone. Tout comme [**Davide Luciano*] (2012) et [**Maxim Mironov*] (2001) qui lui donnent la réplique dans la même production.|center>

Cette volonté de perpétrer l’art du chant rossinien est probablement une très heureuse initiative et l’une des belles missions que, très rapidement, le Festival Rossini s’est donné. Il ne s’agit donc pas « simplement » de rassembler des spectateurs et de « faire le show » ! Il y a incontestablement une visée pédagogique à deux volets qui vise, selon moi, tant le public que les artistes qui collaborent chacun à leur manière mais avec fougue à la renommée internationale de ce Festival.

D’abord en direction du répertoire par le travail de la Fondazione Rossini qui, en collaboration avec l’[**éditeur Ricordi*], s’attellent à un travail d’édition critique des œuvres remises au programme en fonction des documents qui sont retrouvés çà et là. Ce travail s’accompagne de la publication de livrets très documentés.

Ensuite, par la transmission d’un art de chanter qui fait la part belle au Belcanto mais pas seulement ! Il me semble que la chose est plus complexe.

En effet, [**Rossini*] a été un admirateur passionné de l’art des castrats. Il écrivit pour l’un des plus célèbres d’entre eux [**Giovanni Velutti*] le rôle d’Arsace dans Aurelio in Palmyra que le Festival Rossini mit à l’affiche en 2014 avec [**Michael Spyres*] dans le rôle-titre. Cette vélocité vocale pour fascinante qu’elle soit tient à l’opération mutilatrice que ces enfants choisis pour leur voix cristalline subissait avec l’accord de leurs parents. Ils gardaient donc cette voix pure qui n’avait pas subi les transformations dues à la modification hormonale qui entraîne, chez les garçons, la mue. On peut raisonnablement se demander si Rossini n’a pas eu la nostalgie des possibilités vocales de ces castrats qui réalisaient grâce à leur voix enfantine et cristalline des pyrolyses incroyables que l’on retrouve dans les partitions des ténors rossiniens. Cela signe leur son caractéristique comme on peut l’entendre chez deux de ses représentants les plus fameux : [**Juan-Diégo Florez*] ( dont Pesaro a fêté les 20ans de collaboration en 2016) et [**Michael Spyres*], fréquemment à l’affiche du Festival et qui était en récital dans l’édition 2017.|right>

L’éclat du Cygne, comme le suggérait mon titre, n’est pas prêt de se transformer en chant du cygne !

Torvaldo et Dorliska, un opéra créé sur un livret de [**Cesare Sterbini*] au Teatro Valle à Rome le 26 Décembre 1815 correspond au schéma type de l’opéra. Un méchant duc – le baryton [**Nicola Alaimo*] – veut absolument séduire ou plus exactement s’approprier par la force une soprano – [**Salomé Jicia*] – et doit pour parvenir à ses fins exterminer son mari : le ténor [**Dmitry Korchak*]. C’est sans compter sur le fort caractère de Dorliska et sur l’aide discrète mais efficace du propre valet du Duc – la basse de [**Carlo Lepore*] – qui finira par dénoncer les vils agissements de son maître qui finira dans la prison où il avait cloîtré le pauvre Torvaldo.

Imaginez un décor très construit reproduisant la forêt de laquelle surgiront des hommes en armure d’époque, des paysans en colère et en haillons munis de fourches et de serpettes, la cour d’un château où se déploient des tables et des chaises et où virevoltent les jolies robes des femmes et scintillent les pourpoints des hommes… Pour une mise en scène – on serait tenté de dire une mise en action tant le rythme colle à la musique – de **Mario Martone*], metteur en scène d’opéra récompensé par l’[International Opera Award en 2014 pour sa mise en scène de la très belle production d’Aureliano in Palmyra en 2014 à Pesaro avec Michael Spyres dans le rôle-titre.


Dirigés par [**Francesco Lanzillotta*], le plateau vocal donne toute la mesure de son talent tant dans les rôles masculins que féminins. Cette homogénéité dispense dans l’écrin de la mise en scène un bonheur délicieusement traditionnel, un peu passéiste mais terriblement opératique… et agréable! En plus de la dimension pédagogique car il y a fort à parier que l’on peut imaginer cette œuvre au moment de sa création telle qu’elle se déploie sous nos yeux.

On change radicalement de registre avec la mise en scène du Siège de Corinthe confiée à la Fura dels Baus collectif catalan.

Cet opéra est la version française adaptée pour Paris du Mahomet II composé par Rossini en 1820 et créé à Naples. Il sera créé à Paris à l’Académie Royale de Musique le 9 Octobre 1826.

Il va de soi que l’opéra, en raison de sa création à Paris, comporte comme le voulait la tradition d’importants ballets -au moins quatre dans la version du Siège de Corinthe – qui certes ralentissent l’action mais peuvent être une remarquable opportunité pour développer des aspects esquissés dans l’opéra proprement dit : l’affliction des assiégés, la rage des assaillants, la souffrance des êtres séparés…

Bien que n’étant ni du côté des assaillants, ni du côté des assiégés, le Siège de Corinthe était, pour le spectateur, éreintant et surtout épuisant d’ennui !

Le parti-pris de la mise en scène de la Fura dels Baus et son fil rouge étaient de grosses bombonnes d’eau telles que celles qu’on utilise dans les fontaines automatiques des entreprises ou des centres commerciaux. Elles étaient lumineuses et transportées avec difficulté bien que peu remplies par les chœurs qui les déversaient dans un grand réservoir souterrain. Elles constituaient également le décor de la muraille déchiquetée censée protéger les corinthiens. Elles s’effondreront de manière assez prévisible à la fin de l’œuvre. Vous aurez probablement compris que l’eau quand on est assiégé est un problème crucial qui a fait rendre l’âme à de nombreux camps retranchés ! Elle est donc précieuse et rare. |center>

Les mouvements de troupe symbolisés par les chœurs pléthoriques étaient rendus quasiment illisibles car les choristes comme les chanteurs censés symbolisés les deux partis adverses étaient habillés de façon assez uniforme dans une tenue finalement assez joyeuse qui est à la guerre ce que le tutu est aux exercices militaires avec, toutefois, un regard appuyé vers les années 70 ce que nous allons retrouver peu après.

Tout peut malgré tout se regarder et s’accepter jusqu’à l’épisode des ballets qui, il est vrai, fige l’action. Pour, en remplacement des intermèdes dansés, nous faire regarder – en écoutant fort heureusement la superbe musique de Rossini – des projections psychédéliques que n’aurait pas renié dans les années 70 le groupe anglais de progressive music Pink Flyod. Mais ces projections « artistiques » étaient traversées de mouvements saccadés – des mouvements de tempête?- ou violents – comme la violence de la guerre – voire d’images de détritus symbolisant l’horreur des champs de bataille qui heurtaient l’écoute. Une citation d’un poème en vieil anglais de [**Lord Byron*] venait agrémenter ces projections…même si le [**Siège de Corinthe*] du poète écrit en 1816 a peu à voir avec le contenu de l’opéra.

Si l’on ne fermait pas les yeux, on risquait d’être pris de nausées ou de finir hypnotisé par le mouvement imprimé aux images qui défilaient. Jusqu’au moment où un groupe de « danseurs » entraient pour simuler, sur la musique du dernier ballet, des exactions d’une grande violence pour rappeler probablement que la guerre mobilise à l’intérieur de l’humain les instincts les plus bas et les passions les plus abjectes. Ce dont, je suppose, la salle non totalement remplie était dans sa majorité convaincue !


On est alors pris de compassion pour le très beau plateau vocal qui toutefois ne maîtrise pas vraiment la langue française dans laquelle cette version de l’opéra est obligatoirement chantée. [**Lucas Pisaroni*] dans le rôle de Mahomet II, [**John Irwing*] en Cléomène, [**Sergey Romanovsky*] et [**Nino Machaidze*] – malgré une bonne volonté évidente et une énergie manifeste défendent la partition avec cœur mais en butant sur la musicalité typique de la langue française. Ils semblent, de plus, perdus et peu à l’aise vraisemblablement en raison d’une direction d’acteurs que l’on imagine minimaliste pour ne pas dire inexistante au milieu de mouvements d’ensembles dont il n’est pas évident de comprendre le sens ou la portée .

Quelques huées ponctuèrent la représentation.

On peut simplement regretter que l’équipe de mise en scène n’ait pas lu les commentaires de l’édition critique éditée par la Fondazione Rossini. Car il n’a pas été tenu compte du contexte historique en jeu lors de la création de cette œuvre à Paris. Elle est très paradoxale et assez inattendue lorsqu’on l’accole à Rossini qui est associé souvent à la fête ainsi qu’à la légèreté. Mais Rossini comme son librettiste [**Luigi Balocchi*] avaient apporté leur soutien à une éventuelle intervention militaire pour soutenir le mouvement d’indépendance de la péninsule hellène.

En effet, au moment de la création de l’œuvre à Paris, la Grèce – donc les Corinthiens – se libérait d’un joug vieux de deux siècles : celui que les Turcs imposait à la Grèce. En 1826, le siège de Missolonghi est l’un des épisodes les plus meurtriers de la guerre d’indépendance grecque qui dura de [**1821*] à [**1829*]. Les Grecs contemporains fêtent cette date avec solennité et recueillement et font défiler, chaque année, leurs enfants pour perpétrer le souvenir de cette page historique et sanglante. Au moment de la création de l’œuvre de Rossini, des mouvements de sympathie sont nés autour de l’œuvre dans la presse pour promouvoir la cause des Grecs et soutenir leur combat et leur volonté de libération de ce joug par un projet d’expédition militaire.|right>

Le Siège de Corinthe n’est donc pas qu’un drame historique à grand spectacle comme semble l’avoir traité la mise en scène en en rompant paradoxalement la pompe et le tragique. Cette œuvre parle en filigrane aussi des vicissitudes d’un pays confronté à sa survie. Ce qui, pour les Grecs, n’est pas non plus un vain mot aux résonnances actuelles !
Ce n’était probablement pas la volonté de Rossini de prendre date dans ce conflit qui le dépassait mais la profondeur d’une œuvre appartient elle exclusivement à son concepteur ?

Il en est tout autrement de la très belle production de[** Pier Luigi Pizzi*] pour La Pietra del Paragone qui est donnée cette fois dans une nouvelle version scénique sous la direction musicale de [**Daniele Rustioni*] qui électrise une partition et un orchestre – celui de la RAI – qui, du coup, dynamise immanquablement un plateau prêt à toutes les excentricités scéniques et toutes les prouesses vocales. C’est moderne, c’est frais, c’est enlevé : on rit, on est ému on bat des mains à la fin. Les chanteurs ont l’âge du rôle. Ils sont beaux. Ils ont du panache. Ils prennent manifestement du plaisir à jouer autant qu’à chanter ensemble. Ce qui infléchit finalement cette œuvre du côté de la comedia del arte qui, du coup, deviendrait alors la commedia della vita !


Car l’histoire est en elle-même passablement embrouillée mais on peut grossièrement la résumer. C’est une « chasse au mari » déclenchée par trois jolies femmes qui veulent se marier avec un Conte qui est beau, riche, intelligent et plein d’esprit…Le parti idéal ! Tous les coups sont alors permis pour parvenir à ses fins. Mais le vaudeville n’est pas, en la circonstance, « que » farce et sous les airs bravaches du Conte perce sa peur de s’engager, sous les airs détachés des femmes se profile le spectre de finir « sola e abandonata ». Les deux séducteurs de service – Macrobio et Pacuvio – sont un rien pathétiques et font leur la peur des femmes et la phrase célèbre et pathétique de Traviata à la fin de l’acte qui clôt l’opéra.

S’il ne reste de l’œuvre finalement que le souvenir d’une friandise sucrée et agréable pourquoi bouder son plaisir ? D’autant qu’au travers de ce vaudeville échevelé se dessine les angoisses de ces personnages qui sont bien évidement les reflets et les doubles de nos peurs et de nos angoisses. La friandise peut alors avoir un léger goût amer !

Le plateau vocal en tête duquel [**Gianluca Margheri*] et [**Aya Wakizono*] mènent la danse entourés de [**Paolo Bordogna*] (Pacuvio), [**Davide Luciano*] (Macrobio), [**Aurora Faggioli*] (Baronessa Aspasia), Marina Monzö (Donna Fulvia) et Maxim Mironow (Cavalier Giocondo) ont tous un parcours opératique impressionnant sur les plus belles scènes nationales et internationales et, pour au moins cinq d’entre eux sur huit personnages, ont connu l’Accademia Rossini.

L’éclat du cygne n’est pas prêt de faiblir…

Jean-Pierre Vidit|right>


Contact : redaction@wukali.com
WUKALI 22/09/2017
Illustration de l’entête: Le Siège de Corinthe. Nino Machaidze, Luca Pisaroni

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