Red color, a diachronic story


[/[« Mais quel silence de mort quand meurt le poisson rouge ! »


Ernest Hemingway]/]

Avant que de vous confier, chers lecteurs, mes plus secrets fantasmes concernant le [*Rouge*], il n’est peut-être pas inutile d’évoquer les six couleurs principales – chacune d’elles ayant, tel Janus, double face emblématique :

Olécio partenaire de Wukali

Le [**Jaune*] ne symbolise-t-il pas, d’une part, la discrimination (couleur des traîtres et des cocus, livrée des jaloux, « étoile » des Juifs), d’autre part, la royauté solaire et la richesse ?

Associé au culte marial, le[** Bleu*] est – depuis le XIIe siècle – la couleur préférée des Européens. Ne plaçait-on pas naguère les enfants sous la protection de la Vierge ? [Ainsi me souvient-il avoir connu, à Paris, près du parc Monceau, une élégante petite boutique sobrement intitulée : « À l’Enfant voué au bleu et au blanc et aux Enfants du Parc réunis ». N’en va-t-il pas encore de même avec l’uniforme des jeunes filles fréquentant les Maisons d’éducation de la Légion d’Honneur ou bien, à Paris, le Collège Notre-Dame des Oiseaux ?]. Couleur mystique par excellence, le Bleu est donc voué aux hautes sphères du Ciel, non moins qu’aux abysses – abysses objectifs (profondeurs marines) ou subjectifs (« bleu à l’âme », blues)…|right>

Adopté par les Protestants, le[** Noir*] est associé aux valeurs d’austérité, de sérieux, d’autorité. Il symbolise aussi le deuil et la diligente Faucheuse. Mais il est également associé à l’élégance – notamment masculine : fracs, tenues de soirée, etc.

Symbole de pureté et d’innocence, le [**Blanc*] est la couleur de l’aristocratie [bien que « sang bleu » ait longtemps été – mais pour de tout autres raisons – synonyme de noblesse]. À partir du XIXe siècle, le blanc devient aussi symbole d’hygiène, et s’imposera dans le milieu médical (« les Blouses blanches »). En Asie, le blanc demeure la couleur du deuil…

Après avoir été longtemps emblème de Satan, le [**Vert*] est aujourd’hui celui de la nature et de l’apaisement.

« Couleur des couleurs », le Rouge impacte nos fonctions physiologiques : il excite nos sens et active notre circulation sanguine. Aussi est-il associé à la chaleur, à la passion, à la sensualité, au désir, à l’érotisme (c’était la couleur préférée des succubes !)… Mais nous pouvons être aussi rouges de « colère » – voire de « confusion » : le rouge, alors, nous monte aux joues !

Que le[* Rouge*] soit considéré comme « La » couleur des couleurs est confirmé par le fait que, dans nombre de langues, « Rouge » signifie « Coloré »…
Ainsi, en latin, Rouge se dit-il Coloratus. Idem, en espagnol, où Rouge se dit Colorado (cf. « Grand Canyon du Colorado »), terme qui signifie également « grivois ».
En russe, le mot Krasnoï, « Rouge », est synonyme de « Beau ». Ainsi l’expression Krasnaïa plochad (que nous traduisons par « Place Rouge ») signifie-t-elle, en réalité, « la Belle Place ».

Rouge fut aussi le premier homme : en latin, Adamus signifie « fait de terre rouge », tandis qu’en hébreu, Adom signifie « rouge ».

Le Rouge est, non moins, source de plaisir et de joie ! Aussi la plupart des produits destinés aux enfants comportent-ils cette couleur : ballons, jouets, vêtements, bonbons… Et le Père Noël n’endosse-t-il pas une houppelande rouge ?

Le Rouge traduit aussi l’exubérance, le courage, l’action, la vitesse… N’associe-t-on pas cette couleur à une voiture rapide ?

Rouge est, en outre, la couleur que l’on aperçoit le mieux, au loin. Aussi le Rouge est-il destiné aux équipements de sûreté, pour prévenir d’un danger ou d’une interdiction. Feux de circulation et panneaux Stop sont rouges. De même que les mises en garde sur les emballages de médicaments…
Imaginerait-on un véhicule de pompiers de couleur bleue ? Et la nouvelle combinaison des pompiers de Paris (naguère bleu marine) n’est-elle pas, désormais, orange flashy ?

Oui, le rouge attire l’attention. On corrige les copies à l’encre rouge… Et quel honneur d’arborer cette couleur à la boutonnière !|left>

A las cinco de la tarde, les toreros font des passes de muleta (tissu rouge monté sur pique d’acier). Pour, surtout, exciter le public – puisque les taureaux ne distinguent pas les couleurs…

Couleur qui permet, en outre, d’identifier les services de secours : Croix-Rouge, Croissant-Rouge algérien, etc.

Notons aussi que les fameuses « boîtes noires », que l’on recherche après un crash aérien, ne furent jamais noires, mais rouge ou orange vif.

Jusqu’au début du XXe siècle, n’ayant pas encore fonction de camouflage, les uniformes militaires proclamaient, grâce au rouge, la force et le prestige d’une armée ou d’une nation. Dissimuler aussi les taches de sang…

Bleu-horizon durant la Première Guerre mondiale, les uniformes se camoufleront, plus tard, en kaki (marron-vert) ou tenue léopard…

Le Rouge intervient aussi dans le monde de l’Économie : une entreprise est « dans le rouge » lorsque les profits ne sont pas au rendez-vous. On paye « Tarif rouge » aux heures de pointe. Et, dans les grands magasins, le « Point rouge » désigne les produits qui ne sont pas soldés…

Pour n’être pas importuné, on se met sur « Liste rouge ».

C’est évidemment parce qu’elle est peu présente dans la nature que cette couleur attire l’œil, qu’elle tranche avec l’environnement. Sauf au crépuscule : le rouge est, en effet, la première couleur à virer au gris – ainsi des tuiles ou des malheureuses Ferrari…

**[**Bref historique*]

On a, très tôt, maîtrisé les pigments rouges et pu ainsi les utiliser en peinture et en teinture. Dès le paléolithique, l’art rupestre utilise le rouge, obtenu à partir notamment des terres ocre (cf. Bestiaire de la grotte Chauvet). Au néolithique, on exploita la garance, herbe aux racines tinctoriales, universellement présente. [Plus tard, à Cayenne, ne fixera-t-on pas la garance avec l’urine des bagnards ?] |right>

On utilisa ensuite certains métaux : l’oxyde de fer ou le sulfure de mercure. La chimie du rouge aura donc été singulièrement précoce et efficace.

À l’époque romaine, le Rouge – couleur, à la fois, guerrière et impériale – participait de toutes les solennités. On distinguait plusieurs nuances de rouge : le rouge du manteau des légionnaires, par exemple, teint avec de la vulgaire garance, n’avait ni le même aspect ni la même charge symbolique que celui de l’Empereur, obtenu à partir du précieux murex – coquillage récolté en Méditerranée, dont les reflets pourpres se situent à mi-chemin du rouge, du violet et du noir.

Au Moyen Âge, les gisements de murex s’étant épuisés, on se rabattit sur le kermès, œufs de coquillages parasitant les feuilles de chênes. Leur récolte est laborieuse, et coûteuse son élaboration, mais le rouge obtenu est splendide, lumineux et pérenne. Aussi les seigneurs – notamment les Capétiens – eurent-ils le privilège de cette somptueuse couleur [telles qu’aujourd’hui, les vingt-et-une nuances rouge profond de chez Hermès]…

Les paysans, quant à eux, recouraient à la vulgaire garance, qui donne un coloris moins éclatant. Socialement, il y eut donc toujours Rouge et Rouge !

C’est également au Moyen Âge que le christianisme développa la symbolique liturgique du rouge, contribuant ainsi à diminuer son caractère guerrier : associé au blanc, le rouge devint la couleur pontificale. Dès le milieu du XIIIe siècle, en conclave ou concile, la pourpre cardinalice est omniprésente – signifiant que les cardinaux sont prêts à verser leur sang pour le Christ.
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[Pour anecdote, sachez que la toge écarlate de ces hauts prélats comporte toujours trente-trois boutons – référence symbolique à l’âge de la mort du Christ.]

À l’époque moderne, cette mise en scène du [*Rouge*] ne disparaît ni des églises ni des palais, mais s’étend, tout au contraire, à bien d’autres lieux et circonstances – les uns solennels, tels les Palais de Justice, les autres profanes et ludiques, tels les lieux de plaisir et de divertissement : maisons closes certes, mais – plus généralement – salles de spectacle et de concert. Même si, sous Louis XV, le vert Campan et le violacé sarrancolin firent exceptionnellement concurrence au rouge dans la décoration du sublime Opéra Royal de Versailles – tout en boiseries et tentures bleu et or…

Il n’empêche ! Le Rouge demeure la couleur de la théâtralité. Il est même des salles entièrement tapissées de cette couleur, du sol au plafond, des fauteuils aux rideaux – exprimant tout à la fois le caractère exceptionnel du lieu et des plaisirs qu’on y éprouve. Ainsi, à La Fenice (« le Phénix »), fabuleux théâtre vénitien, les sièges sont-ils, comme cet oiseau mythique, de couleur pourpre… Devant stars ou personnalités, ne déroule-t-on pas le tapis rouge : cour de l’Élysée, marches du Palais des Festivals, etc.

La fête sportive a, quant à elle, adopté d’autres couleurs – mais aura, ce faisant, perdu de sa magie. Signalons toutefois que les Gallois jouent toujours en maillots rouges, et que nombre d’équipes se seront elles-mêmes baptisées « les Diables rouges » (tels les hockeyeurs briançonnais) – pour tenter, bien sûr, d’effrayer l’adversaire. Mais allez en Chine ou, durant le « Nouvel An chinois », dans le XIIIe arrondissement de Paris, et vous verrez combien le rouge est omniprésent – allié aux ors, aux tambourins et aux pétards – pour marquer une fête plusieurs fois millénaire ! [Sans oublier certain Petit Livre Rouge…]|center>

Comme toute couleur, le Rouge a un bon et un mauvais visage – avec, en outre, deux principaux référents : le Feu et le Sang. Aussi est-ce autour de quatre pôles que s’organise sa symbolique : Bon et mauvais « Rouge Feu » / Bon et mauvais « Rouge Sang ».

Le christianisme adopta, de bonne heure, cette distribution quadripolaire, laquelle imprégna peu à peu toute la société – dans ses aspects aussi bien religieux que profanes.

Pris en bonne part, le Rouge Feu, c’est le feu de la Pentecôte. C’est l’Esprit saint, souffle puissant et chaleureux qui brille, anime, purifie…

Pris en mauvaise part, il symbolise les flammes de l’enfer, détruit et torture, ravage et supplicie. Le Rouge ne fut-il pas toujours la couleur des bourreaux ? [Il n’est, hélas ! que d’évoquer la tenue orangée des prisonniers de Guantanamo ou celle des suppliciés de Daesh.] Couleur qui peut, aussi bien, mentir ou trahir : elle tourne alors au « Roux » (cf. Chevelure rousse des sorcières lubriques, réputées « nées dans les règles »). On dit également que de la lune rousse émane une lumière pire que les ténèbres : tel le feu des enfers, elle brûlerait sans éclairer… Allié au Noir,[* le Rouge est la couleur de Satan*] : rouge comme le feu, noir comme les mondes souterrains [bien qu’au Moyen Âge, le diable ait été vert]. Rouge et Noir seront non moins révolutionnaires, pour effrayer ci-devant et bourgeois…|center>

Pris en bonne part, le Rouge Sang est celui de notre Sauveur – rédempteur, sanctificateur. N’est-il pas présent, dans le sacrifice de la messe, sous la sainte espèce du vin ? [Bien qu’aujourd’hui – pour ne pas tacher, dit-on, les coûteux tissus cérémoniels – on utilise ordinairement du vin blanc. À la différence du Saint-Père, demeuré fidèle au rouge breuvage !]

Pris en mauvaise part, ce même Rouge Sang est celui de la colère et de la violence. Il est impur et lié à tous les crimes, toutes les souillures, toutes les transgressions. Rouge des menstrues, mais aussi des assassins, des bourreaux, des prostituées, de tous ceux qui transgressent l’ordre social, moral ou religieux…

Il est toutefois des personnes qui abominent le Rouge. Ainsi, pour les Protestants, le Rouge est la couleur des « papistes » – couleur, entre toutes, immorale ! N’y a-t-il pas, en effet, un passage de l’Apocalypse de Jean, où celui-ci nous décrit comment – vêtue d’une robe rouge – chevauchait la Grande Prostituée de Babylone. Or, pour [**Luther,*] la Grande Prostituée n’est-ce pas Rome ? D’où la nécessité de bannir le Rouge, non seulement du Temple, mais aussi des vêtements de tout bon chrétien. Stigmatisation qui ne fut pas sans conséquence : après la Réforme, aucun homme (fût-il catholique) ne se vêtira plus en rouge – à l’exception des cardinaux ou des membres de certains ordres de chevalerie, tels les Rose-Croix ou les Francs-maçons d’obédience écossaise. Dans les milieux catholiques, en revanche, les femmes portent toujours le rouge… |center>

Étonnant chassé-croisé : alors qu’au Moyen Âge, le Bleu était féminin (couleur de la Vierge) et le Rouge masculin (affirmation du pouvoir guerrier), les choses s’inversent à la Renaissance : le bleu devient masculin (car plus discret), et le rouge se féminise.
Distinction demeurant aujourd’hui vivace : bleu pour les garçonnets, rose pour les fillettes.
[Sans ignorer l’étoile rose que devaient porter, sous l’Allemagne nazie, les homosexuels.]

Dans la paysannerie, jusqu’au XIXe siècle, la robe de mariée était rouge. Pourquoi ? Parce que, le jour du mariage, on devait revêtir ses plus beaux atours et qu’une robe riche et belle ne pouvait être que rouge. C’est, en effet, dans ce même coloris que les teinturiers furent toujours les plus performants…

On retrouve ici la classique ambivalence des couleurs : longtemps, les prostituées eurent l’obligation de porter un corsage rouge, afin que les choses soient claires ; pour la même raison, on mettra une lanterne rouge à la porte des maisons closes. Le Rouge décrit donc les deux versants de l’amour : l’amour divin et l’amour charnel.
Le Rouge de l’interdit s’est également affirmé, au fil des siècles. Bien qu’il fût déjà présent dans la robe des juges, aussi bien que dans les gants et le capuchon du bourreau (celui qui verse le sang). Depuis le XVIIIe siècle, un chiffon rouge signifie aussi danger (tel qu’aujourd’hui, à l’arrière des véhicules).

[**Chiffons et autres drapeaux*]

En octobre 1789, la Constituante décréta qu’en cas de troubles, un drapeau rouge serait placé aux carrefours pour signifier l’interdiction d’attroupement, et informer d’une intervention possible de la force publique.|right>

Or, le 17 juillet 1791, de nombreux Parisiens se rassemblèrent au Champ-de-Mars pour demander la destitution de [**Louis XVI*], arrêté à Varennes. Comme l’émeute grondait, [**Bailly,*] le maire de Paris, fit hisser à la hâte un drapeau rouge. Mais les gardes nationaux tirèrent sans sommation : on compta une cinquantaine de morts, dont on fit aussitôt les martyrs de la Révolution.

Et, par étonnante inversion symbolique, c’est ce fameux drapeau rouge qui, « teint du sang des martyrs », deviendra l’emblème du peuple opprimé et de la Révolution en marche.

En février 1848, [**Louis-Philippe*] s’étant rallié au drapeau tricolore, les insurgés brandirent à nouveau le drapeau rouge, « symbole de la misère du peuple et signe de la rupture avec le passé », demandant qu’il devienne l’emblème officiel de la République.

Mais c’est[** Lamartine*], membre du gouvernement provisoire, qui sauvera le drapeau tricolore : « Le drapeau rouge est un pavillon de terreur qui n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, tandis que le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! »|center>

Le drapeau rouge aura, tout de même, l’avenir que vous savez : la [*Russie soviétique*] l’adoptera en 1918, la [*Chine communiste*] en 1949.
[Ce dont nous avons gardé quelques détails pittoresques : ainsi, dans l’armée, lorsqu’on replie le drapeau français après avoir descendu les couleurs, il est d’usage de dissimuler la bande rouge pour qu’elle ne soit plus visible – comme s’il fallait se garder des vieux démons révolutionnaires…]

Rien, dans le domaine des symboles, ne disparaît donc jamais totalement : rouge aristocratique des tapis, des décorations et des palais, mais aussi rouge prolétarien, révolutionnaire…

Aujourd’hui, le Bleu progressant, le Rouge se fait plus discret… [N’y voyez nulle allusion politique.]|center>

Nos objets quotidiens sont rarement rouges : bien qu’on puisse trouver – à l’initiative de la marque [*Ferrari*] – quelques ordinateurs, voire réfrigérateurs de cette couleur. Cependant que la firme [*Badoit,*] avec ses bouteilles rouge sang (à haute teneur pétillante), flatte nos plus secrets instincts de vampires…|right>

Pour en terminer avec les breuvages, sachez qu’à l’aveuglette (i.e. en «blind test»), nul ne peut distinguer un vin blanc d’un vin rouge (sauf à ce que celui-ci soit outrageusement tannique)…

Sachez enfin, chers lecteurs, qu’afin de vous épargner de longues et fastidieuses expériences, j’ai consciencieusement – et à maintes reprises – tasté la chose.

[**Francis Benoît Cousté*]|right>


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WUKALI 11/10/2017

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