All the world’s a stage.. in art expertise too!
En comparaison de son cousin des villes (voir Billet précédent), l’Expert des Champs fait figure de parent pauvre. Il erre de bosquets et guérets, flairant la trouvaille. Nez au vent, il hume le fumet d’un inventaire de succession dont les honoraires perçus lui permettront de passer l’hiver. Il défend bec et ongles « ses » artistes, dont il s’est arrogé, postmortem, les droits. Dont celui de véto.
« Oh! Miracle! Bienveillance céleste: une oeuvre de mon poulain -la carne est déjà froide- passe en vente chez Duchnoque et Associés! Et sans mon certificat! L’aubaine, la manne, le Graal! Tu vas voir ce que tu vas voir… »
Il saisit son téléphone pour tancer, rageur, l’odieux Commissaire-priseur qui a osé marcher hors des clous plantés par les 850 occurrences répertoriées dans son catalogue raisonné. Le dépit ne tarde pas. Il se voyait attendu comme le Messie, porteur de la Table manquant aux Lois de la certification… Messie? Mais non! car ne voilà-t’y pas qu’on le congédie comme un vil manant: la secrétaire du Commissaire-priseur, empêtrée dans les ordres d’achat qui ne cessent de pleuvoir sur la vente en cours lui claque le bec d’un imparable « C’est pour passer un ordre? Naaan? Z’êtes qui alors? Maître Duchnoque il est pas lààààà. Et pis il a paaaaaas l’temps. Faut rappeler après la vente. »
Ventredieu! Pour Mimile -nom d’emprunt- c’en est trop! A défaut de certificat, c’est un courrier bien senti qu’il rédigera. Avec à la clé: menaces de représailles, exhortations à retirer le lot séance -et vente- tenante, promesses de tempêtes et prophéties de tsunami dans tout le milieu… « Et je peux vous dire que j’en connais, moi, du monde! »
L’ire passée, notre Mimile s’en retourne planter ses choux en ses champs et humer l’air de jours meilleurs, toujours à venir. Il s’étiole. Le vague à l’âme le gagne. La faim le tenaille. C’est la disette.
Alors, il se rêve des vies, il s’invente des voyages improbables, des tribulations tartarinesques, il lève les yeux au Ciel, se mouche dans les étoiles et, inlassablement, il abreuve ses rares interlocuteurs de passage:
«. Vous comprenez, je suis débordé. Hier encore, à Tokyo, le gouvernement japonais me demandait d’expertiser 485 Chagall en une heure. Comme j’étais attendu à Djibouti pour des Corot, j’ai dit au Premier Ministre: Shinzo, remets-toi le kimono! T’as beau être un Fils du Ciel, moi je ne fais pas dans l’expertise-sushi»
C’est triste. C’est ainsi. Mais c’est aussi ce qui fait le charme de l’Expert des Champs. Semblable au rongeur de la Fontaine qui apostrophait son citadin cousin: « C’est assez, dit le rustique / Demain vous viendrez chez moi / Ce n’est pas que je me pique / De tous vos festins de Roi / Mais rien ne vient m’interrompre / Je mange tout à loisir / Adieu
donc ; fi du plaisir / Que la crainte peut corrompre. »
L’Expert champêtre ne mange pas toujours sa faim, mais il est vrai qu’il ne craint rien. Pas même une écharde de ridicule dans le gras de la patte.
[(Articles précédents :
– Expertise du métier d’expert
– L’expert des villes
)]
Illustration de l’entête: Honoré Daumier- Les amateurs d’estampes. Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Tony Querrec. Paris, musée d’Orsay, conservé au musée du Louvre
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WUKALI 25/10/2017