An eruption of colors in dots or dabs
[**André Derain*] (1880-1954) est l’une des grandes figures de l’art moderne : pionnier du fauvisme, peintre de décors de ballets et de théâtre, graveur, illustrateur et découvreur de « l’art nègre « . Il s’orienta, après la Grande Guerre, vers un classicisme renouvelé des formes picturales, empreint d’angoisse, de recherches spatiales et de couleurs assombries. Son œuvre est représentée dans tous les musées importants du monde.
Il faut préciser qu’il le fit après avoir reçu la promesse formelle qu’un certain nombre de prisonniers français seraient libérés et qu’il récupérerait sa maison de Chambourcy, dont il fut chassé par réquisition de l’Occupant dès 1940. Naturellement, il revint bredouille. En 1945, le Comité national des artistes frappe Derain d’interdiction d’exposition pendant un an. Le peintre, refusant cette injustice, se retirera à Chambourcy et refusera toute exposition publique de ses œuvres, sa vie durant. On ajoutera que, pour des motifs connus seulement de la Gestapo, un chantage permanent fut exercé à son encontre, ainsi qu’envers sa famille, par les Allemands, tout au long de l’Occupation.
Revenons à sa carrière de peintre. Ayant croisé [**Henri Matisse*] en [**1901*], comme lui copiste au Louvre, les deux peintres sympathisent. Derain et Matisse travailleront ensemble à Collioure en 1905. De concert, ils inventeront une Révolution esthétique capitale du XXème siècle : le fauvisme au dessin simplifié mais structuré, aux couleurs pures et arbitraires.
Une des caractéristiques essentielle du fauvisme c’est d’avoir redonné ses lettres de noblesse à la couleur devenue dominante, voire tyrannique, dans la création d’un tableau. Les audaces colorées, issues d’une renouveau des recherches chromatiques, sont mises en relief par d’incroyables aplats de couleur, larges, amples, à la densité de matière énorme, visible à l’œil nu du spectateur surpris, désorienté et, parfois, effaré. Le fauvisme, forme française de l’expressionnisme européen, est une réaction violente contre les sensations visuelles, plutôt douces, de l’impressionnisme.
Nous consacrerons cet article à une de ses œuvres les plus connues du temps des fauves : « Le phare de Collioure », (1905) huile sur toile de dimensions 32 x 40 cm, conservée au musée d’art moderne de la ville de Paris.
L’espace pictural y est entièrement occupé, refermé sur lui-même dans la plus pure tradition occidentale, en totale opposition avec la conception de l’espace de la peinture chinoise. Nos peintres ont la peur métaphysique, l’angoisse existentielle du vide dont se nourrit son confrère asiatique.
Une solide structure, presque une architecture colorée, sous-tend cette brillante réalisation de [**Derain*]. Que l’on observe sa mise en scène : sur la gauche un balcon avec une rambarde, aux fortes teintes vertes et bleues, qui limite la vision du spectateur. Au fond une église dont on devine les arcs-boutant, le phare et la muraille ancienne de la ville, aux aplats de matière picturale jaune intense, orangé brutal, rouges assourdis. Sur la droite la mer d’un bleu tendu, le port où reposent des bateaux d’un vert criard et un quai d’un jaune beurré, repu. Toutes ces teintes paraissent jetées à coup de spatule, alors qu’en réalité elles sont étudiées et posées délicatement par l’héroïque pinceau d’un artiste, réfléchi et éduqué par les Maîtres qu’il copiait au Louvre. Une absence totale de cernes qui maîtriseraient la couleur, une ignorance apparente de ce qu’est la forme, que l’observateur perspicace ne peut interpréter autrement que comme une recherche novatrice du peintre : la vérité, c’est que le peintre crée la forme par la grâce de sa palette colorée, donnant une profondeur, inattendue et inespérée, à l’espace pictural travaillé. Une solidité bi-dimensionnelle à toute épreuve domine la toile. Un rayonnement interne, sorte de soleil vital, exhalte cette composition si bien construite, dont la profondeur de champ est fille des valeurs colorées inventées par l’artiste. L’harmonie sobre que dégage l’œuvre a un aspect miraculeux, tellement les vibrations colorées sont différentes, voire distantes ou même opposées
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Chez Derain, dès le début de l’aventure fauve, on remarque une volonté constructive d’organisation de l’espace pictural en rapport avec la surface à peindre. La touche est l’écriture du peintre. La sienne est d’une puissance déroutante, excessive : il use et abuse de son pinceau par sa facilité tranquille à rendre les nuances, par sa virtuosité olympienne au service d’un esprit réfléchi, mûri. L’artiste s’empare de la toile comme un affamé. Il étale ses couleurs avec gourmandise, son appétit marqué de sensualité. Avec « Le phare de Collioure » sa réussite est éclatante.
Illustration de l’entête: Le phare de Collioure. MaM Paris
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WUKALI 31/10/2017