A famous museum curator who enriched the humanist vision of History of Art
[**René Huyghe*] (1906-1997) est une de ces personnalités surdouées qui sont admirées de certains et jalousées par d’autres. Il est passé à la postérité comme le plus complet historien d’art du vingtième siècle mais son envergure dépasse ce terme réducteur : de brillantes études classiques suivies d’un cursus de philosophie et d’esthétique à la Sorbonne, puis l’École du Louvre et une Licence es-lettres avant de réussir un des concours les plus ardus qui soient: celui de conservateur de musée. Malgré son extrême jeunesse, sa personnalité hors-norme est déjà structurée, réfléchie et diversifiée. Ce travailleur acharné aux aptitudes multiples va, dans la foulée, réussir à élargir ses capacités en dégageant une synthèse de ce qu’est la nature de l’Art, son évolution et son destin, par l’apport de ses connaissances dans un domaine alors bien éloigné : la philosophie. Il possédait cet « esprit philosophique » si cher au dix-huitième siècle, aux sources duquel il était allé puiser très tôt : Voltaire , Rousseau, Diderot…Mais il avait aussi étudié Kant et l’école allemande. Son ouverture d’esprit en était issue.
Conservateur adjoint au département des peintures du musée du Louvre en 1930, à 24 ans, il en sera nommé conservateur en chef en 1937 ; année où il devient aussi professeur à l’École du Louvre.
En apparence tout semble facile à ce jeune talent dont l’aura, spirituelle encore plus qu’intellectuelle, frappe d’étonnement jusqu’au sous-secrétaire d’état aux beaux-arts [**Jean Mistler*] (le ministre de la culture de l’époque), qui l’intègre à son cabinet dès 1932. Une sorte de rayonnement énergétique semblait émaner de ce chantre de la culture, de l’éducation et de l’intelligence.
Sous l’Occupation, gardant en permanence à l’esprit la nécessité de les protéger, il parviendra à berner les Allemands qui ne les trouveront jamais malgré de multiples efforts. Replié dans le Lot, René Huyghe rejoint la Résistance à l’état-major des groupes Veny.
En 1950 il est nommé professeur au Collège de France, où il occupe la chaire de psychologie des arts plastiques, spécialement créée pour lui. Disciple d'[**Henri Bergson*] ( 1859-1941), il continue le développement de ses découvertes, notamment une philosophie de l’Art, entièrement nouvelle et personnelle, qui sera universellement reconnue et acceptée comme parfaite pour l’époque. Son credo est synthétisé dans cette affirmation que l’Art était « un monde de révélation de l’indicible directement perçu au-travers des images représentatives de nos sensations ».
En 1974, il quitte le Louvre pour devenir directeur du musée Jacquemart-André. Il dirigea la commission de l’UNESCO pour la sauvegarde de Venise et présida le Conseil Artistique des musées de France, qui décide de l’acquisition ou non des objets et peintures proposés. Il était Grand Officier de la Légion d’Honneur et Grand-Croix de l’Ordre national du mérite.
On peut conclure, sans risque d’être contredit, qu’il eut une vie exceptionnelle et bien remplie ! Il était un découvreur de terres inconnues mais aussi un homme lié à son temps : son attitude pendant la guerre en est la plus belle démonstration.
Il a publié de nombreux ouvrages : des monographies de peintres dont la meilleure est probablement son « Delacroix ou le combat solitaire » de 1964. A la fois d’une érudition et d’une précision sans faille, il est aussi une sorte de roman décrivant les angoisses, les recherches et les soucis de l’homme qui fut, et qui reste, le plus grand peintre français de tous les temps. On suit, pas à pas, les réflexions, les idées nouvelles, même la matière picturale en cours de réalisation de l’artiste, littéralement comme si nous étions dans sa tête et voyions au travers de ses yeux. La délicatesse et la finesse des mots, les phrases gravées et éblouissantes, ne sont pas le moindre ravissement du lecteur, emporté dan un tourbillon de couleurs, un maelstrom de formes et d’images comme seule une imagination débordante est capable d’en créer.
Mais son écrit le plus lumineux est un petit volume de 280 pages, à la portée de toutes les bourses ( moins de dix euros) : « Les puissances de l’image », publié en 1965 et réédité bien souvent. Les différents chapitres se regroupent en quatre parties. La première est consacrée à expliquer la nature de l’Art ( en quête d’une voie, l’Art et la réalité, l’Art et la beauté, de la composition à l’expression). La deuxième décrit la psychologie de l’Art ( le vocabulaire de l’âme, l’univers des peintres, la lecture de l’homme, l’inconscient et les instincts obscurs, la lutte et la montée de l’esprit, de l’irrationnel au dépassement). La troisième est une étude approfondie de l’Histoire au regard de l’Art ( le passé et la psychologie collective, les temps modernes et la psychologie individuelle). La quatrième est la conclusion : La philosophie ( l’Art entre le moi et l’univers). Rien que la lecture des titres des chapitres montre l’absolue nouveauté de la pensée de René Huyghe. Jamais rien de tel n’avait été pensé ni écrit. Le monde feutré des historiens d’Art en fut stupéfié et en resta sans voix, eux qui avaient trop tendance à couper les cheveux en quatre !
L’acceptation fut immédiate, sans discussion ni polémique. Une page était tournée. Une seule comparaison paraît acceptable au regard de cette Révolution culturelle : celle de la bombe que fut la parution de « Une brève histoire du temps » de l’astrophysicien [**Stephen Hawking*] (Flammarion 1989, en français), qui lui aussi transmutait la conception de l’évolution de l’Univers du grand public.
L’humanité profonde de René Huyghe se ressent facilement. Il suffit de regarder les interviews qu’il a donnés pour le comprendre. Son immense culture en fit le prototype de « l’honnête homme du 20ème siècle » : il était un humaniste éclairé, fin et pédagogue comme peu ont pu l’être : [**André Malraux, Georges Salles, Max-Pol Fouchet, Marcel Brion*] ou[** Maurice Sérullaz*] par exemple.
Il avait toutes les intelligences réflectives : analyse comme synthèse. Il suffit de lire, de déguster serait le terme exact, « Les puissances de l’image » pour s’en apercevoir. Alliant la forme et le fond, des mots simples, merveilleusement liés en des phrases lumineuses et colorées, viennent enchanter nos yeux éblouis comme les papilles gustatives de notre palais et nous devenons plus intelligents, plus réfléchis et plus assoiffés de connaissances, de « La Connaissance » au singulier.
Suivons-le quelques instants dans certaines de ses démonstrations dont il avait le secret : « l’Art se présente comme une divinité à triple visage où se reflète tour à tour la réalité intérieure, la création plastique, la réalité extérieure… »*, « l’œuvre d’Art est l’apparition d’une réalité nouvelle, indépendante de la réalité physique de l’univers comme de la réalité psychique de l’artiste et pourtant faite de l’un et de l’autre...».*
Voyons les implications de ses déductions au hasard des peintres : « chaque peintre possède son univers propre, établi à jamais dans la saison et dans l’heure la plus propice à son épanouissement : ce que peint [**Boticelli*] évoque l’éclosion d’un matin du début du printemps, garde une immense fraîcheur et ignore l’usure de l’existence... »*, « au cadran des heures et des saisons voici déjà la splendeur et la rutilance de midi roi des étés où [**Rubens*] et [**Renoir*] y mûrissent les fruits de leur sève »*….
L’ombre de [**Freud*] ne s’y glisse pas contrairement à ce que certains auraient pu croire. C’est bien plus la psychanalyse de [**Jung*] qui la sous-tend : Freud avait un peu trop tendance à confondre psychanalyse et descente aux enfers alors que son disciple en avait une conception plus large et plus variée, y incluant l’ascension de l’esprit vers d’autres niveaux de compréhension qui se ressentent mais ne s’expliquent pas.
Bien entendu, on rencontre, ici ou là, quelques débordements philosophiques chez ceux qui ont vécu avant René Huyghe, mais l’élaboration de cette nouvelle matière spirituelle est sa grande œuvre : elle lui vaudra son entrée au collège de France avec la création d’une nouvelle chaire qu’il occupera longtemps : celle de professeur en psychologie de l’Art.
C’est un bouleversement complet de la compréhension de l’Art et des artistes : on ne pouvait plus voir, caractériser le domaine des beaux-arts de la même manière après lui. C’est là que réside son génie. A l’heure actuelle, il est resté inégalé.
* Extrait de : « Les puissances de l’image » de René Huyghe, publié en 1965 chez Flammarion.
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WUKALI 06/12/2017)]