The Pastoral concert by the Venitian painter Titian


Suite à l’article que nous avons consacré à « La Tempête »* de [**Giorgione*] (voir l’article dans Wukali), il nous est apparu pertinent de traiter d’une œuvre autrefois attribuée à Giorgione et aujourd’hui à Titien jeune : «  Le Concert champêtre  ». La toile est conservée au musée du Louvre.
Comment une telle évolution de la critique picturale a-t-elle été possible ? Avons-nous de réelles certitudes ? Et sur quels éléments objectifs s’appuie-t-on ?

Nous ne reviendrons pas sur l’environnement historique, culturel, politique et économique qui constituait Venise au début du seizième siècle, puisque déjà explicité dans l’article sur « La tempête* ». Nous rappellerons seulement que la peinture vénitienne du temps était sous l’influence du néo-aristotélisme dominant des universités de Venise et de Padoue.

Cette peinture est une huile sur toile de dimensions : 105 cm x 136,5 cm. Elle date des années 1508-1512. Répertoriée depuis la Renaissance, l’œuvre appartenait alors à [**Isabelle d’Este*]. On la retrouve dans les collections de [**Charles Ier d’Angleterre*] avant qu’elle entre dans les collections royales sous [**Louis XIV*]. De ce fait, elle est en excellent état de conservation.

Olécio partenaire de Wukali

Que voyons-nous exactement ? Le soleil est couchant. Deux jeunes et beaux musiciens sont assis dans une campagne arborée. L’un porte un ample et riche manteau rouge à manches larges rouges virant au brun. Il joue du luth. L’autre se penche vers lui dans une magnifique tenue verte. Souvenons-nous que d’après [**Vasari*], le célèbre historien de la Renaissance, Giorgione était un homme affable et un musicien doué jouant du luth. Devant eux deux femmes dont les vêtements ont glissé et gisent au sol. Elles sont quasiment nues, ce qui indique leur divinité. Celle de gauche, debout, verse de l’eau dans un bassin de pierre (?). L’autre, assise, vue de dos, joue de la flûte. On remarquera la présence d’ombres portées sombres détachant les personnages des fonds, particulièrement en ce qui concerne la femme dont les ombres portées soulignent le pubis. Lequel est, impudiquement, caché sous cette toison foncée qui attire l’œil du spectateur, indice irréfutable de la participation de Titien…

Même aux yeux du néophyte apparaît une symbolique précise : les deux personnages masculins ignorent complètement les figures féminines, plus exactement ils ne les voient pas. Celles-ci appartiennent donc au monde mythologique gréco-romain antique, au titre de nymphes ou de muses. La présence du berger avec son troupeau indique que la scène se situe dans l’ancienne Arcadie des rêves éveillés des poètes classiques, terre légendaire d’un temps béni des Dieux où tous étaient heureux. D’autant que dans l’antiquité grecque la flûte était l’attribut de Calliope, la muse de la poésie épique, instrument dont joue la femme accroupie. Serions-nous face à une allégorie de la poésie ? Les figures féminines n’existeraient-elles que dans l’imagination fertile des musiciens ? |center>

Malgré cela, il est difficile d’affirmer que ces deux femmes soient des beautés idéales: celle debout est agréable à regarder, certes, mais son large ventre replet est choquant. Mais bien moins que celle assise : postérieur énorme( syndrome de la Vénus callipyge que l’on retrouve fréquemment chez Titien), jambes molles, pieds inesthétiques, cou inexistant, épaules minces portant des bras maigres, torse adipeux et abdomen ventripotent, tout démontre l’imperfection monumentale de ce personnage. On notera que le rapport physique à la femme figurant dans « La Tempête  » est troublant : leur similarité est certaine. Y aurait-il eu deux mains de peintres, commune aux deux tableaux ? Lesquelles ? Si l’on observe de près les couleurs chatoyantes des habits masculins, l’analogie nette avec ceux du pâtre de «  La Tempête » implique pareillement une origine commune, liée à l’artiste créateur.|left>

Ce qui unifie cette vision douce d’une pastorale poétique où hommes et femmes ne se voient pas, c’est la musique du luth que joue le musicien et celle de la flûte qu’interprète la femme-muse de dos.

Le superbe paysage automnal va bien au-delà de la simple représentation d’un état de fait local : il est le reflet d’un état d’âme du peintre, ou des peintres…car plus on le regarde, plus un certain manque d’unité, matérielle, temporelle et spirituelle se fait jour. Pour s’en convaincre, regardons la position du berger et de son mouton : ils semblent « mouvants », mal positionnés et en parfait désaccord avec les personnages centraux, dégageant comme un bémol pictural. Plus grave est l’inclinaison du grand arbre, surplombant le pâtre, qui mord sur l’arrière du paysage et bouche la vision complète de l’espace céleste. Cette interruption visuel et volontaire du firmament est une faute que ni Titien ni Giorgione, individuellement, n’aurait commise mais que la nécessité de finir la toile fit perpétrer par Titien. C’est léger, car les deux peintres ont du génie, mais parfaitement évident. La position de la femme debout n’a rien d’anormal en elle-même mais le fait que son visage de profil soit très exactement prolongé en hauteur par le tronc de l’arbre ne peut qu’étonner et questionner : limitation du paysage certes mais pourquoi juste dans l’axe de son corps ? Cela brouille la vision et la compréhension du spectateur.
Le centre géométrique du tableau se situe entre les visages des musiciens alors que son centre psychologique est dans le luth, devenu ici l’outil de la conversation et surtout le lien entre deux mondes : celui des hommes et celui des Dieux. La présence physique de ce quatuor est incontestable, malgré les fautes anatomiques apparentes des corps féminins. Une certaine distance se fait entre ces représentants des deux sexes : ils ne vivent pas sur le même plan de l’espace, donc de la pensée.
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Leurs mains aux doigts peu individualisés font sourire de naïveté. Un détail de la peinture offre un raffinement particulier, comme une note musicale inspirée : la carafe que tient la femme debout, où les reflets lumineux créent les notions de mesure et de densité. Cette incidence annonce les reflets fantastiques que l’on admire tant dans «  L’Amour sacré et l’amour profane »de Titien ( voir l’article dans Wukali). |center>

Si l’ambiance générale, l’aspect musical, la pastorale arcadienne et le dialogue entre visible et invisible sont typiques de l’Art de Giorgione, d’autres éléments semblent appartenir à un autre peintre au tempérament différent: déséquilibre des fonds par rapport au premier-plan, paysage débordant, ombres portées, reflets moirés, distorsions excessives des corps de femmes…Et marquent une autre main : celle de [**Titien.*]
Comme nous sommes face à un chef d’œuvre, c’est-à-dire à une œuvre qui déborde de son cadre temporel pour atteindre l’universel, si deux mains se sont superposées sur cette toile, elles ne peuvent être que celles de [**Giorgione*] et de [**Titien*] puisque nous savons que le second était l’élève du premier. D’où le sentiment de bien des analystes( inclus le nôtre) que « Le Concert champêtre  » fut commencé par Giorgione et terminé par Titien, après le décès dramatique de son maître mort de la peste en 1510.

Le message est complexe : il y a visiblement unification de plusieurs thèmes que nous comprenons mal car liés à leur environnement d’époque et destinés à un milieu aristocratique cultivé et élitiste. Notre érudition est, aujourd’hui, manifestement incapable de tous les déchiffrer. Il faut l’accepter. Ce qui demeure certain c’est que nous voyons une illustration d’une pastorale, ce qu’était également « La Tempête » de Giorgione.
La « pastorale » était un genre littéraire gréco-romain( voir Daphnis et Chloé de [**Longus*]) qui fut redécouvert à la Renaissance et employé jusqu’aux Romantiques. Elle est sensée faire vivre ses héros dans un cadre idyllique parfait où règne la beauté favorable aux amours raffinés.

Au centre du paysage est visible, en hauteur, un bâtiment à plusieurs étages. Il est construit à flanc de colline. Il donne une assise réelle supplémentaire au tableau, en obligeant le regard du spectateur à s’orienter en fonction de lui. C’est donc un élément primordial du décor comme de la vision que l’on peut en recevoir.
Au fond, derrière le paysage qui s’ouvre vers elle, une mer calme, d’un bleu somptueux et suave, qui raffermit la stabilité du tableau. A l’horizon, les rougeoiements d’un ciel crépusculaire faits de nuages imprécis. L’ensemble des couleurs utilisées est plutôt terne d’aspect, d’une variété chromatique réduite.

Les qualités l’emportent largement sur les quelques défauts que nous avons soulignés. La contemplation de l’œuvre devient un moment d’intense satisfaction, de plénitude, qui annonce qu’un nouveau génie pictural s’affirme à Venise. Ses capacités induites par ce tableau sont encore en gestation mais elles se devinent déjà : idées fortes, mises en place digne d’un scénographe de ballet d’Opéra, couleurs expressives. L’époque a changé, [**Titien*] sera le porte-drapeau des temps nouveaux. Son message, apprécié de tous, particulièrement de l’Empereur [**Charles-Quint*], retentira de Madrid à Londres, et même jusque chez le sultan à Constantinople.|right>

[**Jacques Tcharny*]|right>



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WUKALI 05/01/2018)]

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