Enlightenment writer and philosopher still alive


La figure de génie de [**Voltaire*] (1694-1778) est familière à tout le monde. Sa moue dubitative a été reproduite à l’infini, en tout medium possible (gravure, dessin, peinture, sculpture et même arts décoratifs). L’écrivain-philosophe incarne une époque à lui seul, un moment de grâce de la culture mondiale, une fenêtre ouverte sur un avenir supposé meilleur pour l’humanité et une étincelle de l’Intelligence Universelle…Peu d’hommes ont une telle renommée. Ce Prince de la Civilisation a été tant glorifié qu’il est exclu de pouvoir en décompter les figurations.
La plus extraordinaire est celle du plus fameux sculpteur du dix-huitième siècle : [**Jean-Antoine Houdon*] ( 1741-1828). Patron et Maître d’œuvre du premier véritable atelier artisanale de production de sculptures en France, où travaillaient pas mal d’ouvriers aux qualifications diverses. L’artiste exécutera à de nombreux exemplaires l’effigie du philosophe, dans divers matériaux ( bronze, marbre, plâtre ou terre cuite), avec des modèles distincts ( en buste, en portrait, en pied…).

Existe une différence de nature, et non d’intensité, entre la vision de Voltaire de Houdon et celles des autres. Et, pour une fois, on sait très exactement pourquoi et comment un événement aussi unique a eu lieu. Laissons parler le [**marquis de Villevieille*], qui témoigne de la scène lors du retour triomphal du philosophe dans sa bonne ville de Paris ( du 10 février au 30 mai 1778, jour de son décès) :

« Je déterminai avec beaucoup de peine M. de Voltaire à se prêter au désir que m’avait souvent témoigné M. Houdon de modeler sa statue. Enfin son consentement lui fut arraché, le jour pris, et les époques des séances fixées ; je devais le suivre toutes les fois qu’il se rendrait à l’atelier…L’artiste s’étant aperçu plusieurs fois que les traits de son modèle n’exprimaient que l’impatience qu’il éprouvait …J’imaginai de porter, à la dernière séance que lui accordait M.de Voltaire, la couronne du jour de son triomphe à la Comédie Française…Je prévins M.Houdon que je m’élancerais, à un signal convenu, sur l’estrade où était placé M. de Voltaire, et lui suspendrais la couronne sur la tête ; sans doute alors elle reprendra du mouvement, et vous saisirez cet éclair, pour y mettre la vie, l’esprit et la vérité qui doivent l’animer, et qui respirent dans ce chef d’œuvre ».*

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Naturellement, M. de Villevielle s’attribue le beau rôle mais l’anecdote est réelle, simplement c’est Houdon qui eut cette idée. La réaction de Voltaire fut digne du moment car il s’écria : «  jeune homme retirez cela ! C’est seulement après ma mort que vous pourrez le faire  ». Il mourut, épuisé, le 30 mai…

[**Houdon*], avec son œil acéré, avait réussi à saisir l’âme profonde et secrète du philosophe en cet instant unique : Houdon, lui aussi, avait du génie. Il ne venait pas de nulle part : sa mère était peintre et son père concierge à l’académie royale de peinture et de sculpture. Les attributions de cet emploi n’avaient rien à voir avec ce que notre temps définit ainsi : elles étaient très larges, variées et impliquaient des contacts permanents avec les professeurs et les élèves. Grand prix de Rome de sculpture, Houdon part donc étudier à Rome en 1764, là où le classicisme triomphe. Il restera dans la ville éternelle jusqu’en 1768. Son réalisme naturel s’harmonisera facilement avec l’idéalisme antique, chose pas évidente étant donné son « tempérament français » qui lui fait considérer l’anatomie humaine comme primordiale, et la fidélité à la nature comme absolue. De retour à Paris, il devient membre de l’académie royale en 1771. Franc-maçon, il partira en Amérique faire le portrait de [**Georges Washington*] (1785). La suite de sa carrière sera très brillante : membre de l’Institut sous le Directoire, professeur à l’académie en 1805, chevalier de l’Empire…|right>

C’est [**Madame Denis*], la nièce de Voltaire, qui lui commanda la statue en marbre de son oncle, à l’automne 1778. Au salon de 1779, le sculpteur présenta une statuette en bronze doré du sujet (aujourd’hui au Rex Museum d’Amsterdam). C’est une vision de « l’aubergiste de l’Europe », comme était surnommé alors le philosophe de Ferney qui recevait, avec gourmandise, ses admirateurs en son château.

Nous voyons un vieillard assis dans son fauteuil, ses mains usées aux veines apparentes reposant sur les accoudoirs. Il semble craindre le froid car il est emmitouflé dans une épaisse robe de chambre qui laisse juste voir les bouts des deux pieds. Il paraît fatigué : une grande lassitude se lit sur son visage émacié mais souriant. Il est coiffé d’une perruque, tandis qu’un bandeau lui couvre le haut du front, à la manière des grands penseurs de l’Antiquité. S’apprête-t-il à se coucher ? Vient-il de se lever ? Rien ne permet de confirmer l’une ou l’autre possibilité.

Traiter ainsi le sujet n’a rien d’une nouveauté : la pose est familière, courante. C’est l’interprétation de l’artiste qui est sensationnelle car l’âme de Voltaire habite l’œuvre : moue sardonique des lèvres, regard narquois, méditations intellectuelles transcendantales, bonheur de ridiculiser ses adversaires par des écrits qui vivent déjà dans son esprit, quintessence de l’intelligence et de l’humanisme, vérité intrinsèque du personnage…

La transcription à échelle réelle de l’œuvre, retravaillée par l’artiste, en accentua le côté intemporel. C’est ce dernier aspect que nous apprécions tant et plus aujourd’hui. Existe, au musée Fabre de Montpellier, une terre cuite et plâtre de grandeur nature dont nous allons parler. Existent également deux marbres en taille réelle du sujet : une au musée de l’Ermitage (Saint-Petersbourg, Russie) et l’autre à la Comédie française, à Paris, marbre que nous analyserons en dernier.

Le Voltaire assis de Montpellier mesure 120,5 cm de hauteur, 71 cm de largeur et 93,5 cm de profondeur. Seule la statue de Voltaire est en terre cuite, de couleur rose-brun. Le fauteuil est en plâtre patiné sur base de bois. On date l’œuvre entre 1780 et 1790. C’est une épreuve en terre, creuse, créée par estampage dans un moule à bon creux puis retouchée par l’artiste**. Manque le haut du fauteuil, lequel est en plâtre blanc recouvert d’un enduit couleur terre cuite.|right>

Ce qui le caractérise, par rapport au petit bronze doré excepté le côté intemporel déjà cité, c’est le visage : les cheveux épars laissent voir les oreilles, le front très haut porte le bandeau très haut, de telle manière que le crâne semble ovoïde, accentuant de ce fait son air de penseur antique. Une crispation du sourire apparaît sur cette face maigre et ridée aux lèvres minces. Les yeux fatigués trahissent un regard enflammé d’Intelligence et de malice. Il est aveuglant de vérité et symbolise à la perfection le cri de l’Esprit face à l’obscurantisme, à la tyrannie et au fanatisme, de l’époque comme de tous les temps. C’est une synthèse parfaite de réalisme, d’idéalisme et de solennité que seul Houdon a réussi dans son rendu à la fois psychologique, psychique et social de Voltaire.
Trois détails sont des variations par rapport au petit modèle décrit : la robe de chambre laisse voir le seul pied gauche, la main droite repose sur le bras du fauteuil avec une force que l’on est étonné de rencontrer chez un vieillard et la robe de chambre porte de très nombreux plis.

Le marbre de la Comédie française mesure 133,5 cm de hauteur pour 78,7 cm de largeur et 103,1 cm de profondeur. Sur le devant on lit : VOLTAIRE et sur la plinthe : Houdon Fecit 1781. L’utilisation d’un matériau dur comme le marbre implique une accentuation de son côté majestueux et un abandon de l’aspect instantané, évident et inhérent à la terre cuite.|left>

Le visage est creusé de sillons, la peau est fripée. Le dessèchement ascétique de ce vieillard stupéfie le spectateur par son réalisme cru. Ses mains aux jointures visibles, aux doigts déformés par les rhumatismes et aux veines proéminentes sont d’une vérité extraordinaire. Mais, dans le même temps, ce même visage semble doté d’une énergie intime infinie, ses yeux devenant les revolvers de l’Esprit. Voltaire paraît saisir aussi bien la réalité extérieure de l’être humain, quel qu’il soit, que sa vérité intrinsèque. Ce regard clair est vivant et allègre. La moue est railleuse, transfigurant le visage. Le corps est légèrement porté vers l’avant : à l’image de Voltaire donc. Le philosophe est vêtu à l’antique avec sa pèlerine qui le rapproche des grands sages de l’Antiquité.
Mais le plus beau compliment, qui sera notre dernier mot sur la sculpture, revient au critique des « mémoires secrets »***au regard de la statue : « la première beauté, c’est la vérité ».

[**Jacques Tcharny*]|right>


Notes: *Martin-Choisy 1803, page 21.
**moulage à bon creux : il laisse intact la forme qui lui sert de gabarit : il est donc récupéré. Estampage : en sculpture, action de réaliser en relief un volume, donne des effets de relief par impression d’argile dans un moule en creux.
*** « Les mémoires secrets pour servir à l’Histoire de la République des lettres en France depuis 1762 jusqu’à nos jours  » est une chronique anonyme des événements survenus de 1762 à 1787 en France.


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WUKALI Article mis en ligne le 21/01/2019)]

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