A survey of different aspects of the Japanese power system


Il nous a paru judicieux et opportun, au moment même où [**Carlos Gohn*] fait actualité, de remettre en lumière l’article rédigé par [**Jacques Trauman*] et publié dans [**WUKALI*] en avril 2019, sur les différences culturelles qui séparent le[** Japon*] de l’Occident. A cet égard, le système judiciaire japonais et les traditions culturelles qui l’entourent constituent une pierre d’achoppement centrale. Certes le titre de l’article est provocateur, mais précisément il pointe une réalité crue que la rocambolesque évasion du patron de [**Renault-Nissan*] vient précisément de mettre à jour.

[**PAL*]


Il était parti de Norfolk en 1852, le président des Etats-Unis, [**Millard Fillmore*], lui avait confié une lettre pour l’empereur du Japon. En juillet 1853, le[** Commodore Perry*], et sa lettre, arrivèrent finalement dans ce qui est aujourd’hui la baie de Tokyo, puis le Commodore revint en février 1854 avec ses quatre canonnières à vapeur agrémentées de canons, les fameux « bateaux noirs », le Mississippi, le Saratoga, le Plymouth et le Susquehanna. Après une certaine confusion due au fait que le pouvoir réel n’était pas entre les mains de l’empereur, mais dans celles du Shogun, ce que les Américains ignoraient, les lettres furent enfin remises. Objectif des Américains : ouvrir le Japon au commerce avec l’Occident. |left>

Olécio partenaire de Wukali

Les samouraïs japonais furent totalement consternés; c’étaient des guerriers, très au fait des choses de la guerre, et ils comprirent immédiatement que ces étrangers, dont les bateaux pouvaient aller contre le vent, étaient équipés d’armes bien plus efficaces que les leurs, et qu’ils ne pourraient donc résister bien longtemps. Le gouvernement japonais était également bien au courant des méthodes occidentales, le commerce n’étant qu’un prélude à la colonisation, d’ailleurs la Guerre de l’Opium entre la Grande-Bretagne et la Chine avait largement montré comment une guerre perdue pouvait se terminer : prise de Hong-Kong, ouverture de concessions extra-territoriale à Shanghaï, ruine des populations, colonisation de fait. Hélas, les Japonais ne pouvaient résister, il leur fallu donc signer, le [**31 mars 1854, la convention de Kanazawa*], qui ouvrit peu peu le Japon au commerce occidental. Mais les Japonais ne comptaient pas en rester là, loin de là.

– [**A l’abri des frontières*]

Depuis 1603, le Japon était gouverné par les shoguns [**Tokugawa*]; ils résidaient à [**Edo*] ( aujourd’hui Tokyo ), l’empereur, qui ne gouvernait qu’en façade, résidait, quant à lui, à[** Kyoto*], la capitale impériale. A partir de 1641 le shogoun [**Iemitsu Tokugawa*] ( [**徳川家光)*] mit en place le « sakoku »([**鎖国令*], Sakoku-rei) , une politique de fermeture totale du Japon : interdiction sous peine de mort d’entrer ou de sortir du Japon, expulsion des étrangers, méfiance extrême à l’égard des missionnaires chrétiens. L’objectif était simple : éviter ce que précisément le Commodore Perry fera deux siècles plus tard, l’ouverture du Japon au commerce, à l’influence étrangère, à la colonisation. Le système fonctionna pendant deux siècles, mais explosa avec l’arrivée des « bateaux noirs » : isolé du reste du monde, bien à l’abri de ses frontières, le Japon ne s’était pas modernisé, il en payait le prix. |right>

La réponse que le Japon, ou tout au moins un groupe de jeunes samouraï (Cliquer), donna à cet immense défi mérite notre admiration; confrontés aux réformes à accomplir, ils ne se mirent pas en grève, ni ne manifestèrent; face à une technologie supérieure, ils ne posèrent pas de bombes. Ils firent preuve d’intelligence, de réflexion, de jugement, de ténacité, de courage. Le Japon, un pays grand comme les deux-tiers de l’Angleterre, dont 85% du territoire est inhabitable en raison de son relief montagneux, et sans aucune ressource naturelle ( sauf, parait-il, des « terres rares » récemment découvertes dans ses eaux territoriales ), parvint, a partir de rien, a se hisser jusqu’au rang de deuxième puissance économique mondiale derrière les Etats-Unis ( jusqu’a rêver de les dépasser…), ce qui n’est pas rien !!

Mais, en attendant, la capitulation face aux étrangers ouvrit une période de troubles, on ne pouvait s’attendre à moins; un groupe de samouraï, les «  rōnin  » ([**浪人*]) assassinèrent le secrétaire du consul britannique [**Townsend Harris*] et mirent le feu à la légation britannique à Edo, d’autres firent bloc autour de l’empereur pour laver l’honneur national souillé par la politique d’ouverture des Tokugawa, etc…etc…

Finalement, sous couvert de rétablir le pouvoir de l’empereur, ce qui n’était absolument pas le cas, un groupe de jeunes samouraï originaires du sud du Japon et de petit rang, prirent le pouvoir en 1868 et s’installèrent à Edo, rebaptisée Tokyo, « capitale de l’est ». On entrait dans l ‘ère de la [**Restauration Meiji*] [**明治維新,*] la soi-disant restauration du pouvoir impérial.

[**- Rattraper l’Occident*]

Car si les jeunes samouraï, idéalistes et patriotes, rendaient un respectueux hommage à l’empereur, ils gouvernaient en son nom. Ils mirent en place la politique du « fukoku » ( [**富国強兵*]« un Japon riche et une armée puissante « ), réalisant qu’ils ne pourraient pas expulser les étrangers sans une économie forte; il fallait battre l’occident sur son propre terrain, l’enjeu était là. Ils réussirent au delà de toute espérance.|right>

En 1868, ils déclarèrent que « les carrières seront ouvertes également à tous, et la connaissance recherchée à travers le monde ». Les samouraï perdirent leurs privilèges aristocratiques, et une armée de conscrits paysans fut mise en place sur les modèles français et prussien. En 1878, 40.000 samouraï mécontents se révoltèrent et furent écrasés par la nouvelle armée de paysans. Puis, de 1871 à 1873, une délégation ( la mission Iwakura, [**岩倉使節団*], Iwakura Shisetsudan ), réunissant la moitié des dirigeants japonais, fit un voyage exploratoire aux Etats-Unis et en Europe, de nombreux livres occidentaux furent traduits ( Jules Verne, Jean-Jacques Rousseau, les Contes des mille et une nuit, Tourgeniev, Dostoïevski, Tolstoï, Victor Hugo ), un ministère de l’éducation fut crée pour les garçons et pour les filles, la prestigieuse Université de Tokyo fut crée en 1877 [**東大*] / [**東京大学*], Tōkyō daigaku. A un coût considérable, des étudiants furent envoyés en Grande-Bretagne pour étudier les technologies, l’industrie et le commerce, en France pour étudier le droit, en Allemagne pour apprendre la science politique et la médecine, aux Etats-Unis pour les humanités et les sciences sociales. Le français [**Gustave Boissonade de Fontarabie*] fut invité à rédiger un code criminel, un code civil fut établi, etc…etc…Tout ceci fut fait avec méthode et détermination, et, il faut le dire, avec efficacité.

Mais, en même temps, tout ceci ne se fit pas sans traumatismes. En 1879, l’empereur émit un rescrit qui condamnait « l’émulation indisciplinée de l’Occident »; il fallait mettre « l’accent sur les grands principes gouvernant les relations entre le dirigeant et ses sujets, le père et le fils; il faut faire avancer le bien public, promouvoir l’intérêt commun, respecter la constitution, observer scrupuleusement la loi; et en cas de grand danger, s’offrir courageusement pour défendre la patrie  ».

Èn fait, deux écoles s’affrontaient : celle qui pensait qu’on ne pouvait pas rattraper l’Occident sans adopter les valeurs occidentales ( « Technologie Occidentale, Valeurs Occidentales » ), et celle qui pensait qu’on pouvait bien le faire en conservant ses valeurs traditionnelles ( « Technologie Occidentale, Valeurs Orientales »).

Deux hommes symbolisent ces deux approches. [**Fukuzawa Yukichi*] [**福澤 諭吉*] publia en 1875 « Une esquisse de la théorie des civilisations », dans lequel il avance que le Japon, comme la Chine et la Turquie, n’était que demi-civilisés et inférieurs à l’Ouest en littérature, en arts, en commerce, en industrie; conclusion : il faut acquérir « l’esprit de la civilisation », en un mot, les valeurs occidentales. Pas du tout, répliqua [**Tukotumi Soho*] [**徳富 蘇峰*] en 1889 dans le journal Nihon : « Nous reconnaissons l’excellence de la civilisation occidentale. Nous apprécions les théories occidentales des droits, de la liberté et de l’égalité; et nous respectons la philosophie et les principes moraux de l’Occident…et par dessus tout, nous estimons la science, l’économie et l’industrie occidentale. Mais tout ceci ne doit pas être adopté aveuglement sous prétexte que c’est occidental; ces principes ne doivent être adoptés que s’ils contribuent au bien être du Japon  ». En un mot, on prend ce qu’on veut : la technologie occidentale, oui, mais pas forcément ses valeurs.|right>

Le débat intellectuel, violent, dura un vingtaine d’années. Au tournant du siècle, l’affaire était pliée, « Technologie Occidentale, Valeurs Orientales » avait définitivement gagné la partie.

Le reste de l’Asie, qu’il l’admette ou non, a suivi le modèle japonais; c’est le[** Japon*] qui a ouvert la voie, bien avant les autres, à la reconstruction; avec deux principes : rattraper l’Occident technologiquement et économiquement, mais conserver ses valeurs orientales. Les grands leaders asiatique du XX ième siècle, [**Lee Kuan Yu*] [**李光耀*] à Singapour, [**Mahathir ibn Mohamad*] en Malaysie [** محضير بن محمد *], [**Deng Xiaoping*] en Chine [** 邓小平*], , tous suivirent ces principes. L’Occident ferait bien de réaliser ce qui est l’évidence même pour tout occidental qui a vécu en Asie : les valeurs universelles ne le sont pas. Une partie du malentendu vient de là.|left>

– [**Un Hollandais pas si tranquille…*]

Il se trouve que l’auteur de ces lignes dirigeait une banque internationale à Tokyo entre les années 1989 et 1993, et il peut en témoigner : l’ambiance au[** Japon*] à cette époque était explosive. La majorité des Japonais, et des étrangers d’ailleurs, pensaient que le Japon était sur une trajectoire qui allait l’amener sous peu à dépasser les Etats-Unis. C’était évidemment de la pure folie, mais beaucoup y croyaient dur comme fer. D’innombrables livres paraissaient aux Etats-Unis pour le prouver, à l’image d’[**Ezra Vogel,*] qui avait publié « Japan as Number One » en 1979. Le Japon allait écraser tout le monde, [**Reagan*] et [**Thatcher*] les donnaient en exemple.

C’est alors qu’en 1989 explosa une véritable bombe. Un certain [**Karen Van Wolferen*] sortit en 1989 « The Enigma of Japanese Power », hélas jamais traduit en français. Cette somme de connaissance intime du Japon fit immédiatement scandale, et surtout chez les officiel japonais, qui traînèrent Van Wolferen dans la boue.

– [**Qui est donc cet homme qui démystifia le Japon ?*]

[**Van Wolferen*] est né en 1941 à Rotterdam. Sa mère était la fille d’un docker, son père un résistant de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir travaillé dans un magasin de vélos et livré des journaux, Van Wolferen quitte les Pays-Bas à 18 ans, fait le tour du monde, et se retrouve au Japon en 1962. Il en tombera amoureux, comme beaucoup d’européens romantiques de cette période. Il finira par s’installer au Japon, qu’il ne quittera plus, et deviendra correspondant du journal NRC Handelsblad, et président du Foreign Correspondants’ Club of Japan. A la parution de son livre, il y eut deux camps bien déterminés : ceux qui donnaient mille fois raison à Van Wolferern, et ceux qui tentèrent par tous les moyens de le déconsidérer. Ainsi, le Japan Times, critique évidemment, écrivit-il : « déplorer l’absence de rationalité « occidentale », d’individualisme « occidental », et de structure « occidentale », dans une société avec une Histoire et des traditions si radicalement non-occidentales est un retour déplaisant à la pensée coloniale ». On ne pouvait mieux dire… »|right>

Dans une revue positive du livre, un autre fin observateur du Japon,[** Austin Lewis*] écrivit dans The World & I : «  En effet, la stratégie du Japon depuis la guerre a été de promouvoir sa croissance économique coûte que coûte par tous les moyens, et la nation japonaise ne peut pas changer de politique parce qu’elle n’a ni l’équipement intellectuel, ni l’expérience pour débattre des alternatives, ni de mécanismes politiques pour rendre obligatoire et légitime par le peuple ses propres décisions; elle n’a pas non plus de centre politique responsable… les Japonais sont donc un peuple sans état, un peuple sans citoyenneté, et dotés d’une administration dont les décisions sont purement pragmatiques et sans aucune légitimité  ». Et Austin d’ajouter : «  les Japonais sont comme les passagers d’un TGV qui file à toute vapeur devant le Mont Fuji, mais personne n’est aux commandes. Les contrôleurs vérifient les tickets, et maintiennent l’ordre parmi les passagers, les cheminots dans les gares ont leur drapeaux, mais les rails n’ont pas d’aiguillages et les passagers ne savent pas comment programmer l’ordinateur qui guide le train. Un Système de démocratie confucéenne, dont les Japonais sont d’ailleurs les premières victimes, un amalgame de structure politique occidentale mâtiné de soumission asiatique traditionnelle à l’autorité   ». Bref, pas une démocratie au sens où nous l’entendons…

– [**L’Asie conquérante*]

L’émergence de l’Asie nous inquiète et nous surprend; pas autant sans doute, que n’ont surpris celle de ces obscurs royaumes occidentaux qui émergèrent a partir du 16 ième siècle. Comment, du point de vue des Japonais, des Ottomans ou des Chinois, ces minuscules royaumes du bout du monde ont-ils pu vaincre, et conquérir, si facilement des empires millénaires ? « La technologie, stupid ».

Beaucoup de pays digèrent encore le traumatisme du colonialisme, et les valeurs occidentales, sans être rejetées, sont perçues avec la plus grande méfiance. En Irak, par exemple, pourquoi [**Georges Bush*] fils prétend t-il qu’il vient établir la démocratie alors qu’il détruit consciencieusement le pays ? Voilà qui alimente la propagande de Daesh.

Mais l’Asie, précédée par le Japon, a choisi une autre voie : battre l’Occident à son propre jeu. Le Japon est allé aussi loin que sa géographie et sa population le lui permettaient, il sort de son élan un peu épuisé et heureusement plus circonspect. Du coup, on se demande où ira la Chine ? Vers un crash final et une explosion, comme les Chinois en ont le secret, les contradictions internes devenant insoutenables, ou bien parviendra t-ellel à se réformer et à devenir une grande puissance respectable ? Nous verrons bien…

Mais regardons attentivement l’histoire. Le [**Japon*] n’a embrassé la démocratie que parce qu’il fut occupé par les Américains après 1945, et que [**MacArthur*] a inscrit les principes démocratiques dans les constitution. Les Japonais y croient ils vraiment ou bien font-ils semblant d’y croire, vaquant à leurs affaires comme si de rien n’était ? Deng Xiaoping, quant à lui, a rejetées les idéologies fantaisistes qui prêteraient à rire si elles n’avaient fait des millions de morts; et il prononça une phrase qui a changé sans doute le cours de l’histoire : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape les souris  ». Précepte génial. En matière économique, soyons pragmatiques, faisons sauter tous les « ismes », utilisons ce qui marche et rejetons ce qui ne marche pas, point barre. Résultat : on le voit bien ! |center>

Le[** Japon*] et le [**Chine*] pratiquent-ils des politique mercantilistes, c’est-à-dire cherchent-ils a exporter le plus possible sans vraiment jouer le jeu ? Evidemment, mais la Grande-Bretagne a fait exactement la même chose au 19 ème siècle. Faut-il reprocher aux autres de faire ce que nous avons fait nous-même ? En attendant, achetons français…

Quant à nos valeurs, que nous avons énoncées comme étant universelles, elles ne le sont pas vraiment. L’Asie pense différemment, le Moyen-Orient pense différemment, devons-nous l’accepter ?

[**Jacques Trauman*]|right>


Illustration de l’entête: Tokyo, quartier de Shinjuku. Photo Nikkei Asian Review


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WUKALI Article mis en ligne le 27/04/2019, 07/01/2020

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