Trump sera-t-il réélu ?
Il descendait de l’illustre famille des Claudii. Son père, Apius Clodius Pulcher avait été consul, son grand-père et son frère l’avaient été également. Sa mère, Cecilia Metella Balearica, était issue de l’influente famille des Caecilii Metelli, qui elle aussi avait donné à Rome d’innombrables consuls. Bref, Publius Clodius Pulcher était bien né. Et il était riche.
Une jeunesse dorée
Dès son plus jeune âge, cependant, il devint un habitué des plus belles frasques. Envoyé sous les ordres de son beau-frère, Lucius Licinius Lucullus, se battre contre Mithridate VI, roi du Pont, lors de la troisième guerre mithridatise qui se déroula entre -74 et -63, il s’estima maltraité par son beau-frère et ne fit pas moins que fomenter
une mutinerie des soldats ! On l’envoya alors en Cilicie, chez un autre de ses beau-frères, Quintus Marcius Rex, qui en était le gouverneur, et qui lui donna le commandement de sa flotte ; mais Clodius réussit à se faire prendre par les pirates, à qui il faudra payer une rançon…que Clodius trouvera largement insuffisante compte tenu de son rang !
On le retrouve en -63 à Rome -il a alors 29 ans- où il est mêlé à la conjuration de Catilina, le sénateur Lucius Sergius Catilina ayant tenté de s’emparer du pouvoir ( Catilina mourra au combat en -62 ). Mais le consul Cicéron se mettra en travers de la route de Catilina, le vaincra militairement, et deviendra « Pater patriae », pour avoir sauvé la patrie en danger. Plutarque affirmera que Clodius avait soutenu Cicéron et qu’il deviendra même son garde du corps. Mais l’amitié entre Cicéron et Clodius allait rapidement être compromise…
La femme de César
C’est l’affaire des Bona Dea qui allait mettre le feu aux poudres. Affaire d’autant plus amusante que Clodius était un homme à femmes, et surtout de belles femmes. Bona
Dea, la « bonne déesse », était la déesse de la chasteté ; elle avait dû, selon la mythologie, se défendre des agressions sexuelles de son père, Faunus, petit-fils de Saturne. Faunus réussit cependant dans son entreprise funeste en prenant la forme d’un serpent. Déesse de la fertilité, Bona Dea était responsable de la fertilité des champs. La déesse avait son temple à Rome, sur le Mont Aventin et faisait l’objet, chaque année, dans la nuit du 3 au 4 décembre, d’une cérémonie absolument interdite aux hommes et réservée aux femmes de l’aristocratie et aux vestales. Or, Claudius, contemporain de César ( à l’époque César était Pontifex maximus, c’est-à-dire grand prêtre de la religion romaine ), était amoureux de Pompeia Sulla, fille de Sylla, qui n’était autre que l’épouse de César ; Clodius se déguisa en joueuse de flûte ou de lyre, afin de participer aux cérémonies de Bona Dea, qui avaient lieu dans la résidence officielle de César, sur la Via Sacra ( la Via Sacra mènera plus tard jusqu’à une gigantesque statue de Néron, coiffé d’une couronne de rayons de soleil ), et d’approcher ainsi Pompeia Sulla, qu’il convoitait. Il fut démasqué.
Le scandale fut considérable, un procès eu lieu, Clodius prétendit qu’il n’était pas à Rome au moment des faits et produisit un faux témoin, rien ne put être prouvé, sauf que Cicéron affirma qu’il avait vu Clodius à Rome précisément ce jour là, ruinant l’alibi. Clodius entreprit alors de corrompre les juges, il y réussit et fut acquitté. Les conséquences de cette aventure furent doubles : premièrement, César se sépara de sa femme, au motif que « la femme de César ne peut pas être soupçonnée », et deuxièmement, Clodius se prit d’une détestation pour Cicéron, ce qui aura une influence sur la suite de l’histoire.
L’homme du peuple
C’est alors que Clodius, pour favoriser sa carrière politique, prit la décision radicale de renoncer à son rang de patricien. Il fallait oser le faire…et il fallait surtout l’accord du Sénat, qui y consenti, avec la connivence de César, en tous cas selon Suétone. Un bon moyen pour César de se débarrasser d’un encombrant jeune homme…
En -59, Clodius se fit adopter par un certain P. Fonteius, ce qui lui ouvrit la voie à l’élection en tant que Tribun de la plèbe, ce qu’il n’aurait pu faire s’il était resté patricien. Mais l’ambition politique passait avant tout. Elu, il prit alors toutes sortes de mesures qu’on pourrait qualifier aujourd’hui de « populistes », et qui lui valurent l’adulation de la plèbe : le blé, au lieu d’être vendu à bas prix, serait carrément donné, il augmenta le pouvoir des assemblées populaires et interdit qu’on les empêchât si les augures étaient mauvaises ( tactique d’obstruction habituelles de l’aristocratie romaine ), les associations d’artisans ( collegia ), qui étaient en fait des bandes de partisans armés, furent rétablis, le pouvoir des censeurs d’exclure un citoyen du Sénat fut aboli, etc…
Puis, Clodius décida de régler ses comptes avec Cicéron. Prenant prétexte que Cicéron avait fait exécuter les complices de Catilina sans respecter leur droit d’appel, Clodius réussit à le faire exiler ; ses propriétés furent confisquées, sa maison détruite, le terrain mis aux enchères et acquis par Clodius…grâce à un prête-nom. Clodius ne reculait décidément devant rien.
Le succès de Clodius fut alors considérable ; soutenu par la plèbe, et par des bandes de nervis, il devint quasiment le maître de Rome après le départ de César en Gaule. Il s’opposa au retour de Cicéron, fit mettre le feu à la demeure de son frère, Quintus Tulius Cicero. C’est finalement Pompée qui dut remettre un peu d’ordre dans Rome.
En -56, Clodius, édile curule, tenta de faire taire Titus Annius Milo, dit Milon, ami de Cicéron, en l’accusant d’employer des bandes armées ( alors que c’était surtout l’inverse, quel culot…). Bref, Clodius était un incontrôlable agité du bocal !!!
En -53, Milon et Clodius s’affrontèrent à nouveau. Milon était candidat au consulat ( soutenu par le Sénat qui voulait écarter Pompée, soupçonné de chercher à instaurer une dictature ), et Clodius à la préture. Les bandes armées des uns et des autres s’affrontaient dans Rome, créant un épouvantable désordre. Le 18 janvier -52, sur la via Appia, Milon, qui allait à Lanuvium pour désigner un prêtre, tomba sur Clodius, qui revenait d’une visite aux magistrats municipaux. Un des esclaves de Milon se jeta alors sur Clodius, et le blessa grièvement à l’épaule. On transporta Clodius dans une auberge toute proche, mais voyant cela, Milon, rancunier, fit prendre l’auberge d’assaut et vint en personne l’achever. Charmantes moeurs…Le cadavre de Clodius fut abandonné sur la route sans autre forme de procès, mais un sénateur, Sex Tedius, qui passait par là, le fit transporter à Rome. Une grande foule accouru devant sa maison, où sa veuve, Fulvia, fondit en larmes. Un bûcher funéraire fut construit à la hâte devant la Curie romaine, et le corps de Clodius fut brulé, selon la coutume. Le Sénat nomma finalement Pompée consul, et le procès de Milon fut organisé, au motif de violences, et d’organisation de bandes armées. Les débats furent chaotiques. Cicéron, qui était présent pour assurer la défense de Milon, trembla comme une feuille devant la fureur populaire, prononça un discours maladroit qui plaidait la légitime défense et affirmait que de toutes façons, Milon avait débarrassé Rome d’un fléau, ce qui était vrai. Milo fut finalement condamné à l’exil, mais Cicéron put rester à Rome.
Comme un air de déjà vu…
On a parfois comparé Clodius à Donald Trump : bien né comme lui, riche, doté d’un sens inné de la provocation et de la faculté de se faire aduler par les classes populaires, pervers narcissique, menteur et sans scrupule, refusant de jouer selon les règles établies, considérant que rien n’était sacré, se moquant comme une guigne du sens de l’état, amateur de jolies femmes et ne reculant devant rien pour atteindre ses objectifs. Mais il y avait autre chose…
La fin de la république romaine, l’époque de César, était une période troublée, une période de guerres civiles sanglantes et de conflits brutaux, tel celui de Marius et de Sylla. On pouvait certes à ce moment de l’histoire, s’enrichir rapidement, mais on pouvait tout autant perdre sa fortune, et plus vite encore ; tandis que l’ancienne oligarchie, ébranlée, cherchait à survivre et à maintenir ses privilèges.
Clodius était le héros des classes populaires romaines en colère, et il était aussi la hantise des classes dirigeantes, qui ne savaient plus comment le contrôler. La transition d’une république romaine de taille moyenne en un immense empire multi-ethnique entraînait de violentes fractures ; et des conséquences qui différaient considérablement selon les classes sociales, tout comme la mondialisation aujourd’hui ( des historiens, tels Alberto Angela ou Yves Roman, parlent d’ailleurs de l’empire romain comme celui de la première mondialisation. Dans « Empire », Alberto Angela raconte l’incroyable périple d’une pièce d’une sesterce qui, passant de main en main, fait le tour de l’immense empire, en passant de Rome à Londres, d’ Hispanie en Provence, d’Afrique en Egypte, de Mésopotamie à Ephèse, illustrant ainsi que les Romains avaient unifié un immense territoire, jusque à en faire un grand marché ou s’échangeait librement les marchandises ).
Les habitants de l’empire, au plus fort de sa puissance, sous Trajan, étaient de couleur de peau et de religion souvent différentes, vivaient dans un empire multi-ethnique, parlaient tous la même langue, appartenaient à la même communauté, vivaient sous les mêmes lois et consommaient les mêmes produits. Une sorte de mouvement féministe prit corps, les femmes s’émancipèrent quelque peu, conduisant d’ailleurs à une baisse notable de la natalité. Dans le même temps, un corps de loi unifié était en vigueur partout et les marchandises circulaient librement. « Vous pouviez vous assoir dans une taverne d’Alexandrie, de Londres ou de Rome et commander le même vin de Moselle, puis assaisonner votre plat avec la même huile d’Hispanie. Dans la boutique d’a côté vous pouviez acheter une tunique dont le lin était cultivé en Egypte mais qui avait été tissé à Rome », nous dit Alberto Angelo.
Les Romains de la décadence. Thomas Couture (1847). Huile sur toile, 472 x 772 cm, musée d’Orsay
« Pourquoi Sparte et Athènes, si puissantes par les armes, ont-elles péri, si ce n’est pour avoir repoussé les vaincus comme des étrangers ? Honneur à la sagesse de Romulus, notre fondateur, qui tant de fois vit ses voisins en un seul jour d’ennemis devenir citoyens » déclarera l’empereur Claude ; et l’empereur Septime Sévère, quant à lui, fut un véritable Barack Obama romain. Avec quelques réserves cependant : Lucius Septimus Severus Pertinax, de mère italienne et de père libyen, venait d’une excellente famille. Il se méfiait du Sénat et sacralisa l’institution impériale. Il n’avait certes pas l’allure élégante d’Obama : petit, maigre, taciturne, doté d’un fort accent, mais très vif, s’appuyant sur l’armée, entouré de conseillers africains et syriens, il aura donné le conseil suivant à ses successeurs : « Maintenez la concorde, enrichissez les soldats, et moquez-vous du reste ». Pas vraiment le programme d’Obama !
La perspective la mondialisation
Pour les classes dirigeantes et les possédants, la perspective de cette mondialisation avant l’heure, qui se dessinait à la fin de la république, était formidable : conquête de nouvelles terres promettant de juteux bénéfices, importation de nouveaux esclaves qui feraient tourner la machine économique, tout cela ne pouvait être que profitable ; l’avenir semblait radieux.
Pour les classes populaires, en revanche, c’était souvent l’inverse : la transformation de la république en empire ne pouvait que les paupériser davantage. A cette époque, Rome était une immense citée de plus d’un million d’habitants, où le luxe le plus ostentatoire côtoyait la plus abjecte pauvreté. Le fait que l’oligarchie dirigeante ne tiennent strictement aucun compte de la souffrance et des besoins de l’immense majorité de la population de Rome ( sauf à distribuer du pain et à organiser des jeux, le fameux « Panem et circenses » ) était source d’un énorme mécontentement et de guerres civiles à répétition. La plupart des élus n’inspiraient plus aucune confiance, ils étaient usés et n’étaient plus crédibles, il n’est donc pas étonnant qu’un démagogue particulièrement habile ne capte cet énorme mécontentement à son profit. Cela devait arriver tôt ou tard. Clodius avait compris que les Romains de base ne croyaient plus en la propagande éculée des classes supérieures de la république, discréditées, vivant dans leur effarante bulle de luxe et coupées des réalités quotidiennes du peuple ; et Clodius comprit très vite qu’humilier et ridiculiser les élites accroîtrait considérablement sa popularité -ce qui fut le cas. Plus il insultait et ridiculisait les élites détestées, plus la plèbe l’aimait.