Le 2 avril dernier, le journal Le Monde publiait un article effrayant (« La pandémie liée au coronavirus amène le monde devant une montagne de dettes », par Eric Albert ). Cet article soulignait que « selon UBS, l’ensemble des plans de relance à travers la planète atteint désormais 2,6 % du PIB mondial, dépassant largement l’effort fait lors de la crise de 2008 ( 1,7% du PIB ). Dans certains pays, ils vont bien au-delà : 10% aux Etats-Unis, 8% au Royaume-Uni…Et ce n’est probablement qu’un début ».
A l’heure des déficits budgétaires qui seront probablement abyssaux et alors que les les Banques Centrales arrosent les économies occidentales de liquidités ( arriverons-nous jusqu’à la distribution de cash aux ménages sous forme « d’helicopter money » ? ), n’est-il pas temps de réouvrir un dossier fantasmagorique, c’est-à-dire celui de la distribution du crédit par les banques. Tranchons une bonne fois pour toutes une question qui agite souvent les esprits : puisque les états vont ouvrir grand les vannes et puisque les Banques Centrales vont créer des tombereaux de monnaie, ne peut-on pas demander aux banques commerciales de distribuer des crédits sans limites ? En quelque sorte, la question est : les banques commerciales peuvent-elles, elles-aussi, créer de la monnaie ? La réponse a cette question est difficile, d’où les hésitations, et les articles que l’on peut lire ici ou là sur ce sujet sont souvent, il faut le dire…incompréhensibles. Aussi tenterons-nous de simplifier l’affaire autant qu’il est possible. La réponse à la question de savoir si les banques peuvent créer de la monnaie est donc : oui et non; ou si l’on préfère, non et oui.
NON
Une banque commerciale vous dira qu’elle ne crée pas de monnaie. La raison en est simple : elle ne crée pas de monnaie, point barre. Elle ne prête que de l’argent dont elle dispose.
Une banque, c’est un bilan.
Un bilan, c’est comme les deux ailes d’un avion, qui doivent être absolument équilibrées; si un avion penche de plus en plus à droite ou de plus en plus à gauche, il n’est pas besoin d’être pilote pour comprendre que l’avion va partir en vrille. Un bilan, c’est pareil.
Au passif du bilan d’une banque, disons la banque A, il y a tout ce qu’elle doit : son capital ( l’argent qu’à investi ses actionnaires ), et les dépôts, à vue ou bloqués à terme.
Le capital
Si le ou les clients d’une banque ne remboursent pas leurs crédits, les profits de l’années sont d’abord utilisés pour absorber la perte, puis c’est le capital qui est diminué en conséquence. En cas de pertes systémiques, si les pertes sont très importantes, c’est le capital qui est diminué en proportion, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus, et la banque est alors en faillite. D’où l’intérêt d’avoir un capital ( et des « fonds propres », qui incluent le capital plus d’autres éléments ), aussi important que possible. Le capital, ou les fonds propres si l’on préfère, c’est l’amortisseur. Les réglementations de Bâle III fixent des règles strictes a cet égard, établissant des ratios de fonds propres par rapport au total du bilan ( nous l’avons expliqué dans un article précédent ), limitant ainsi « l’effet de levier », donc les risques.
Les dépôts
Les dépôts peuvent être ceux déposés par le public ( vous et moi ), ou prêtés par d’autres banques via le marché monétaire, ou déposés par une Banque Centrale. Au moment de la crise de 2008/2009, les banques, s’interrogeant sur la santé de leurs confrères, ne se prêtèrent plus entre elles, le marché monétaire se retrouvant à sec; les Banques Centrales se substituèrent alors au marché monétaire défaillant, prêtant temporairement aux banques des sommes gigantesques qui furent d’ailleurs remboursées, avec intérêt.
A l’actif du bilan, il y a ce que les agents économiques doivent à la banque, pour faire simple, les prêts. Donc, il est facile de comprendre, puisque passif et actif doivent être absolument égaux, qu’une banque ne peut prêter que de l’argent qu’elle a obtenu de la part de ses clients, du marché monétaire ou d’une Banque Centrale.
Conclusion : une banque, la banque A, ne crée pas de monnaie, tout ce qu’elle prête, elle l’a déjà; et au passage, entre le coût des dépôts et le taux du prêt, elle prend une marge, ou un « spread », qui constitue sa rémunération. Voilà qui résout le problème une bonne fois pour toutes.
OUI
Seulement voilà. Les choses se compliquent un peu parce que les crédits consentis par la banque A se retrouvent dans les circuits économiques. Par exemple, la banque A a pu consentir un crédit à une entreprise qui s’en sert pour payer des salaires, lesquels se retrouvent déposés dans la banque B.
La banque B dispose donc de dépôts supplémentaires qui peuvent lui servir à consentir de nouveaux crédits. Du point de vue de la banque B, il n’y a eu aucune création monétaire du fait de son activité, et c’est vrai, puisqu’elle n’aura fait qu’utiliser un nouveau dépôt pour consentir un nouveau crédit. Mais du point de vue macro-économique, le crédit consenti par A se retrouvera sous forme de dépôt chez B, qui consentira un nouveau crédit. Et le processus pourra continuer, avec de nouveaux dépôts dans une banque C, et de nouveaux crédits, etc…etc… Ainsi, si chaque banque prise individuellement n’a en rien créé de la monnaie, le système dans son ensemble l’aura fait. C’est le principe du « multiplicateur de crédit ».
Jusqu’où le processus pourra continuer ? Les Banques Centrales imposent aux banques commerciales de procéder à des réserves obligatoires, c’est-à-dire de déposer chez elles une partie de leurs dépôts. Ainsi, si les réserves obligatoires sont de 5% ( elles ne sont que de 1% dans la Zone Euro, et encore, pour les dépôts d’une durée inférieure à 2 ans ), le processus perdra de sa vigueur à chaque dépôt effectué dans une banque, jusqu’à parvenir à son terme. En augmentant ou en diminuant les réserves obligatoires, les Banques Centrales peuvent ainsi réguler la quantité de crédits bancaires mis en place dans l’économie. Mais ces dernières se servent de nos jours de leur capacité à réguler les taux d’intérêts plutôt que de recourir aux réserves obligatoires.
En conséquence, nous voilà donc revenus à la case départ. Les banques créent-elles de la monnaie ? Non et oui. Une banque individuelle ne le peut pas, mais le système bancaire le fait, surtout si la Banque Centrale lui donne un petit coup de pouce ( en plaçant des dépôts, par exemple ). D’où notre « réponse de normand », et en application du principe selon lequel « la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a ».