De la fin du Premier Empire à l’avènement du Second
De tous temps, au coeur de toutes les nations, art et politique ont toujours été liés : la politique régissant les règles esthétiques, l’art soutenant ou s’insurgeant contre les dirigeants. Il est des époques où l’on remarque davantage cette corrélation, c’est le cas pour la première partie du XIXe siècle.
Entre épopée napoléonienne et émergence du fait national, la France vit au rythme des secousses politiques et des évolutions de moeurs qui ont un impact direct sur les productions artistiques. Le néoclassicisme antiquisant disparaît avec les toiles des derniers élèves de David tandis que les romantiques d’Allemagne et d’Angleterre diffusent en France une nouvelle manière de figurer, emplie de sentiments.. Si je vous dis Pluie, Vapeur et vitesse, Radeau de la Méduse, Liberté guidant le peuple… Vous me dites ?
De la marche vers l’abîme de Napoléon à l’irruption du Romantisme
Napoléon Bonaparte en juin 1812 marche sur Moscou après avoir déclaré l’invasion de la Russie Impériale. Jusqu’en décembre, dans le froid piquant de l’hiver russe, la Grande Armée de l’Aigle se bat pour la défense d’un blocus continental contre le Royaume-Uni qui ne tient déjà plus.
C’est la campagne de Russie, elle n’essuie que des échecs face à Alexandre 1er. Vaincu, l’Empereur des Français se retire après la Berezina (actuelle province de Minsk en Biélorussie). Cette défaite marque l’arrêt de ses ambitions de domination européenne mais surtout le début de son déclin. Expulsé de Leipzig en 1813, poussé à l’abdication en France en 1814, il s’exile sur l’Île d’Elbe, une île en méditerranée non loin de sa Corse natale. En son absence, Autrichiens, Prussiens et Russes occupent le pays tandis que Joséphine meurt d’une pneumonie. Louis XVIII, dernier descendant de Louis XV le « Bien-Aimé », prend le pouvoir : c’est la Première Restauration. Les Bourbon installent un nouveau régime constitutionnel.
Après trois cents jours d’exil, Napoléon débarque en France le 1er mars 1815 et marche à travers le pays pour fédérer les mécontents. Louis XVIII n’y voyant pas l’ombre d’une menace, quitte Paris le 19 mars : le régime s’effondre le lendemain, à l’arrivée de Napoléon aux Tuileries. Coup d’état réussi, la monarchie fuit à Gand et les Cent-Jours commencent.
Sa confiance retrouvée, Napoléon prend route pour la Belgique. Waterloo. Échec fatal face au duc de Wellington. La Grande Armée est en déroute et Napoléon abdique pour la seconde fois en juillet 1815. C’est la chute de l’Empire, presque trente ans après la prise de la Bastille. un joli parallèle. Afin qu’il ne puisse plus « nuire au repos du monde », Napoléon est déporté par les Britanniques sur l’Île de Sainte Hélène, une île volcanique située au milieu de l’océan Atlantique. Il est accompagné par quelques uns de ses fidèles. Il meurt dans sa maison de Longwood house où il a été relégué le 5 mai 1821 à l’âge de 51 ans. Vive l’Empereur !
S’il y eut un admirateur de Napoléon, pourtant révolutionnaire de la première heure, ce fut bien Jacques-Louis David. De membre de l’Institut de France, il passe à la place de Premier peintre et réalise le désormais célèbre Sacre, entre 1805 et 1807. Il devient le chef de file français du néoclassicisme, mouvement de retour à l’antique qui servira la politique impériale.
De style lisse, il opte pour des tons sombres et des sujets inspirés de l’histoire gréco-romaine. Aussi rigide qu’il puisse être, il est d’une beauté sans égal : il suffit de regarder Le Serment des Horaces(1784), Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils (1789) Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard(1801). David voit son maître tomber alors qu’il est à l’apogée de son art, au summum de son influence. Pourtant, une révolution picturale, allemande puis anglaise, s’apprête à envahir la France. A bas les conventions !
Réaction au néoclassicisme, le romantisme littéraire est apparu dès la fin du XVIIIe siècle en Allemagne avec le mouvement sturm und drang, suivant en cela la publication des Souffrances du jeune Werther de Goethe en 1787. On le retrouve en Angleterre à travers la poésie de Lord Byron. Ce mouvement artistique et intellectuel s’enracine aussi dans un contexte politique et de rivalités entre états. La guerre d’indépendance de la Grèce contre la Turquie en sera un des éléments clés.
De l’Angleterre et de l’Allemagne
Byron, jeune poète et dandy anglais parti combattre auprès des insurgés grecs contre les Ottommans mourra près de Patras sous les murailles de la ville de Missolonghi. L’événement est alors rapporté dans toute l’Europe, et son oeuvre littéraire comme sa mémoire seront célébrés dans tous les cénacles artistiques et intellectuels des grandes capitales.
Victoire du sentiment et de l’émotion contre la raison, le romantisme en peinture privilégie l’expression du moi et les thèmes de la nature. Libérée des carcans, vibrante, l’oeuvre romantique exalte le mystérieux, le fantastique, la révolte, l’influence de Shakespeare est manifeste, celle de Goethe aussi. L’intérêt est maintenant porté sur l’émotion suscitée. Deux artistes majeurs incarnent tout particulièrement ce tournant majeur de l’histoire de l’art.
Londres. Alors que Byron écrit (il mourra en 1824), Turner prend les pinceaux et utilise ses huiles pour se faire peintre de la lumière. Coloriste et nuancier inventif et subtil, il est actif dès les années 1790. Il s’est imposé des défis techniques, a exploré la matière, le dérapage du pinceau, les tâches imprévues et les défauts du papier. Au moment où Napoléon capitule devant Alexandre 1er, il peint Tempête de neige : Hannibal et son armée traversant les Alpes en 1812 qui montre la force écrasante de la nature sur l’homme. La scène censée représenter les soldats victimes d’une tempête, se dégage du sujet, de l’anecdote, de l’historicité pour se focaliser sur la représentation d’un événement météorologique et naturel. On n’est pas loin de l’abstraction qui n’arrivera que plus d’un siècle plus tard. Il termine L’éruption du Vésuve en 1817.
Tandis que dans le même temps, sur le continent, en Allemagne, l’oeuvre spirituelle de Caspar David Friedrich est centrée sur le sentiment romantique par excellence : la solitude humaine face à l’immensité de la nature. Ainsi, ses paysages et décors (cimetières, ruines) sont austères et intemporels et la translucidité des couleurs leur confère une aura de mystère. Indubitablement, l’effet est saisissant devant Voyageur contemplant une mer de nuages, peint en 1818 et La Mer de Glaces de 1824 (on dirait clairement un dessin de bande-dessiné actuelle !) Au même moment, en France, Louis XVIII est revenu au pouvoir depuis trois ans.
Sensibilité romantique au service de la nation et chute de la Maison d’Orléans
C’est alors que revenu timidement sur le trône en 1815, Louis XVIII, dernier des Bourbon instaure la Seconde Restauration. On peut voir ainsi débuter l’expérience d’une monarchie constitutionnelle essayant de créer une unité dans le pays entre les bases héritées de la Révolution et celles de l’Ancien Régime. Ainsi, après l’épisode de la Terreur blanche, de 1816 à 1820, le régime prend un tournant plus libéral, sous la direction des ministres Richelieu puis Decazes. Libéral, vraiment ?
De fait, c’est sous son règne que le courant néoclassique décline, mis désormais en concurrence directe avec le romantisme. David, du fait de son passé de révolutionnaire régicide (il avait voté la mort de Louis XVI) et d’artiste impérial, s’enfuit à Bruxelles où il restera jusqu’à sa mort en 1825 . Ses élèves, Gérard, Girodet et Gros sont évincés de la scène nationale par les élèves de l’atelier de Pierre-Narcisse Guérin ( Eugène Delacroix suivra son enseignement). `
Théodore Géricault (1791-1825) lui aussi élève de Guérin, entre dans l’atelier du maître dès 1810. Il est l’incarnation de l’artiste romantique, sa vie courte et tourmentée a donné naissance à de nombreux mythes. Attiré par les formes crues et rejetant les conventions esthétiques, il peint des personnages au destin tragique et mouvementé.
Son Cuirassier blessé quittant le feu, de 1814 est un portrait équestre inquiétant en grandeur nature. Il peint quatre ans plus tard le Radeau de la Méduse qui relate le naufrage d’une frégate de la marine française près des côtes du Sénégal. Géricault choisit un moment bien précis : les naufragés aperçoivent le navire salvateur, l’Argus, après treize jours d’une dérive qui se révélera monstrueuse, catastrophique et cauchemardesque. L’effet est dramatique, la touche est vive. Au coeur d’une structure pyramidale et théâtrale, les hommes encore valides se redressent pour appeler à l’aide.
Cependant, si le néoclassicisme y est encore présent avec le personnage barbu au premier plan qui retient un homme déja mort, le romantisme comme le vent puissant qui gonfle la voile est déja là et bien là et triomphe. Géricault expose ses toiles au Salon de 1824 aux côtés d’Eugène Delacroix, son camarade d’atelier qui la même année expose Les Massacres de Scio. En 1825 Delacroix s’en va à Londres s’imprégner de ciels et de lumière anglaises et s’exalter devant les toiles de Turner.
1824. L’anné de la mort de Louis XVIII. Son frère, Charles X le remplace et s’entoure du ministère ultra royaliste de de Polignac. Ne donnant aux Parisiens que des réponses insatisfaisantes, ceux-ci se soulèvent une nouvelle fois les 27, 28 et 29 juillet 1830. L’émeute se transforme alors rapidement en insurrection révolutionnaire : quarante et un ans après la prise de la Bastille, ce sont les Trois Glorieuses.
Eugène Delacroix s’inspire immédiatement de l’événement et esquisse les premiers tracés de la Liberté guidant le peuple. La scène montre des émeutiers franchissant des barricades, menés par une figure féminine de la Liberté au sein nu, coiffée de son bonnet phrygien qui brandit avec force un drapeau.
Que de symboles, plus besoin de les présenter. Delacroix est bel et bien l’artiste moderne par excellence. Peintre d’histoire dont les toiles ont cristallisé la polémique entre classicisme et romantisme, il s’est fait psychologue de la fougue humaine. Il réalise Dante et Virgile aux enfers en 1822 et se fait remarquer par un jeune journaliste prometteur Adolphe Thiers, mais c’est là une autre histoire…
Cinq ans plus tard, voic la sanglante et lyrique Mort de Sardanapale. Delacroix fréquentera les cercles littéraires de l’époque liés à Victor Hugo, lequel d’ailleurs l’on soupçonne d’avoir ‘’volé’’ l’image du Gavroche (à droite de la représentation allégorique de la Liberté) pour son personnage attendrissant de ce titi parisien devenu héros de littérature au coeur de cette fresque monumentale de la littérature française, Les Misérables.
Cependant, la Révolution de Juillet est passée et les députés insurgés sont soutenus pas la maison d’Orléans, branche cadette de celle de Bourbon. Le 9 août 1830, le duc d’Orléans est alors proclamé « roi des Français » et non plus « roi de France ». Il devient Louis-Philippe 1er et met en place la Monarchie de Juillet. Se voulant être un roi citoyen à l’écoute de son pays, il n’a pourtant pas compris que le peuple français désirait élargir le corps électoral (suffrage universel). Il reste dix huit ans au pouvoir mais sa politique libérale sur fond de royaume en profondes mutations sociales, économiques et politiques n’a pas tenu. Son règne s’achève par de nouvelles barricades en 1848. Craignant de subir le même sort que Louis XVI, il abdique et prend lui aussi la mer pour rejoindre l’Angleterre, sous le nom de Mr Smith.
Peut-on véritablement parler de Louis-Philippe, de romantisme sans s’attarder quelques derniers instants sur Victor Hugo ? En transparence, ces écrits reflètent l’ambiance politique qui l’entoure. Après avoir publié Hernani en 1830 et Notre-Dame de Paris en 1831, il se heurte à Louis-Philippe, selon lui roi à la « grande quantité de petites qualités ». Ce dernier fera le délice des caricaturistes de l’époque (notamment Honoré Daumier) et les choux gras des journaux qui deviennent dès lors un outil politique conséquent.
Louis Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon III (neveu de Napoléon et fils de la reine Hortense), auteur d’un pamphlet qui lui vaudra la prison « (L’extinction du paupérisme »), cherche à conquérir le pouvoir, Victor Hugo écrivain prolifique et influent, Paire de France, est un temps séduit par ce neveu hors du commun.
Pendant les journées révolutionnaires de 1848 Lamartine prononce devant l’Hôtel de ville de Paris le 25 février 1848 un discours devenu célèbre et proclame la Deuxième République.
Quand Badinguet (nom d’emprunt que Louis Napoléon avait pris pour s’échapper de sa geôle) accèdera au pouvoir à la faveur d’un coup d’état en 1851, Victor Hugo sera alors contraint à quitter la France et partir en exil à Jersey d’où il ferraillera contre l’imposteur. Il s’engagera contre Napoléon III tout particulièrement dans Les Châtiments en 1853 et dépeindra la misère humaine dans Les Misérables en 1862.
Empire, monarchie, république, empire… et au milieu de ces révoltes, il est une révolution picturale dont sortira vainqueur le romantisme. Ainsi l’art de David a perdu force et vigueur, et Napoléon vaincu, remplacé par un Bourbon, lui-même remplacé par un Orléanais. Le romantisme porté par Géricault, Delacroix, Hugo, Lamartine, au plan politique se déploie sur trois régimes sur un demi-siècle. Mais les temps changent et arrivent ce qu’il convient d’appeler avec précaution le naturalisme et le réalisme avec Gustave Courbet puis Émile Zola. Dès lors, et sans discontinuer jusqu à maintenant, l’artiste se positionne comme pivot de la société pour nous aider à mieux comprendre le monde qui nous entoure.