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Addio, Aldo Filistad, Addio Angelo Lo Forese, le monde de l’art lyrique endeuillé

par Danielle Pister

Après Gabriel Bacquier et Mady Mesplé, voici que disparaissent le ténor sicilien, Aldo Filistad à l’âge de 84 ans le 20 mai et Angelo Lo Forese mort à 100 ans le 14 mai. Le printemps aura été dur pour l’art lyrique.

Addio, Aldo Filistad

Aldo Filistad avait une voix chaude, typiquement méditerranéenne, un aigu brillant dont il usait généreusement, pour le plus grand plaisir de son public. À 70 ans passés, après une carrière sur scène de plus de 40 ans, il se produisait dans des concerts qu’il organisait dans sa ville natale pour lancer de jeunes chanteurs.  Il avait participé, à l’âge de 73 ans, à de nombreux hommages organisés en Italie et en Sicile après la mort de Luciano Pavarotti. Il régalait encore son public de triomphants « Nessum dorma ». Il aimait à dire : « Ma voix a été dorée par le soleil, la mer et le ciel bleu de Taormina; le mérite en revient à ma terre natale, pas à moi ». Il était aimé de tous autant pour sa voix que pour ses qualités humaines et sa générosité comme enseignant.

Alors qu’il rêvait de devenir dessinateur, il se prit de passion pour le chant qu’il commença à étudier au Liceo Bellini de Catane. Grâce à une bourse, il poursuit sa formation avec Emilio Ghirardini à la Piccola Scala de Milan. Remarqué par son physique, bien qu’étant d’assez petite taille – comme le « grand » Tony Poncet, disait-il avec humour -, il fait de la figuration dans de nombreux films italiens, pour gagner sa vie.

Il acquiert ainsi une aisance scénique qui lui servira dans sa carrière de chanteur. Mais c’est sa voix naturelle, riche en harmoniques, aux accents passionnés, menée avec élégance et une diction impeccable, en français comme en italien, avec un aigu facile et brillant, qui le fait triompher au Concours Général de Bel Canto de Genève, en 1961. Il avait fait ses débuts, au théâtre Nuovo à Milan dans L’ Ami Fritz de Mascagni, un an plus tôt.

Sa carrière internationale commence lorsque Bernard Lefort, alors agent artistique, l’entend chanter, en 1962, à Catane. Il le recommande à Gilbert Bécaud pour le rôle principal d’Angelo dans L’Opéra D’Aran, qui devait être créé cette année-là à Paris, mis en scène par Margarita Wallman, au Théâtre des Champs-Elysées. Le compositeur vient l’entendre à Milan chez Ricordi et l’engage comme doublure du ténor italien Alvino Misciano, aux côtés de la Maureen de Rosanna Carteri.

Olécio partenaire de Wukali

Rapidement, Filistad en devient le principal interprète pendant deux mois, puis sur toutes les scènes de France où l’opéra sera repris avec succès, notamment avec Christiane Stutzmann. Mais il ne figure pas dans l’enregistrement en studio de l’œuvre, dirigé par Georges Prêtre, chez EMI, qui reprend Ia distribution de la création.

Malgré une critique dédaigneuse à l’égard de l’œuvre, le succès du jeune ténor est tel qu’il décide de s’installer en France – où il se mariera -, et où il interprète, en français, désormais tous les grands classiques du répertoire lyrique : La Bohème, Tosca, Rigoletto, Butterfly, L’Élixir d’Amour, Cavalleria Rusticana, Lucia di Lammermoor, Traviata, Gioconda, Manon Lescaut, Andrea Chenier, Les Pêcheurs de perles, Roméo et Juliette, Faust, Nabucco, Carmen, Turandot, Norma, Il Tabarro, Aida, Le Trouvère dans lequel, à la demande du public, il n’hésite pas à bisser le redoutable « Di quella pira ».

Une carrière internationale s’ouvre devant lui qui le mènera dans les plus grandes salles d’opéra (Madrid, Lisbonne, Bogota, Séoul, Taïwan, Vienne, Salzbourg, Hambourg, Berlin, Francfort, Monaco, Zurich, Berne, Liège et, en Italie, Gênes, Macerata, Vérone, Palerme, Catane, Taormina). Il a chanté sous la direction de chefs réputés comme Georges Prêtre, Francesco Molinari-Pradelli, Hans Graf, Alain Guingal, et aux côtés de célèbres collègues italiens comme Fiorenza Cossotto, Pietro Cappuccilli, Mariella Devia. Il n’a jamais oublié non plus le répertoire traditionnel napolitain et sicilien.

Le disque l’a boudé puisqu’il n’a gravé chez EMI que quatre opérettes : de Lehár, en français, Le Comte de Luxembourg et Le Pays du sourire avec Monique de Pondeau, Jacqueline Guy, sous la direction de Paul Bonneau ; de Francis Lopez, Andalousie et Méditerranée avec Michèle Raynaud, Liliane Berton, sous la direction de Jésus Etcheverry, ces deux derniers enregistrements étant les seuls reportés en CD. Regrettons une discographie aussi réduite pour un artiste de cette qualité, même si Internet nous permet de l’entendre dans des conditions sonores hélas souvent médiocres.

Il est le type même du ténor populaire qui, par son talent et sa générosité, a fait aimer l’opéra à un large public et su encourager de nombreuses vocations lyriques chez de jeunes artistes, ce qui n’est pas son moindre mérite.

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Angelo Lo Forese

Le ténor avec une valise toujours prête sous le lit

Au nombre des chanteurs d’opéra disparus en mai 2020, il faut ajouter Angelo Lo Forese (souvent orthographié Loforese), décédé à Milan le 14 de ce mois, alors qu’on avait célébré le centenaire de sa naissance dans cette ville, le 27 mars précédent.

Moins connu à l’étranger que certains de ses compatriotes, ce chanteur était très aimé du public italien dont il faisait l’admiration par la conservation étonnante de ses capacités vocales jusqu’à un âge très avancé. C’est ainsi, qu’en 2012, à 92 ans, pour célébrer le soixantième anniversaire de ses débuts dans Le Trouvère, il n’hésita pas à entonner, en public, la célèbre cabalette de Manrico,« Di quella pira », d’une voix ferme, y compris pour les deux contre-ut de poitrine qui couronnent ce passage. 

À l’âge de 18 ans, il entame des études musicales, interrompues en 1943 quand il quitte l’Italie pour se réfugier en Suisse. De retour chez lui, après la guerre, il poursuit sa formation auprès du ténor Primo Montanari et fait ses débuts sur scène, en 1948, comme baryton, dans le rôle de Silvio (I Pagliacci de Leoncavallo).

Dans les années 1950, conseillé par le baryton Emilio Ghirardini (qui forma également Luigi Alva, Gianni Poggi, Giuseppe Campora, Renata Scotto), il passe au registre de ténor, cheminement qui fut également celui de Mario del Monaco et de Carlo Bergonzi.

Lo Forese fait ainsi de nouveaux débuts à Casablanca, en 1952, dans le rôle de Manrico du Trouvère. Il se perfectionne également auprès du célèbre ténor Aureliano Pertile, un des chanteurs favoris de Toscanini.

Angelo Lo Forese au cours de sa longue carrière s’est produit dans plus de quatre-vingts salles d’opéras en Europe, en Amérique, en Afrique, ainsi qu’au Japon. D’où le titre donné au livre que Domenico Gullo lui a consacré : Angelo Loforese. Il tenore con la valigia pronta sotto il letto. Storia di una lunga vita artistica, paru aux éditions Dante Alighieri, à Rome, en 2013. 

Cette expression du ténor vivant avec « une valise toujours prête sous le lit » est celle utilisée par l’intéressé lui-même car, au cours d’une quarantaine d’années de carrière, il fut très souvent appelé à la dernière minute pour remplacer, au pied levé, un de ses illustres confrères – qui l’avaient en haute estime -, Mario Del Monaco, Franco Corelli, Giuseppe Di Stefano entre autres artistes.

Ses compétences, outre l’étendue de son registre et son aigu exceptionnel s’appuyant sur une technique vocale impeccable, sa parfaite diction, comme sa solide mémoire lui permettaient de mémoriser un répertoire très vaste et le rendait apte à remplacer ses collègues sans que le public eût à le regretter. Cela donne la mesure du talent de cet artiste. Il a eu l’opportunité de chanter aux côtés de grands interprètes de son époque, tout en gardant une élégante discrétionet une grande humilité jusqu’à la fin de sa vie.

Il a chanté à la Scala de Milan, en avril 1959, (Le Triptyque de Puccini ) avec Clara Petrella et Ettore Bastianini, sous la direction de Gianandrea Gavazzeni. En juin de la même année, il remplace Giuseppe di Stefano, qui lui-même avait succédé à Franco Corelli et Mario Del Monaco, dans Carmen, dirigée par Lovrovon Matacic, avec Ettore Bastianini et Giuletta Simionato qu’il retrouve, en 1964, dans Cavaleria Rusticana, sur cette même scène.

Sa dernière apparition à la Scala remonte à 1972, lorsqu’il remplace Alvinio Misciano dans une représentation du Nez de Chostakovitch, dirigée par Bruno Bartoletti.


Outre les artistes déjà cités, il a collaboré avec de grands chefs d’orchestre : Herbert von Karajan, Antonio Votto, et chanté avec de grandes interprètes : Renata Tebaldi, Renata Scotto, Fedora Barbieri, Leyla Gencer, Magda Olivero, Anita Cerquetti, Christiane Eda-Pierre. 

Après son retrait de la scène, il s’est consacré à l’enseignement. Puis, en 2016, il entre dans la Maison de Repos pour les Musiciens, fondée à Milan par Verdi. C’est là qu’il s’est éteint à l’âge de 100 ans.

Éléments discographiques

Malheureusement sa discographie reste assez maigre et n’a pas la qualité des prises de son en studio puisque, sauf une exception, il s’agit de prises de son en direct de spectacles donnés sur scène. La collection « Il Mito dell’a opera » (Bongiovani) a publié, en 2009, un CD d’airs et de duos pris sur le vif entre 1956 et 1969 (Trouvère, Don Carlo, Les Huguenots, Guglielmo Tell, Fedora, La Bohème, Il Tabarro, Cavalleria Rusticana, Andrea Chénier, Turandot).

Riccardo ZandonaiIl bacio, (en direct, Milan, 1954), avec Lina PagliughiRosetta Noli, Rosetta Papagni, dir. Francesco Molinari Pradelli – éd. EJS/Lyric Distribution.
Giulietta e Romeo, (en direct, la RAI de Milan, 1955), avec Anna Maria. Rovere, Renato Capecchi, dir. Angelo Questa – éd. EJS.
Giuseppe VerdiDon Carlo (en direct, Florence, 1956), avec Cesare SiepiEttore BastianiniAnita CerquettiFedora Barbieri, dir. Antonino Votto – éd. Myto.
Pietro MascagniCavalleria rusticana (en direct, Tokio, 1961), avec Giulietta Simionato, Attilio D’Orazi, dir. Giuseppe Morelli – DVD, éd. VAI.
Riccardo Zandonai, Giulietta e Romeo (Studio, 1961), avec Antonietta Mazza Medici, Mario Zanasi, dir. Loris Gavarini – éd. Cetra.
Ruggero LeoncavalloPagliacci (en direct, Faenza, 1968), avec Edy Amedeo, Gianni Maffeo, Giuseppe Lamacchia, dir. Franco Ferraris – éd. Fabbri.
Luigi CherubiniMedea (en direct, Mantoue, 1971), avec Magda Olivero, Loris Gambelli, Elena Baggiore, dir. Nicola Rescigno – éd. Myto.
Giacomo MeyerbeerGli Ugonotti (en direct, Barcelone, 1971), avec Christiane Eda-Pierre, Enriqueta Tarres, Angeles Chamorro, dir. Ino Savini – éd. Opera Lovers.

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