Une starlette, une beauté fatale d’Hollywood qui défraya la chronique, Hedy Lamarr, à l’origine du WIFI et du GPS et oui! Deux séquences de la personnalité d’une même star du cinéma américain qui fit les délices des critiques et des journalistes en mal de potins sulfureux. Commençons par deux informations qui apparemment n’ont strictement rien, mais vraiment rien à voir l’une avec l’autre, et pourtant…
Premièrement, Vladimir Jabotinsky. Né à Odessa en 1880, il fut promoteur d’un état d’Israël qui couvrirait les deux rives du Jourdain, intégrant la Transjordanie. Il fut fondateur du parti révisionniste, fondateur de l’Irgoun, soldat dans la «Légion Juive» de l’armée britannique pendant la Première Guerre mondiale, mais il fut aussi poète, journaliste, écrivain, scénariste, et traducteur. Il est l’inspirateur de la droite israélienne, de Menahem Begin à Benyamin Netanyahou. Ce qui nous importe ici est qu’en 1925, il publia un roman, «Samson le Nazir», dont Cecil B.DeMille tirera un film à succès, Samson et Dalila, en 1949. Acteurs principaux, dans les rôles de Samson et de Dalila : Victor Mature et Hedy Lamarr
– Deuxièmement, le FHSS. Une méthode de transmission de signaux par onde radio selon une séquence pseudo-aléatoire que seuls connaissent l’émetteur et le récepteur, une technique connue sous le nom de l’étalement du spectre par saut de fréquence, ou bien frequency-hopping spread spectrum soit FHSS. Une technologie utilisée dans le lancement de torpille radio-guidées, mais dont on se sert également, de nos jours, dans les GPS et le Wifi. En effet, les signaux transmis par cette méthode permettent d’utiliser plus efficacement la bande passante.
Une belle et innocente jeune fille
Chercher la femme dit-on dans les enquêtes policières… Hedwig Eva Maria Kiesler naît à Vienne le 9 novembre 1914. Hedwig sera promise à une carrière aventureuse et légèrement scandaleuse. Les photos d’Hedwig Eva Maria posant en fille jeune montrent une déesse sublime, éclatante, innocente, rayonnante, portant au cou et aux poignets de magnifiques bijoux de prix. Des photos prises dans les studios d’Hollywood bien sûr.
Elle est la fille d’Emil Kiesler, né à Lviv, dans l’actuelle Ukraine, et de Gertrud Lichwitz. Emil est directeur de banque. Gertrud, pianiste, est issue d’une grande famille de Budapest. Tous deux sont juifs, convertis au catholicisme. Dans son enfance Hedwig connaît l’opulence, les précepteurs privés et la scolarisation en Suisse dans des pensionnats chics. Mais bientôt les affaires ne marchent plus aussi bien, et la situation financière d’Emil se dégrade.
Hedwig Eva Maria a maintenant 16 ans, et elle est très belle. On la recommande aux studios Sascha, sis à Vienne, et c’est grâce au metteur en scène Georg Jacoby, qui tourna avec Emil Jannings, et qui co-signa Quo Vadis, qu’elle est engagée.
Hedwig Eva Maria tourne alors avec Rosa Albach-Retty, grand-mère de Romy Schneider.
Le metteur en scène, Max Reinhardt, déclare qu’elle est «la plus belle fille d’Europe», et Otto Preminger tout comme Sam Spiegel veulent absolument l’engager pour tourner avec eux. Bref, c’est le début du succès.
Elle part à Berlin où elle vole encore de succès en succès : elle tourne avec Carl Boese, et avec Alexis Granowsky, metteurs en scène en vue à l’époque; le New-York Times la remarque.
1933 : Hedwig Kiesler tourne dans Extase avec un metteur en scène tchèque, Gustav Machaty. Une sorte de porno soft où elle joue le rôle d’une femme qui, délaissée par son mari, prend un amant. Hedwig Kiezsler y apparaît complètement nue, et il y a dans le film une scène d’orgasme qui fit scandale; même le pape Pie XII s’en mêla -quel honneur- pour condamner le film. Hedwig Kiesler en gardera une réputation d’actrice sulfureuse -qu’au fond elle n’était peut-être pas vraiment- mais qui la poursuivra tout au long de sa carrière. Elle restera pour toujours une «Exctasy Girl».
On la retrouve plus tard en Suisse, où elle fréquente assidûment la jet set, rencontre Billy Wilder et Erich Maria Remarque, qui devient son amant; puis à Londres, où elle rencontre Louis B. Mayer, qui, resté sur l’image d’une actrice sulfureuse, lui propose un contrat assez minable, qu’elle refuse. Mais Louis B. Mayer change finalement d’avis et l’engage à des conditions plus acceptables. Les portes d’Hollywood s’ouvrent alors, Hedwig est sur le point de devenir une star du box office.
A star is born
Hedwig Kiesler change de nom et devient Hedy Lamarr. Elle est une vedette de la MGM, avec laquelle elle tournera une quinzaine de films, dont un film avec Jean Gabin. Elle devient une star d’Hollywood, tourne avec Jack Conway, Joseph von Sternberg, King Vidor, Victor Fleming; ses partenaires se nomment Robert Taylor, Spencer Tracy et Clark Gable. Ses cachets augmentent en conséquence. Elle tourne avec Judy Garland et Lana Turner dans La danseuse des Folies Ziegfeld, de Robert Z. Leonard, un grand succès de 1941, et dans Tortilla Flat de Victor Fleming.
Après avoir réussi sa carrière d’actrice (certains mettent cependant en doute ses véritables qualités, ne voyant finalement qu’un faire valoir d’actrices ou d’acteurs plus talentueux), elle se lance dans la production de films de séries B, un métier d’hommes. Elle produit Les démons de la chair, où elle joue une criminelle schizophrène; le film rencontre un certain succès. Elle produit ensuite La femme déshonorée, qui est un échec commercial et qui marque la fin de sa carrière de productrice. Cette aventure dans la production de films n’est pas une réussite.
Consciente de cet échec, elle revient sagement à son métier d’actrice qui lui avait plutôt réussi jusque là, et tourne alors son fameux péplum, Samson et Dalila, qui lui vaudra cette fois (pas de chance!) une image de femme fatale, qui suivra celle d’actrice sulfureuse. Pourtant, Samson et Dalila sera, avec Extase, son film le plus célèbre.
Puis elle change encore de genre, passe à la comédie et au western avec la Paramount. Finalement elle achèvera sa carrière avec Marc Allégret dans L’amante di Paride, où elle joue Hélène de Troie, puis avec L’histoire de l’humanité où elle incarne Jeanne d’Arc.
Retirée d’une vie active brûlée par les deux bouts, et après avoir usé pas moins de six maris successifs, amère d’une carrière au fond insatisfaisante, et brisée par le «star system» hollywoodien, elle continua cependant de fréquenter la jet-set. Sa fortune dilapidée, elle se retira, recluse, et passa son temps à papoter au téléphone, mais ne sortit plus de chez elle et ne vit pratiquement plus personne.
Pour parfaire cette vie agitée, elle poursuivit en justice l’écrivain fantôme («ghost writer») de ses mémoires (des mémoires qu’elle avait publiées pour se refaire un peu de «cash»), prétendant que l’écrivain en question avait dérapé et avait inventé une bonne partie du livre. Mais le juge donna tort à Hedy Lamarr, en raison de sa «mauvaise réputation avérée en matière de morale et d’intégrité». La casserole d’Extase l’a poursuivie sans relâche. Elle meurt en 2000, à 86 ans, en Floride. Ses cendres ont été dispersées à Vienne.
Mais si Hedy Lamarr fut une star, avec gloire et revers de fortune, sa vie fut bien plus riche et ne se résume pas aux spotlights des plateaux de tournage, quels liens donc avec ce qui précède …?
Frequency-hopping spread spectrum
Après tout, cette vie ne pourrait être qu’une vie de plus d’actrice Hollywoodienne à succès. Il y en a tant, et celle-ci n’a guère plus d’intérêt que les autres… Mais il y a cependant une autre face. Hedy Lamarr n’est pas comme les autres, elle est différente, très différente.
Dans sa jeunesse, en 1933, alors qu’elle avait à peine 21 ans, ses parents, inquiets de la tournure que prenait la vie de leur fille, la marièrent avec un de leurs amis, Friedrich Mandl. Un mariage de circonstance qui durera 4 ans.
Friedrich Mandl était lui aussi un drôle de personnage. Converti au catholicisme, entrepreneur et marchand d’armes, admirateur du fascisme italien, il fournissait des armes à Mussolini. En Autriche, il donnait des fêtes auxquelles participa Adolf Hitler, mais, en 1938, ses biens seront saisis en raison de ses origines. On le retrouvera alors en Argentine où il conseille Juan Peron. Après la guerre, il retourne en Autriche où il épousera la fille d’Eduard Brücklmeier, qui avait été impliqué dans le complot contre Hitler.
Cet étrange personnage à cherché à briser la carrière cinématographique de sa jeune épouse et, rongé par la jalousie, a voulu racheter toutes les copies d’Extase, afin qu’on ne la voie pas nue sur l’écran. C’est en tous cas ce que raconte Hedy Lamarr dans ses mémoires, «l’une des 10 biographies les plus érotiques de tous les temps», selon le magazine Playboy (*). «Il me traitait comme une poupée. Je devais passer mon temps à organiser et à aller dans des fêtes, portant de beaux vêtements, et prenant mon plaisir dans des voyages d’agrément en Suisse, en Afrique du nord, sur la Riviera». Mais qui donc participait aux dîners qu’elle organisait ? Les fabricants d’armes de toute l’Europe, bien sûr, mais également des dignitaires nazis, tel Goëring, et bien d’autres.
Hedy, esprit curieux, s’est alors intéressée à la technologie des armes que vendait son mari, et en particulier à la technique des systèmes de contrôle de torpilles.
Et voilà qu’arrivée aux Etats-Unis, Hedy Lamarr rencontre aussi Georges Antheil, ami de Picasso, d’Hemingway, de Dali, de Stravinsky et de bien d’autres. Greorges Antheil était un compositeur à succès qui composa -entre autres- des musiques de films, comme : Pour que vivent les hommes, Le bagarreur du Kentucky, ou Orgueil et passion, pour n’en citer que quelques uns. Antheil était également familier de la technique de séquence de sauts de fréquences, qu’il utilisait pour composer sa musique.
C’est aussi à Hollywood qu’elle fait la connaissance de Howard Hughes. Découvrant sa passion pour la recherche scientifique, il l’aidera à financer ses passions en lui offrant une remorque équipée de matériel et d’appareillages techniques de pointe et dans laquelle elle allait travailler entre deux séances de tournage sur les plateaux de cinéma. Inénarrable Hollywood !
Ensemble, Lamarr et Antheil, devenus amis proches, développent alors un principe de transmission d’étalement de spectre par saut de fréquence, qui pouvait être utilisé dans le guidage des torpilles, et qu’ils proposèrent gratuitement aux Alliés en 1940. Ce système rendait impossible la détection d’une attaque sous-marine par torpille. Le brevet «secret Communication system n°2 292 387», du 10 juin 1941, ne sera finalement pas utilisé par la marine américaine durant la Seconde Guerre mondiale, mais fut en revanche utilisé lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, et lors de la guerre du Vietnam. De nos jours, les téléphones portables, les GPS, les navettes spatiales, le Wifi, utilisent cette technique.
Épilogue
On peut alors légitimement se poser la question suivante : comment Lamarr et Antheil, qui n’avaient ni l’un ni l’autre de formation scientifique poussée, ont-ils pu mettre au point une telle invention ? Car ils l’ont fait, cela est certain, le brevet qu’ils ont déposé en est la preuve absolue.
Notons ce qui suit : les premiers travaux sur le guidage des torpilles datent de 1930 lorsqu’un ingénieur polonais, Leonard Danilewicz, celui là même qui conçut Enigma, la fameuse machine à coder des nazis, se pencha sur le sujet des torpilles. On peut donc se poser la question : Hedwig Kiesler n’aurait-elle pas, à l’époque, dérobé des secrets aux nazis invités à la table de son premier mari ? Juste une hypothèse bien sûr…
Cependant, et quoi qu’il en soit, voilà pourquoi votre téléphone portable utilise, sans que vous le sachiez sans doute, une technique développée par une star plus ou moins érotique du cinéma, parfois considérée comme une lointaine ancêtre du porno; une actrice hollywoodienne qui nous aura laissé Extase et Samson et Dalila..
(*) «Ecstasy and me, my life as a woman», Hedy Lamarr, Ishi Press 2014
En traduction française : «Ecstasy and me : la folle autobiographie d’Hedy Lamarr», Hedy Lamarr, Seguier, 2018