La « perspective Borromini », au palais Spada, fut inventée par Francesco Borromini (1599-1667), célèbre architecte italien du baroque romain, et ennemi juré de son rival Le Bernin(1598-1680). C’est la lutte à couteaux tirés de ces deux hommes qui donna naissance à ce tout nouveau style qui devait, un temps, dominer le monde artistique.
Rappelons que le baroque romain est, chronologiquement, le tout premier art baroque.
Arrivé à Rome en 1519, Borromini y demeura et y travailla toute son existence. Ses plus belles réalisations furent l‘étonnante et superbe église Saint-Charles aux quatre fontaines, et la non moins surprenante église Saint-Yves de la Patience.
Le palais Spada fut modifié par Borromini sur demande du cardinal Spada.
C’est en 1652/1653 que Borromini réalisa cette œuvre incroyable. C’est une perspective forcée : un procédé visuel, fondé sur la perspective linéaire, visant à donner, artificiellement, une impression de profondeur. Ce qui se rapproche beaucoup du trompe-l’œil. Ici, cette perspective falsifiée donne l’illusion que la colonnade mesure 35 mètres de profondeur, alors qu’elle n’en compte que 8,82 !
A notre connaissance, c’est la seule œuvre, historiquement connue, de ce genre.
Malheureusement, les décorations des côtés et du fond ont été détruites par des restaurations stupides. Les effets lumineux induits n’existent plus. C’est irrémédiable.
L’idée de l’artiste, véritable coup de génie, était de jouer sur les jonctions depuis un seul point de fuite : la statuette de marbre à l’autre bout de la colonnade.
L’allongement de la vision est accentuée par le sol en pente douce, les réductions progressives des colonnes, en hauteur comme en diamètre, celles de l’entrecolonnement(1*) et celles de la largeur du couloir. Le plafond s’abaissant et la petite statuette, en lieu et place d’une sculpture de taille importante, en intensifient l’effet.
On notera que le spectateur se reculant, les motifs décoratifs du sol diminuent de taille, avec pour conséquence que leurs formes trapézoïdales deviennent plus lisibles et plus visibles.
Naturellement si quelqu’un pénètre dans la colonnade, immédiatement la vérité se révèle. Le plan dévoile les secrets de la construction. Laquelle a été conçue pour être vue de l’extérieur du bâtiment, au-travers d’une ouverture dans la bibliothèque du palais.
On ne se rend bien compte de ce que cela signifie. Complications et de difficultés supplémentaires d’inventivité ne se découvrent qu’en étant en face et devant ce chef d’œuvre du trompe-l’œil architectural, pour ne pas dire trompe-l’esprit.
Depuis toujours, la perspective Borromini a été comprise comme une curiosité baroque exceptionnelle. Cette considération est plus qu’insuffisante. En réalité il s’agit, à échelle réduite, d’un essai de renouvellement des idées de la création architecturale. C’est également une apologie de la créativité de l’art baroque et des capacités inventives de Borromini.
Malheureusement il n’y eut aucune transposition à échelle réelle. Sans doute était-ce trop complexe pour ces temps-là. Mais on est sidéré que les siècles suivants l’aient ignorée, notre temps inclus. Peut-être que les créations hors-pair d’un génie artistique ne sont pas transposables dans le monde concret…
(1*) l’entrecolonnement est l’intervalle entre deux colonnes consécutives