Voici mis en scène au théâtre du Petit St Martin à Paris par Anne Kessler, le roman émouvant du psychiatre américain Daniel Keyes: Des fleurs pour Algernon Ce livre, écrit sous forme de journal, raconte l’histoire de Charlie. Considéré comme déficient mental, celui-ci est pourtant mu par une soif d’apprendre et de comprendre le monde qui l’entoure. C’est pour cette raison qu’il sera séléctionné pour être le sujet d’une expérience visant à décupler ses facultés intellectuelles. Charlie s’y prêtera facilement car il n’a que trop conscience de ses limites et s’imagine que l’intelligence, telle qu’il la conçoit, sera pour lui la clé du bonheur.
Dans un premier temps, cette expérience sera un succès et lui permettra de nouer des relations sociales et sentimentales. Il lui sera en même temps très douloureux de prendre conscience de tout le mépris ainsi que des abandons et des rejets dont il a fait l’objet, le menant peu à peu à une sorte de psychose, de paranoïa, qui s’amplifiera en même temps que ses capacités intellectuelles. A ce stade, l’expérience a “trop” bien fonctionné et Charlie s’ennuie alors de tout et de tout le monde, entrant dans une dynamique de lassitude et de solitude, ne tirant plus aucune satisfaction intellectuelle de ses apprentissages et de ses rencontres. L’expérience échouera finalement, lui laissant l’épouvantable sensation de perdre peu à peu ses facultés, jusqu’à en oublier, fort heureusement, son histoire.
L’intelligence, une bénédiction?
Cet excellent roman du psychiatre américain D. Keyes nous interroge sur cette notion, très abstraite, qu’est l’intelligence. Concept insaissisable et inquantifiable, finalement, car comment mesurer une qualité qui peut prendre autant de formes différentes, dont le quotient intellectuel n’est qu’un indice. Et est-ce réellement une qualité? Elle n’a en tout cas pas rendu Charlie heureux, lui qui admirait tant les gens “normaux”, qui aspirait à leur ressembler.Pour son plus grand malheur.Il est vrai que bien souvent la souffrance est soeur de la lucidité.
Cela étant, l’intelligence est portée aux nues dans notre société individualiste[1]bien que, paradoxalement, nous ayons tendance à épier et contrôler tout ce qui pourrait être source de discriminations et à pointer celles-ci dès que nous en avons conscience.
Mais a-t-on déjà songé à mettre en évidence les discriminations relatives au déficit d’intellect? En effet, un faible quotient intellectuel entraînera beaucoup d’inégalités, à plusieurs niveaux, et qui commenceront dès l’école, le système scolaire n’étant pas fait pour ceux qui ”sortent du cadre”, à haut ou faible potentiel.
En plus de la frustration intellectuelle et sociale dont souffrent les personnes atteintes de déficiences mentales, elles seront également discriminées sur le plan professionnel et il leur sera extrêmement difficile de trouver un métier qui soit épanouissant pour elles. Ces handicaps professionnels s’accompagneront de difficultés financières car moins on est diplômés, pire sera, en général, notre qualité de vie.
Dans un système qui se veut méritocratique, ne serait-il pas temps de mettre fin à ce culte du diplôme et de permettre à chacun de trouver sa voie, en fonction de son potentiel, et de permettre à tous de gagner sa vie grâce à son mérite effectif?
[1]Ce terme n’est pas employé ici de façon péjorative mais vise à souligner le fait que, dans les sociétés occidentales, ce sont les qualités individuelles qui priment et fondent la réussite d’un individu.
Des fleurs pour Algernon
Daniel Keyes.
Mise en scène Anne Kessler
Théâtre du Petit Saint Martin. Paris