« J’ai des doutes », un spectacle « Music-Hall », en hommage à Raymond Devos. Et Devos était présent. On l’a même entendu rire ! Avec Morel, il faut s’attendre à tout ! Et il n’était pas tout seul à faire revivre l’un des plus grands humoristes de tous les temps, disparu en 2006.
Complicité heureuse, on jubile de découvrir François Morel sur scène avec Antoine Sahler. Ces deux amis semblent indissociables et pourtant, ils mènent chacun aussi une carrière solo, chacun n’ayant aucunement besoin de l’autre pour exister.
Morel est partout, sur tous les fronts, chanteur, écrivain, humoriste, comédien, acteur, un géant de la scène assurément. Même sa voix, reconnaissable entre toutes, se fait entendre dans des documentaires. Pas plus tard que le samedi 17 octobre 2020 l’artiste nous a entraînés dans un voyage fascinant à la découverte des primates, Une vraie prouesse de comédie, car son ton, très personnel, ajoutent à la beauté des images.
Antoine Sahler mène une carrière plus discrète, mais on sait de plus en plus qui il est. Et il n’est pas « que le musicien de François Morel » ! Il marque les esprits. Sans avoir l’air d’y toucher, il touche à tout, avec bonheur. Voir François Morel et Antoine Sahler réunis autour du géant Raimond Devos est un réel bonheur. Morel, Devos, et Sahler en alternance avec Romain Lemire, du reste lui aussi excellent.
Ce mardi soir, pour la première, c’est Antoine Sahler qui jouait et nous embarquait, dans une pièce où des maux se cachent derrière les mots. Et vice versa ! Voilà un spectacle qui fait chaud au cœur, et soudain, on sent battre celui du grand Clown Belge. François Morel entre en piste et refait le monde avec les ingrédients qu’il manie avec brio : les mots. Et la langue de devenir un jouet avant d’être un outil. Il apporte aux sketches ce que Raymond Devos aimait tant : une verve facétieuse et enjouée. François Morel et Antoine Sahler jouent ensemble une superbe partition. Ils se dissimulent derrière une fiction, sont tapis derrière un imaginaire extravagant, provoquent des situations cocasses.
Nous nous trouvons devant deux savants alchimistes du rire, qui font pétarader les mots, ceux de Devos, et aussi les leurs. Jubilatoire !
Antoine Sahler fait chanter Morel ! Enchanteur !
Antoine Sahler a son univers propre et les thèmes abordés dans ses chansons nous enchantent, nous bousculent aussi. Il est à la fois subtil, facétieux, nostalgique et toujours plein d’humour. Il parait si jeune. La cinquantaine ? Pincez-nous, on a du mal à le croire. Les traits sont restés juvéniles, visage tout en rondeur, les sourcils semblent perpétuellement marquer l’étonnement sous des yeux d’un bleu si clair.
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Rencontre avec Antoine Stahler
- On dirait que le spectacle marche fort!
Oui, nous en sommes très heureux. Avec François Morel, nous sommes complices. Nous avons mené beaucoup de projets ensemble depuis maintenant quinze ans.
- Parlons de vous. On se surprend à rire en écoutant vos chansons mais les thèmes sont parfois très durs ! Pour exemple « Sénescence » sur le thème de la vieillesse…
Exactement. Mais je crois que justement on partage ça avec François Morel, en ayant chacun notre registre. Ce qui nous fait rire le plus souvent ce sont des choses qui ont à voir avec l’existence, des questions fondamentales que l’on se pose. On peut passer du rire très idiot avec des blagues très stupides, mais il y a souvent quelque chose d’existentiel dans ce que l’on propose.
- Vous paraissez parfois abattu, désenchanté. Vous ne déprimez pas j’espère ?
(rires) Non, je vous rassure, tout va bien ! Et dans le spectacle de Devos, j’ai justement joué cette partition-là. J’étais en quelque sorte dans l’opposition. Plus François Morel disait des choses de façon péremptoire, des choses qui n’ont aucun intérêt avec un air très supérieur, plus j’étais celui qui attend que ça se passe, tout en étant consterné !
- Lorsque j’écoute vos chansons, notamment « D’ailleurs », sublime, je pense au travail que fait un Alain Souchon, entre nostalgie et rêverie…
Oui, j’aime beaucoup Alain Souchon. Ce que j’aime dans la chanson, c’est que, tout en essayant d’être clair dans ce que l’on raconte et ce que l’on écrit, on peut laisser de la place à la personne qui va nous écouter afin qu’elle fasse un bout de chemin vers nous. Alain Souchon a toujours eu ce « truc-là ». Avec quelques mots, on est tout de suite et complètement dans ce qu’il nous raconte. De temps en temps, il y a des creux, et c’est par là qu’on arrive.
- Est-ce que vous créez vos textes et la musique dans un seul et même élan ?
C’est le plus souvent ce que j’essaie de faire. Lorsque j’ai une idée de chanson, et que des idées me viennent, je ne m’oblige pas à me mettre à un bureau pour écrire. Je m’enregistre sur mon téléphone ou sur mon dictaphone et je le fais souvent sous une forme musicale, je chantonne en même temps. Je préfère marcher, me promener, et faire que la chanson se développe dans le mouvement, en extérieur, et non pas dans cette notion de « travail ». Certes c’est du travail, mais il ne faut pas que cela sente la sueur, l’acharnement. Souvent je m’enregistre en me disant, cette idée est bonne, il ne faut pas que je l’oublie. Il peut s’agir d’une simple phrase et d’un petit bout de mélodie, et au final, j’y reviens pour en faire une chanson, je n’ai même plus besoin de l’écouter, parce qu’en fait, je ne l’ai pas oubliée. Le fait de me rassurer en me disant que je l’ai consignée quelque part, ça me met en familiarité avec cette petite idée, que je garde davantage par superstition ! J’ai remarqué que le plus souvent, si je réécoute ma note, c’est que l’idée n’était pas aussi bonne que ça.
- Vous aimez aussi écrire pour les autres. Vous avez séduit deux Juliette ! La Gréco et Juliette Noureddine. La regrettée Maurane aussi. Beaucoup de femmes….
En fait oui, il n’y a même que des femmes… à part François !
- François Morel avec qui vous chantez notamment « Tous ces trucs inutiles ». Vous avez l’air de bien vous amuser. Vous paraissez semblables et si différents tout à la fois.
C’est vrai, et c’est ça qui est bien. Comme dans toutes les histoires d’amitié, il y a des endroits de pudeur. On sait que l’on s’entend bien, mais dans le fond, personnellement, je n’ai pas besoin de savoir pourquoi je m’entends si bien avec François, c’est juste que je le ressens. On voit bien qu’il y a des choses communes, des choses qui nous font rire en même temps, des auteurs qu’on admire. Et par ailleurs, on n’a pas une histoire familiale très commune. Mon rapport à moi à l’expression artistique et à l’écriture est différent. Il n’y a aucun jugement de valeur là-dedans, mais je suis très attaché, quasi obsessionnellement aux questions de forme, à savoir comment une chose est dite, et François a beaucoup plus ce goût naturel pour les questions de fond. Et on se complète pas mal là-dessus. On s’emmène chacun vers un territoire pas contradictoire, mais complémentaire.
- Vous êtes touche-à-tout, mais si vous deviez choisir, quelle serait la discipline qui vous attire le plus ?
Je ne saurai pas le dire précisément. Ce qui me plait par dessus tout, mais en reconnaissant que si je n’avais que ça, le reste me manquerait quand même, c’est le plaisir de la composition. On trouve une phrase qui sonne bien, un début de chanson, ça me met dans une espèce de joie et d’excitation qui m’emmènent très loin. J’adore ça ! Encore plus que d’être sur scène, même si j’aime beaucoup ça aussi. Faire naître une forme, créer du répertoire…
- Vous avez une formation classique ?
Oui, j’ai pris des cours chez une vieille dame vraiment adorable, qui habitait près de chez moi, à côté de Valentigney, dans le Doubs. Lorsque, adolescent, je commençais à avoir un niveau correct de piano, elle me faisait passer des examens au Conservatoire de Besançon.
- Vous avez fait HEC. Vous en gardez un bon souvenir ?
Tout à fait bon. Je ne savais pas ce que je voulais faire dans la vie. J’étais plutôt bon à l’école. J’adorais les maths et la philo, donc j’ai choisi cette voie-là. Mais j’étais déconnecté de la moindre ambition professionnelle derrière. Je me suis retrouvé dans cette filière, sans savoir ce que j’allais faire après. Contrairement à la caricature que l’on fait des écoles de commerce et de HEC en particulier, j’y ai rencontré beaucoup de gens brillants et aussi très marrants, qui sont restés des amis. Cela m’a donné aussi une connaissance d’un milieu que l’on ne connait pas souvent lorsque l’on est artiste. J’ai bifurqué très vite après, et ce que j’y ai appris ne me sert pas vraiment aujourd’hui, en tout cas, pas pour écrire des chansons !
- Vous avez lancé votre label « Furieux » … Quand on vous connait un peu, cette appellation étonne !
Le label « Furieux » vient d’une anecdote. J’étais en studio pour enregistrer l’album d’une amie Armelle Dumoulin. Je faisais les arrangements. On était donc en studio à Montreuil, chez le chanteur Bertrand Belin. Soudain, je casse la pédale en fonte du piano, un truc qui n’arrive jamais normalement. Je n’ai pas violenté l’instrument, ce piano était juste très vieux ! C’était la catastrophe car on avait prévu trois jours de studio. Pendant que j’étais dehors au téléphone pour essayer de trouver un réparateur en urgence, Bertrand dit à l’ingénieur du son qui ne me connaissait pas : « Il n’a pas l’air comme ça, Antoine, mais c’est un vrai Furieux ! On va tous passer une journée abominable. » J’ai appris tout ça après bien sûr. Mais quand je suis revenu dans le studio, l’ingénieur du son me parlait avec une déférence incroyable et je ne comprenais pas pourquoi il était si poli avec moi. C’était drôle ! Au bout d’un moment, il a compris la blague, et surtout que j’étais tout le contraire d’un furieux ! Toujours est-il que « Furieux » est devenu le nom du label.
- Un « furieux » sympa, qui aide les autres artistes !
Oui, mais malheureusement j’ai dit non à beaucoup. Ce n’est pas mon métier, et ça me prend déjà beaucoup de temps d’avoir cette activité de production en plus. Il y a des gens dont j’aime le travail mais je ne peux pas tout faire. Et les questions économiques sont compliquées. Je suis tout seul pour gérer !
- Mais vous avez fait HEC !
C’est vrai que là, ça m’aide ! Je n’ai pas peur de faire un budget sur une feuille Excel ni d’établir des demandes de subvention !
En tout cas, tous les projets sortis sous mon label sont faits principalement pour des gens que j’aime, des coups de cœurs. J’aide à ce que le disque existe, à ce qu’il soit bien promu, mais il faut savoir que pour la majorité des projets, les artistes au départ sont très autonomes.
- La situation sanitaire est compliquée en ce moment. Vous êtes inquiet ?
Oui, bien sûr, je suis inquiet pour plein de raisons, cependant j’essaie de relativiser.
La culture c’est très important mais je connais des gens qui ont été touchés de près par tout cela et il faut faire attention. En tout cas, je me détourne assez vite des gens qui savent pour tout le monde ce qu’il faudrait faire et qui auraient tout compris. Ça peut vite m’agacer ! Jusqu’à maintenant, personnellement, j’ai plutôt eu de la chance. Avec François, les dates sont maintenues. On se produit dans des grandes salles, mais qui ne sont pas des salles immenses. On reste dans les jauges autorisées.On espère que la situation va s’améliorer pour tous.
De tout cœur avec vous !
Propos recueillis pour WUKALI par Pétra Wauters