« Ma méthode d’Aquarelle, jusqu’au bout du pinceau » paru le 3 juin aux Éditions Ulisse nous a passionné à plus d’un titre.
A la lecture du livre de Pétra Wauters, l’aquarelliste auteur de l’ouvrage, il est évident que l’apprentissage de l’aquarelle et les techniques d’écriture offrent de jolis parallèles.
J’aime imaginer le lecteur lambda qui saisit le livre de Petra Wauters sur une étagère de librairie par simple curiosité – genre, « la peinture, comment ça marche ?- mais qui découvrira au fil des pages qu’à travers la méthode, le livre rend également compte des multiples petits miracles (ou épiphanies) qui se produisent au bout du pinceau. D’où le titre, je suppose.
Je l’avoue : étant moi-même peu éclairée dans le domaine pictural, visiteuse très occasionnelle des musées, mais ayant enseigné l’écriture en langue anglaise à des lycéens, j’ai été immédiatement séduite par l’aisance avec laquelle Petra Wauters savait créer une intimité chaleureuse et rassurante avec ses lecteurs (-apprentis aquarellistes), et j’ai revécu le plaisir d’accompagner des jeunes et des moins jeunes à la découverte d’une aptitude à créer qu’ils portaient en eux-mêmes.
Ah ! Cette petite « éponge magique » qu’elle évoque dans le livre et qui m’a rappelé la gomme, la meilleure auxiliaire du crayon à papier *, surtout quand on écrit dans une langue étrangère qui encourage l’audace (car beaucoup moins corsetée que le Français) mais qui ne la récompense pas à tous les coups.
Dès la page 5, avec « le syndrome de la page blanche », j’ai senti que j’allais constater à quel point la peinture et l’écriture se font écho, alors que jusqu’à présent, je n’avais toujours imaginé que le cousinage évident entre la peinture et la musique, deux arts qui savent se passer de mots.
Quel plaisir de constater que nous partageons les mêmes émerveillements quand les couleurs se mêlent, « s’embrassent, s’embrasent » et quand l’inattendu surgit dans la collusion des mots, qui peut être carambolage ( fertile en paradoxes qui expriment bien l’ambivalence de toute expérience humaine) ou fusion des connotations. J’aime la façon dont Petra transcrit ces petites épiphanies, par exemple (p37): « des lumières vont se créer toutes seules dans le ciel ».
La façon dont « les pigments, dès posés dans l’eau, commencent à vivre, puis les couleurs se mélangent sur la palette, me rappelle que les mots ont la même capacité à rester matière vivante, déjà par leur polysémie, mais aussi parce qu’ils nous surprennent en se parlant alors qu’on croyait qu’ils n’avaient rien à se dire.
Par exemple, page 18, le vase noir aux reflets de lumière blanche m’a immédiatement fait penser à l’oxymore « l’obscure clarté »… puis, en essayant de mieux saisir comment Madame Wauters a rendu compte de plusieurs effets de lumière, j’ai vu qu’à certains endroits, elle n’avait posé aucune peinture : en écriture, cette utilisation du « rien », du « silence », du « trou dans la narration » qu’on appelle l’ellipse fait que le narrateur lève la tête et … comprend… avec le plaisir de savoir que l’écrivain lui a laissé de la place pour qu’il travaille à la création de sa propre lecture.
Bien d’autres figures de style rapprochent les deux types de création : la répétition des motifs, avec ou sans variations, l’euphémisme, car en littérature comme « en aquarelle, le peu fait le mieux », les citations (conscientes ou inconscientes) d’autres artistes qu’on a beaucoup observés et qu’on vous a encouragés à imiter lors de votre apprentissage : ces ciels marins atmosphériques « à la Turner », par exemple, sont-ils vraiment inspirés par une rémanence, une empreinte rétinienne venue du passé ? Ou bien sont-ils dus à la vue brouillée et subjective de celui qui regarde ? Car le regardeur un peu novice aime bien reconnaître ce qu’il a déjà vu et aimé, n’est-il pas ?
Je viens de mentionner « la vue brouillée du regardeur », et je me rappelle que l’autrice insiste sur le « va-et-vient constant entre observation attentive et pratique de la peinture », alors qu’en est-il des élèves d’un certain âge à la vue détériorée ?
L’enthousiasme pédagogique de Petra me fait dire qu’elle trouvera sans peine un grand peintre affligé de cataracte nous impressionnant la rétine d’éblouissants nénuphars pour nous pousser dans le grand bain de l’aquarelle, et nul doute que dans les éclaboussures « le mouillé rendra les meilleurs effets de lumière » (trouve plus la page). Et…. SPLASH !
*Ces deux outils, le crayon à papier et la gomme, ont longtemps été imposés ( jusqu’à l’invasion des ordinateurs) dans les lycées américains, même pour les « tests fédéraux ». Le fameux droit à l’erreur, essentiel dans tout apprentissage mais toujours bien reconnu en France.
Ma méthode d’Aquarelle, jusqu’au bout du pinceau
Pétra Wauters
éditions Ulisse. 25€
Illustration de l’entête: Marine verticale (détail). Pétra Wauters