Le marché de l’art, la vie des oeuvres, la passion des collectionneurs, une ressource essentielle de l’histoire de l’art. L’art est vivant, il n’a pas d’âge, il s’admire, il se partage, il rassemble, il nous élève et nous émeut, il nous donne plaisir et joie. Une vente à venir à l’Hôtel Drouot à Paris, mardi 30 novembre 2021, d’une toile de Marc Chagall, titrée Homme pendule, nous fournit l’occasion de partir dans des rêves. P-A L
Dans l’univers onirique de Marc Chagall, d’origine biélorusse, où dansent êtres humains, bêtes et objets comme doués de parole, la thématique de la pendule occupe une place de choix.
À la fin des années 1960, Marc Chagall, auréolé d’une gloire internationale, diversifie son art, répondant à une commande de vitraux pour la cathédrale de Metz ou créant les décors d’une Flûte enchantée d’anthologie, montée au Metropolitan Opera de New York… Mais dans l’intimité de son atelier de Saint-Paul-de-Vence, où il réside aux côtés de son épouse Valentina, c’est son histoire personnelle qu’il ne cesse de mettre en scène.
Le temps semble ne pas avoir de prise sur une œuvre où reviennent inlassablement les souvenirs d’une lointaine jeunesse écoulée à Vitebsk, dans l’empire des tsars. Parmi ces éléments symboliques et récurrents, il y a justement l’horloge, qui attire le regard au centre de cette toile intitulée Homme pendule. Peinte en 1968, la composition s’appuie – comme souvent chez son auteur – sur une diagonale, constituée ici par un garde-temps à cadran émaillé et balancier doré, sorte de colonne vertébrale du tableau. À l’examen, il s’agirait plutôt d’une créature composite dont la moitié humaine enserre affectueusement la caisse de l’instrument et présente un profil souriant – peut-être celui du peintre lui-même. Marc Chagall nous a habitués à ce genre de métamorphose complexe où il se rêve sous les traits d’un animal, âne ou coq par exemple. Quant à la pendule, c’est celle qui rythmait la vie d’autrefois dans la maison de ses parents en Biélorussie, avant de devenir l’un de ses motifs favoris, parfois dotée d’ailes – telles les heures qui s’envolent pour ne plus revenir.
En 1939, le thème avait déjà été magnifié à travers une toile spectaculaire, Le temps n’a point de rives, dans laquelle une pendule-poisson volait au-dessus d’une rivière tout en jouant du violon (vendue chez Christie’s New York le 4 mai 2004). Mais l’image réapparaît après la mort soudaine en 1944 de sa première femme et muse, Bella : dans l’Autoportrait à la pendule, de 1947 (collection privée), le peintre dévasté dialogue à la fois avec le Christ sur la croix et la figure de la disparue, tandis que passe haut dans le ciel l’horloge inatteignable.
On peut aussi retrouver l’objet jeté à la rue dans des œuvres plus dramatiques évoquant la Seconde Guerre mondiale, comme Résurrection, partie centrale d’un tryptique achevée en 1948 (musée national Marc Chagall, Nice). Vingt ans plus tard, l’Homme pendule, mêlant joyeusement les maisons jaunes de son enfance, le coq de la tradition judaïque, un couple d’amoureux et la figure éternelle de la bien-aimée, semble affirmer qu’avec le temps Chagall a retrouvé une certaine sérénité…
Article publié dans Gazette Drouot nº38 du 29 octobre 2021
Vente POST WAR AND CONTEMPORARY ART mardi 30 novembre 2021 – 14:00. Salle 5 – Hôtel Drouot – 9, rue Drouot – 75009. Digard Auction