L’ovation du public du Grand Théâtre de Provence faisait chaud au cœur à l’issue du concert. En effet, c’est la première fois que l’Orchestre de Suisse romande se produit au festival de Pâques, et quelle première fois. On espère bien les revoir lors de la prochaine édition.
Ce jeudi 14 avril, à Aix-en-Provence, le programme divisé en deux parties avait de quoi séduire. Il annonçait du très connu et reconnu avec « Le Sacre du printemps » de Stravinsky, superbe, et du moins connu, plus rare, et tout aussi superbe, le Concerto pour violon et orchestre en si mineur op.61 d’Elgar. De la grande musique, d’un lyrisme absolu et d’une difficulté redoutable. Quel engagement de la part de Renaud Capuçon et de l’orchestre, pour ce qui est sans doute l’un des concertos les plus exigeants du répertoire.
Ce concerto est l’un des plus majestueux concerto pour violon du répertoire et s’il est aussi l’un des plus longs, on ne se languit pas, car ses pages sont empreintes de poésie et de tendresse. C’est inspiré que notre violoniste et directeur du Festival a interprété ce concerto trop peu connu. Il est toujours un peu risqué de s’attaquer à ce type de répertoire, dont l’ampleur n’aura eu d’égale ce soir-là que le talent de Renaud Capuçon et de Jonathan Nott, tous deux en parfaite communion d’idées et de sentiments.
Ce que l’on n’est pas près d’oublier aussi, c’est ce Sacre du Printemps, œuvre du grand répertoire si difficile à restituer. Ce concert d’hier prouve que Jonathan Not a quelque chose de plus à nous dire à son sujet et à quel point il peut être excellent. D’emblée, il nous expose avec bonheur la subtilité, l’éclat de la partition et ne choisit pas de pousser à l’extrême l’expressivité des rythmes évitant ainsi une débauche gratuite d’effets, comme on peut souvent l’entendre dans bon nombre d’interprétations. Certes, on en prend plein ses oreilles, si vous nous permettez l’expression, mais dans le bon sens du terme. Ce Sacre doit rester ce véritable coup de tonnerre qui fait de lui un chef-d’œuvre absolu. Quand on pense au scandale lors de sa création en 1913 ! Le Ballet, issu d’une collaboration entre le compositeur Igor Stravinsky et le chorégraphe Vaslav Nijinski, n’avait pas convaincu, bien au contraire. Sifflets, huées, l’œuvre fut rebaptisée « Massacre du printemps ». Il faut dire que l’on quittait un peu brutalement le monde des contes de fée à l’époque. Même si la joie et la douleur ont toujours cohabité, il se passait dorénavant « autre chose ».
Sans doute le Sacre était trop dans l’abstraction, en rupture totale avec le passé. Ce monde musical nouveau, à la fois cruel et sauvage, Jonathan Nott a réussi à nous le livrer avec force et conviction, sachant rassembler les forces vives de son orchestre. Au moment de l’entracte, celui-ci s’est agrandi de façon spectaculaire. On a pu ainsi se régaler de nouvelles percussions, de nouvelles cordes, de nouveaux bois, de nouveaux cuivres … Dans ce Sacre, tout est à sa place et sonne juste. Pourtant, on pourrait être désorienté, car aujourd’hui encore, cette musique est surprenante par ses audaces harmoniques, ses lignes mélodiques qui se superposent, ses explorations rythmiques, cette tension sans cesse grandissante. La grande difficulté musicale, nous semble-t-il, c’est d’arriver à suivre la cadence et l’accélération effrénée des tempos et parvenir à restituer toute la richesse des variations rythmiques. On entend « l’Adoration de la terre » dans l’introduction pour cet éveil à la nature illustrée par une mélodie portée par le basson et développée dans l’orchestre. Les bois y sont sublimes. « Les augures printanières » font entrer les cors brillants, éclatants, dans des motifs rythmiques que l’on reconnait entre tous. Le « jeu du Rapt » offre de nombreuses surprises avec l’intervention des timbales comme autant d’explosions sonores à donner le frisson. Sauvages encore, truffées d’effets dynamiques et sonores, la « glorification de l’élue » ainsi que « l’évocation des ancêtres « avec ses grands crescendos.
Impressionnantes encore « l’Action rituelle des ancêtres » et « la Danse sacrale » qui terminent le second tableau. Ce soir-là, chaque musicien a joué sa partition avec brio et l’orchestre s’est fait entendre comme un seul et unique instrument.
Orchestre de la Suisse Romande
Jonathan Nott, direction
Renaud Capuçon, violon
Edward Elgar (1857-1934)
Concerto pour violon et orchestre en si mineur, op. 61
Igor Stravinsky (1882-1971)
Le Sacre du printemps