Andrea Zanzotto et son traducteur Philippe Di Meo, Andrea Zanzotto et Camille Corot, voilà deux affiches des plus alléchantes. Et c’est ce que nous offre ce petit livre « Vers, dans le paysage » écrit par le poète vénitien sous le titre « Verso, dentro il paesaggio », publié par son auteur en 1951, puis en 1994 dans une traduction en français et en avril de cette année dans une nouvelle traduction aux éditions La Barque.
Le titre laisse à penser qu’il s’agit d’une réflexion sur la place de la poésie dans la peinture ou des rapports de l’une à l’autre. Ce serait trop réducteur, il s’agit en fait d’une étude sur les liens dans le temps et dans l’espace, entre le tableau et celui ou celle qui le regarde, qu’il ou elle soit poète ou non. Comment reçoit-on un tableau représentant un paysage, que se passe-t-il chez le peintre avant qu’il se mette à représenter un paysage ? Zanzotto va nous donner des explications pertinentes sur le processus de la création et la réception d’un tableau de paysage.
Pour lui, le paysage demeure l’épiphanie la plus appropriée de la nature, c’est donc le paysage qui est la porte d’entrée vers ce qui nous entoure de plus essentiel et qui n’est autre que la nature. Avec quasiment un siècle d’avance, Zanzotto a des inquiétudes sur l’avenir de notre planète et souligne le saccage de la nature. Mais là n’est pas l’essentiel de son propos. Le paysage est l’endroit où le moi et la nature se rencontrent.
Le sujet, c’est-à-dire celui qui regarde le paysage dans la nature ou celui qui est peint sur le tableau, perd son rôle premier et laisse la première place à ce qu’il voit. En revanche, pour celui qui peint le tableau, L’œil s’approprie, élabore, dissèque, invente et enfin retransmet : tout le travail du peintre est dans cette suite, il lui faut d’abord observer le paysage dans sa globalité puis dans les détails pour ensuite inventer et donc interpréter le paysage.
Pour qui contemple le tableau comme pour le peintre, un va-et-vient s’instaure de la réalité intérieure à la réalité extérieure (la nature) et vice versa. Et c’est ce va et vient sans fin qui fait que le monde n’est plus un spectacle à admirer, à contempler passivement mais une expérience à vivre, et surtout à connaître, précisément à travers la peinture. La peinture aide donc à vivre, il ne s’agit pas d’apprendre- bêtement serait-on tenté de dire – mais de ressentir, de connaître et ainsi de vivre pleinement.
Pour Zanzotto, c’est Camille Corot qui est l’un des peintres, si ce n’est « Le » peintre qui illustre le mieux son propos. Ce texte a été écrit à la demande du Musée des Beaux-Arts de Reims qui possède une importante collection de tableaux de ce peintre français du XIXème siècle. Mais loin d’être un simple texte de commande, ces pages contiennent une réflexion profonde et essentielle sur la peinture. L’un des tableaux, La Saulaie est bien mis en évidence par Zanzotto qui le considère comme l’un des plus aboutis grâce au mouvement et à l’agencement des personnages qui s’y trouvent. Zanzotto en profite pour souligner le fait que Camille Corot a voyagé trois fois en Italie et pour le rapprocher de l’école vénitienne du XIXème siècle qui avait les mêmes préoccupations sur la représentation du paysage.
Court texte critique à propos de la peinture, ce petit livre méritait d’être à nouveau présenté au public francophone à la suite des Haïkus pour une saison publiés aux éditions La Barque en 2021 dans une traduction de Philippe Di Meo. L’exploration et la découverte ou la redécouverte d’Andrea Zanzotto continuent, personne ne s’en plaindra.
Vers, dans le paysage
Andrea Zanzotto
Traduction Philippe Di Meo
éditions La Barque. 9€
Illustration de l’entête: Andrea Zanzotto dessiné par Paolo Steffan, 2009. Crayon et sanguine sur papier.
Note : Le musée des beaux-Arts de Reims est fermé depuis 2019 pour travaux. Il rouvrira en 2025. Entre temps les tableaux de Camille Corot sont visibles sur le site du musée :