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Étude de l’Ined: les couples de même sexe dans les pays occidentaux mieux reconnus et plus nombreux

par Communiqué

Désormais reconnus juridiquement dans de nombreux pays, les couples de même sexe sont également mieux repérés par la statistique publique. Exploitant les derniers recensements et enquêtes, Wilfried Rault, chercheur à l‘Institut national des études démographiques (Ined) examine leur nombre et leurs caractéristiques. Leur fréquence augmente-t-elle ? Varie-t-elle selon l’âge et le lieu de résidence ? Et d’un pays à l’autre ?

La reconnaissance juridique des couples de même sexe et la plus grande acceptation sociale des minorités sexuelles figurent parmi les grandes transformations de la famille et de la vie privée depuis la fin du XXe siècle. Une cinquantaine de pays en Europe et ailleurs reconnaissent désormais les couples de même sexe en leur accordant un statut légal, et ont ainsi emboité le pas au pays pionnier en la matière, le Danemark (1989). La forme de ces unions légales entre personnes de même sexe varie selon les pays, allant du concubinage à l’union civile et au mariage [1]. La statistique publique, notamment les recensements de la population, ont dû s’adapter pour pouvoir dénombrer et décrire ces couples et suivre leur évolution. Cette reconnaissance juridique et sociale mais aussi statistique va-t-elle avec une augmentation de leur fréquence ? Quelles sont leurs spécificités sociodémographiques ?

Le nombre de couples de même sexe est en hausse

Le dénombrement des couples de même sexe cohabitants révèle une augmentation de leur fréquence partout où les statistiques sont disponibles (figure 1) (voir encadré 1 sur les sources). Leur fréquence a triplé aux États-Unis entre 2000 et 2021 pour atteindre 1,8 % des ménages comprenant un couple. Au Canada, nommés « couples de même genre (cis) » suite à la modification de la question sur le sexe et à l’introduction d’une nouvelle question sur l’identification de genre au recensement de 2021 (voir encadré 2), ils représentaient 1,1 % des « familles compre- nant un couple » en 2021, contre seulement 0,5 % pour les couples de même sexe en 2001. On observe la même tendance en Australie avec 1,4 % des couples au recensement de 2021 contre 0,3 % à celui de 2001.

L’augmentation de la fréquence des couples de même sexe est également perceptible en Europe. En Allemagne, leur part a plus que doublé entre 2010 et 2019 pour atteindre 0,7 % des couples à cette dernière date. En Espagne, elle est passée de 0,7 % en 2013 à 1,0 % en 2020. Le même type d’évolution a été observé au Royaume-Uni : les ménages comprenant un couple de même sexe représentaient 1,0 % des ménages conjugaux en 2015 et 1,4 % en 2018. Pour la France, il n’existe pas de statistiques fiables avant 2011 pour des raisons méthodologiques (encadré 1). On constate une augmentation de 80 % du nombre de couples de même sexe entre 2011 et 2020 (figure 1). Tandis qu’on comptait 170 000 personnes en couple de même sexe cohabitant en 2011, on en dénombre près de 305 000 en 2020, soit 1,0 % des couples cohabitants à cette dernière date.

L’augmentation du nombre de couples de femmes est plus marquée que celle de couples d’hommes. Minoritaires en Espagne (39 % des couples de même sexe en 2020) et en France (43 % en 2020), les couples de femmes sont aussi nombreux que les couples d’hommes en 2021 au Canada (49 %) et en Australie (50 %) et ils sont majoritaires aux États-Unis (52 %).

Olécio partenaire de Wukali

La plupart des dénombrements que permettent les recensements ont une limite importante : ils reposent sur la composition du logement et ne tiennent pas compte des configurations conjugales non-cohabitantes, qui pourtant concernent plus souvent les couples de même sexe. En France par exemple, l’enquête Famille et logements réalisée en 2011 a permis d’établir que les couples non-cohabitants étaient 4 à 5 fois plus fréquents chez les personnes en couple de même sexe que chez celles en couple de sexe différent [2].

Des couples plus jeunes

Les personnes en couple de même sexe sont, en moyenne, plus jeunes que celles en couple de sexe différent. En Australie, la moitié des personnes en couple de même sexe a moins de 40 ans (49 ans pour les personnes en couple de sexe différent). De tels écarts apparaissent également en France où les femmes et les hommes en couple de même sexe ont en moyenne 41 et 44 ans respectivement, contre 51 et 53 ans pour les femmes et hommes en couple de sexe différent. La part de personnes en couple de même sexe est ainsi plus élevée dans les jeunes générations : 2 % des 25-29 ans sont en couple de même sexe, c’est deux fois plus que la moyenne nationale (1 %). Inversement, seulement 0,4 % des 60-75 ans en couple le sont avec une personne de même sexe. Cette observation fait écho au fait que les personnes qui font part d’une identification non-hétérosexuelle sont également plus jeunes.

Des couples moins souvent mariés

Les couples de même sexe sont, en moyenne, moins souvent mariés que les couples de sexe différent. Aux États- Unis, 89 % des couples de sexe différent sont mariés (2019), mais seulement 58 % des couples de même sexe – depuis 2015 ils peuvent se marier dans tous les États du pays. Au Canada, où le mariage a été ouvert aux couples de même sexe en 2005, les écarts sont également marqués (74 % contre 37 % en 2021). Il en est de même en France où le mariage de deux personnes de même sexe est possible depuis 2013 : 73 % des couples de sexe différent sont mariés en 2020, contre 40 % des couples de femmes et 37 % des couples d’hommes. Ces différences sont en partie imputables au fait que ces couples sont plus jeunes et plus récents, donc moins enclins à avoir déjà eu recours au mariage. Ils ont aussi une moindre préférence pour le mariage à âge identique (figure 2). La durée de vie en couple n’est pas renseignée dans le recensement, mais un focus sur les classes jeunes (25-29 ans et 30-34 ans) permet de contrôler partiellement l’effet de la durée de l’union.

Aux âges avancés, le pacte civil de solidarité (Pacs), première forme d’union à avoir reconnu les couples de même sexe en France (en 1999), est plus courant que le mariage parmi les couples de même sexe en comparaison de ceux de sexe différent. Parmi les couples de même sexe, avant la cinquantaine, les femmes sont plus souvent mariées que les hommes, qui sont plus nombreux à être pacsés. C’est à relier à leurs situations familiales qui diffèrent : les premières vivent plus souvent avec des enfants dans le ménage que les seconds (voir ci- dessous). Le choix du mariage peut provenir de projets ou de situations de parentalité et aussi du fait que contrairement au pacs et au concubinage, il ouvre des droits à l’adoption, notamment dans le cas où dans un couple de femmes un enfant est issu d’une insémination et où une seule des deux mères est juridiquement reconnue à la naissance [3].

Du couple à la famille

Les couples de même sexe vivent moins souvent avec des enfants que les couples de sexe différent, surtout les hommes, même si la tendance générale est à la hausse. En Australie, en 2016, un quart (25 %) des ménages constitués d’un couple de femmes comprenait également au moins un enfant (quel que soit son âge), et en 2021, 38 %. Pour les hommes, la proportion est passée de 4% à 7%.
Au Canada, en 2016, 12 % des couples de même sexe avaient des enfants à la maison (quel que soit leur âge), comparative- ment à 51 % des couples de sexe différent. En 2021, le pour- centage a presque doublé (23 %) avec, là-aussi, des disparités très fortes entre les couples de femmes et les couples d’hommes : 33 % des premiers vivent avec des enfants et 11 % des seconds (contre 50 % parmi les couples de sexe différent).

En France, en 2020, 27 % des couples de femmes et 6 % des couples d’hommes vivent avec au moins un enfant de moins de 18 ans dans le ménage. La tendance est la même : une augmentation importante de ces configurations puisqu’en 2011, un peu plus d’un dixième des couples de femmes vivaient avec un enfant dans le ménage et seulement 1 couple d’hommes sur 50. Sur ce plan, les couples de même sexe se rapprochent très progressivement des couples de sexe différent.

Où les couples de même sexe vivent-ils ?

L’attractivité des grandes métropoles pour les minorités sexuelles a été observée de longue date. Du fait de l’anonymat qu’elles permettaient mais aussi parce que celles-ci étaient pourvues en lieux de sociabilités et d’espaces de rencontres, les grandes villes ont très tôt représenté des lieux où il était plus facile de vivre une sexualité souvent stigmatisée et réprimée. Femmes et hommes en couple de même sexe vivent de fait nettement plus souvent dans les grandes métropoles que les personnes en couple de sexe différent. Au recensement de 2016, 46 % des couples de même sexe canadiens résidaient dans l’une des trois plus grandes unités urbaines du pays (Toronto, Montréal, Vancouver) contre 33 % des couples de sexe différent. En 2021, cette concentration est moins marquée (42 % contre 34 %).

Mariage de Daniel et de John. Echange des voeux (Raleigh, Caroline du Nord, USA).
©Photos Honey Dew films

Aux États-Unis, les États de la partie occidentale du pays et ceux comprenant de grandes métropoles (État de New- York, Washington DC, Massachussetts, Floride, Californie) sont des lieux de forte implantation des couples de même sexe. Tandis qu’ils représentent 1,5 % de l’ensemble des ménages conjugaux dans l’ensemble des États-Unis en 2019, le pourcentage de couples de même sexe est bien plus élevé dans certaines aires urbaines : San Francisco (2,8 %), Port- land (2,6 %), Seattle (2,4 %) et Orlando (2,4 %).

En Allemagne, la proportion de couples de même sexe est 2,5 fois plus élevée dans les communes de plus de 500 000 habitants que dans l’ensemble du pays (2019). En Espagne, le pourcentage de couples de même sexe est important à Madrid, en Catalogne et dans la communauté de Valence. À ces trois espaces fortement urbanisés s’ajoutent des provinces caractérisées par leur activité touristique : les îles Baléares et les Canaries [4]. Cette spécificité est liée à ce que ces régions comprennent des lieux de villégiatures prisés des minorités sexuelles, et aussi que les personnes de ces minorités sont un peu plus enclines à travailler dans des domaines liés au tourisme tels que l’hôtellerie et la restauration [5].

En France, en 2020, les couples de même sexe sont plus nombreux en région parisienne et dans la ville de Paris que dans le reste du territoire. Tandis que 2,6 % des hommes et des femmes en couple hétérosexuel résident à Paris et 14,6 % dans l’agglomération parisienne, c’est le cas respectivement de 15,8 et 30 % des hommes et 6,1 % et 18,4 % des femmes en couple de même sexe. Ces dernières sont moins concentrées à Paris et plus réparties dans l’ensemble du territoire que les couples d’hommes (figure 3). Les couples de même sexe sont plus présents dans les départements des grandes métropoles du pays : Loire-Atlantique, Gironde, Rhône, Haute-Garonne, Hérault, Bouches-du-Rhône notamment.

Dans ce domaine, acceptation et visibilité sociales croissantes, mais également essor de sociabilités fondées sur des espaces numériques, pourraient favoriser une relative déconcentration. Le pourcentage de couples de même sexe qui vivent à Paris est d’ailleurs plus faible en 2020 qu’il ne l’était en 2011. Les caractéristiques des couples se rapprochent de ce point de vue entre ceux de sexe différent et ceux de même sexe.

La sociodémographie des couples de même sexe révèle une augmentation sensible de leur nombre, venant probablement d’une déclaration plus systématique de ces configurations par celles et ceux qui les vivent et d’une amélioration des outils de la statistique, mais aussi d’une hausse de ces situations conjugales qui sont davantage acceptées socialement. En dépit d’un relatif rapprochement des caractéristiques des couples de même sexe avec celles des couples de sexe différent, leurs spécificités restent fortes. Les expériences individuelles sont distinctes, non seulement parce que ce processus de banalisation des minorités sexuelles semble loin d’être abouti [6], mais aussi parce que les couples de même sexe ne se forment pas tout à fait de la même manière que les couples de sexe différent.

En résumé: La fréquence des couples de même sexe cohabitants a triplé aux États-Unis entre 2000 et 2021 pour atteindre 1,8 % des ménages comprenant un couple. On observe la même tendance en Australie avec 1,4 % des couples au recensement de 2021 contre 0,3 % à celui de 2001. En Espagne, leur fréquence est passée de 0,7 % en 2013 à 1,0 % en 2020, et au Royaume-Uni, de 1,0 % en 2015 et 1,4 % en 2018. En France, on comptait 170 000 personnes en couple de même sexe cohabitant en 2011, on en dénombre près de 305 000 en 2020, soit 1,0 % des couples cohabitants à cette dernière date. L’augmentation du nombre de couples de femmes est plus marquée que celle de couples d’hommes. Les personnes en couple de même sexe sont, en moyenne, plus jeunes et plus urbaines que celles en couple de sexe différent.

Références

[1] Waaldijk K., 2020, « What first, what later? Patterns in the legal recognition of same-sex partners in European countries » in Digoix Marie (ed.), Same-sex families and legal recognition in Europe, Springer, Cham, p. 11-44.

[2] Lelièvre E., Imbert I., Lessault D., 2018, La famille à distance. Mobilités, territoires et liens familiaux, Ined (voir chapitres 7 & 11). [3] Meslay G., 2019, « Cinq ans de mariages de même sexe en France : des différences entre les couples d’hommes et les couples de femmes », Population, 74 (4), 499-519. https://doi.org/10.3917/popu.1904.0499

[4] Cortina C., 2016, “Demographics of Same-Sex Couples in Spain”. Revista Española de Investigaciones Sociológicas, 153: 3-22. http://dx.doi.org/10.5477/cis/reis.153.3
[5] Rault W., 2017, « Secteurs d’activités et professions des gays et des lesbiennes en couple : des positions moins genrées ». Population, 72(3), 399-434. https://doi.org/10.3917/popu.1703.0399

[6] Trachman M., Lejbowicz T., 2020, « Lesbiennes, gays, bisexuel∙le∙s et trans (LGBT) : une catégorie hétérogène, des violences spécifiques », in Brown E., Debauche A., Hamel C., Mazuy M., (dir.) Violences et rapports de genre. Enquête sur les violences de genre en France, Ined, Paris, coll. « Grandes Enquêtes », p. 355-390.

Étude Ined 2023

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