La Camarde, la chienne, la salope, la Mort, on croyait l’avoir oubliée, mise de côté, reléguée au placard… Médecine de pointe, greffes cardiaques, transferts d’organes, le chiffre des centenaires en France se multipliant, la noiraude ne faisait plus partie de nos horizons chimériques, du moins le croyions-nous. Patatras, pour cause d’une pandémie née en Chine et qui s’est répandue à toute allure (et d’abrutis débiles et asociaux hélas, qui défilent dans notre pays comme des veaux de foire, refusant la vaccination), la voila qui au coin d’une mauvaise toux resurgit, embusquée et prête à nous faucher.
Un événement, un fait-divers tout d’abord, et qui très rapidement fait histoire, un jalon qui marquera à jamais notre temps et qui survivra dans toutes les mémoires. Que ne dira-t-on de ces cinquante années passées1, de notre morgue oublieuse, et de cet esprit vide de sens et ineptement individualiste à en crever qui s’inscrit dans nos pratiques dites modernes à communiquer, la belle affaire ! Comment sera jugée notre société pétrie d’égoïsmes coupables!
Voila des opportunités de peur dont s’emparent des agitateurs de tout poil aux idées nauséabondes. « Liberté, Liberté…! » crient les imbéciles qui refusent de se faire vacciner, dénaturant ainsi cette lumineuse valeur au fronton de notre République. Vous savez ce que disait Daladier en septembre 1938 revenant du Bourget après avoir rencontré Hitler: « Ah, les cons !« . C’est un peu la même chose.
Il en faut du temps et des générations pour que notre corpus mental change, précisons car cela est indispensable : pour que nos peurs ataviques, reptiliennes, totémiques ou religieuses s’estompent, tandis que fleurissent comme pâquerettes au printemps tous les gourous et petits maîtres à penser en leurs chapelles closes. Un sujet qui ne peut se résumer en une phrase ou une formule bien entendu et qu’il pourrait être opportun d’approfondir ultérieurement. Nous y reviendrons donc.
La plus sublime réaction face à la mort, n’est ce point donc l’art, la beauté, cette spiritualité toute humaine, ce défi à exister qui nous élève au firmament de notre condition fragile, et fait de chacun de nous l’égal des dieux ! « Vive la vie ! »dit on dans une vieille langue d’esprit et de mémoire, pour souhaiter verre en main la santé.
La Mort donc, et tout naturellement COVID oblige, les épidémies, nous avons maintes fois eu l’occasion de traiter du sujet dans WUKALI. Nous avons même consacré un article sur l’histoire de ces épidémies catastrophiques dans le monde.
Sa réalité, loin des regards, dissimulée dans des salles dédiées des hôpitaux, ou sur les théâtres des événements où se produit l’inacceptable.
Nous abordons dans cet article, un aspect particulier à savoir la thanatopraxie présentée par un de ses servants émérites, Frantz Catarelli. D’une plume alerte et avec une certaine dose d’un humour indispensable il dévoile les arcanes de sa profession. Le style est badin pour parler de drames, de choses lourdes et violentes, inévitable en tout cas pour traiter pareil sujet, une salutaire protection.
Pierre-Alain Lévy.
1. Opportun de lire le livre de Philippe Ariès: Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, ré-édité aux éditions du Seuil.
Ô combien n’est-ce pas, est-il difficile de traiter du sujet de la mort et de discourir en commençant par évoquer notre propre fin.
Cette fin, symbolisée par la mort, finalise votre parcours d’être humain. Celle inéluctable, et qui se traduit par la cessation complète et définitive de la vie d’une personne, celle d’un animal, ou d’une plante. Car souvent et sans que vous ne vous en rendiez compte, votre corps se bat silencieusement pour rester en vie chaque jour. Il poursuit son inlassable lutte face aux agressions qui pourraient l’endommager, en s’évertuant à gagner au quotidien, ces nombreux combats qu’il finira par perdre inexorablement face au temps qui passe.
Pensez-vous alors qu’un capital « temps minimum standard » vous soit réellement du et acquis ? Si oui, je resterai prudent sur cette affirmation. Il est juste évident que vous vivrez jusqu’à la fin de vos jours qui peuvent arriver à tout moment. Rappelons que nous sommes bien tous dans le couloir de la mort qui dure toute notre vie, puisque dès notre naissance, nous sommes condamnés à mourir !
Ce sont d’ailleurs ces condamnations aux sentences exécutées quotidiennement par la mort, qui me permettent de travailler, et donc de manger.
Alors dans cet entre-deux que nous partageons vous et moi par l’intermédiaire de ce texte, et un peu aussi pour vous remercier d’avoir été condamné, je souhaiterais vous faire un petit geste commercial gracieux, en partageant avec vous, quelques coulisses sur la grande faucheuse.
Mais pour comprendre un certain point de vue, peut-être devrions-nous commencer par s’interroger sur ce qu’est un thanatopracteur ?
De quelques définitions
Thanatopracteur : association de « Thanatos« (Θάνατος) , divinité grecque de la mort et de praxein ( πρᾶξις exécuter une opération manuelle au sens d’opérer). Il s’agit donc d’une chirurgie post-mortem au sens étymologique du terme, visant à conserver le corps d’un défunt.
En résumé, nous transformons les cadavres en défunts, en les conservant par l’utilisation de procédés chimiques, ou en les réparant quand ils ont subi des dégradations mutilantes. On appelle cela : soins de thanatopraxie pour les premiers, et soins de thanatoplastie ou réparations tégumentaires pour les seconds.
Les morts sont notre matière première, les funérariums, les établissements de santé et les domiciles, nos théâtres d’opérations.
D’ailleurs, quand je traverse les couloirs des EHPAD avec mes valises, Il n’y a qu’à voir comment les petites vieilles me suivent du regard comme si j’étais un serviteur de la mort qui allait les refroidir ! Leur méfiance à mon égard me fait inévitablement sourire. Mais du coup elles semblent interpréter cette expression de bienveillance, comme le sourire d’un requin blanc, qui signifierait « à bientôt futur petit cadavre ! »
Rappelons que nous travaillons sur les morts mais uniquement pour le compte des vivants. Car les morts ne vivent que par les vivants, qui s’évertuent à faire perdurer le souvenir des défunts, telle une flamme de bougie que l’on tenterait de protéger de la tempête de l’oubli.
Bizarre sensation où l’on est souvent congratulé par nos prouesses techniques et d’accompagnements, mais où on se sent aussi mal aimé, comme si la profession semblait souffrir d’un manque profond de reconnaissance, parfois « inzuste » comme dirait Calimero.
Car la thanatopraxie demeure un métier tabou, de l’ombre et de grande solitude. Le classement de notre profession en qualité de « travailleur isolé », n’a jamais aussi bien porté son nom ! A tel point que nous exerçons souvent seuls au milieu de tous ces corps inertes, dans les locaux sombres des sous-sols, sous les néons vacillants, remisés entre la laverie et le local à poubelle.
Et la mort dans tout cela ?
Si l’on en sait un peu plus sur le thanatopracteur, qu’en est-il de la mort son principal fournisseur ?
La mort reste souvent complice de l’injustice, où seule, l’obligation de résultat prévaut et peu importe ce qu’il y a au bout de la faux. La règle est unique et facile à retenir : Ceux qui doivent mourir, …doivent mourir. Point. C’est un poste à fort potentiel de travail, mais on ne peut plus simple. Ça « tombe » bien, si vous me permettez l’expression, car la mort reste une travailleuse invétérée qui « se tue » à sa tâche : Pas de pause syndicale, pas de pause déjeuner, ni de pause pipi. La mort est terriblement consciencieuse et ne remet jamais au lendemain ce qui doit être fait aujourd’hui.
Elle ferait baver tout employeur qui rêverait d’un personnel efficient, en se retrouvant élue comme employée modèle du siècle. Car elle n’a jamais de gastro ou ne tombe jamais enceinte, monte les escaliers sans jamais s’essouffler, ses précisions de calcul dépasse la finesse d’une horloge atomique, se déplace partout sans couter une goutte de carburant, n’est pas syndiquée malgré la pression de sa charge de travail, même les dimanches et jours fériés. Toujours la première à son poste et la dernière à partir, elle fauche 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Son matériel est toujours opérationnel, entretenu et aiguisé. Squelettine porte facilement le noir, bien que le côté amincissant ne soit pas sa plus grande priorité. Comme les jeunes des cités, elle sait porter la capuche, et sait se faire respecter de tous, mais sans cracher partout. Et le saint-graal, pas de départ à la retraite prévu dans les quelques millions d’années à venir…
Mais il y a un os : L’humour noir n’est pas son fort contrairement aux thanatopracteur(e)s qui en jouent au quotidien : Le rire reste bien le propre de l’Homme, et toutes les blagues ont une fin. Et ça, elle sait nous le rappeler. Elle n’aime donc pas jouer aux cartes avec ceux des maisons de retraites qui se stimulent à rester en vie, tout en essayant de tuer le temps. Elle reste stoïque quand elle se voit dans le jeu de tarots de ces pensionnaires provocateurs. Donc si les cartes ne sont pas son jeu préféré, elle raffole du jeu des osselets, aussi coriaces soient-il comme ceux de Jeanne Calment qu’elle avait failli oublier. Ce petit retard de fauchage lui est pardonné, car « tout retard, permet de mieux se retrouver »
Si la mort n’est pas très sociable, et qu’elle parle peu, on parle beaucoup d’elle. Si elle ne mange pas, elle reste pourtant éprise d’une boulimie convulsive à cadavériser tout ce qui passe à portée de faux. A la ville et à la campagne, en mer et en l’air, sur routes et sur rails ; et sur tout ce qui passe : les animaux, les insectes, les plantes, les hommes et les femmes, les solitaires et les groupes entiers, les jeunes et les vieux, en ermite et en public, les gros et les maigres, les grands et les petits, les riches et les pauvres, les cons, les pauvres cons et les riches connards. Des plaines enneigées aux plateaux désertiques, des profondeurs abyssales aux profondeurs spatiales, personne ne lui échappe. Qui que vous soyez, ou que vous soyez, même si vous n’avez pas fini ce que vous étiez en train de faire, (et je vous laisse tout imaginer), l’heure, c’est l’heure.
Silencieusement fauchées, ces pauvres âmes disparaissent massivement au quotidien, et avec elles, des pans entiers de cette mémoire qui constituent nos sociétés et qui s’effritent en disparaissant progressivement dans l’oubli. Témoins discrets de ces carnages habituels, les thanatopracteur(e)s prennent en charge de nombreux corps qui reposent dans les morgues après la sentence mortelle. Visibles, sont les stigmates qui témoignent de la rigueur de combats acharnés avec la maladie, ou comme hébétés d’avoir rencontré subitement au détour des années, cette ténébreuse familière si redoutée. Un deux trois soleil… Perdu. On ne peut pas se cacher indéfiniment.
C’est pour cela que le thanatopracteur(e) n’aime pas la mort. Car si nous oeuvrons discrètement dans son sillage, cela ne nous empêche pas de constater toute cette détresse humaine qui se témoigne avec atrocité chaque jour devant nos yeux, nous rendant aussi impuissants que sensibles.
Méticuleuse, elle n’oublie pas non plus les thanatopracteurs. Et oui, si les morts qu’elle sème nous permettent de nous substanter, oublier que mourir n’arriverait qu’aux autres, serait une erreur fatale.
Parce que la nuance reste capitale : Travailler à ses côtés, ne veut pas dire travailler avec elle. Car si certains aiment la mort, n’en déplaise aux gothiques, les thanatopracteurs ne l’idolâtrent pas. Il reste évident qu’un speed-dating entre un thanatopracteur(e) et la mort, deviendrait vite toxique pour un des deux. Car « qui fleurte avec la Mort, épouse un cercueil » Et quand un d’entre nous est à son tour fauché, (et le salaire versé par notre employeur n’a rien à voir là-dedans), cela sonne comme un rappel à l’évidence : Les thanatopracteur(e)s ne sont pas immortels et ne doivent pas oublier qu’ils ne sont que des petites mains post-mortem. Nombre de nos collègues y ont laissé leur vie, ravagés psychologiquement par le vécu de leurs interventions macabres. C’est ainsi, qu’à leurs tours, les embaumeurs sont embaumés tout comme l’arroseur arrosé. Et la boucle est bouclée !
Mais heureusement pour la population qui ne voit rien, les thanatopracteur(e)s, c’est comme les dents des requins : Si un tombe, un autre le remplace, car curieusement, il y a toujours des candidats intéressés par ce métier si singulier. Ou devrais-je dire des candidates, car la profession se féminise considérablement, ce qui ne manque pas de ravager notre budget de carrosserie des thanatomobiles !
Mais revenons à cette mort qui précède l’arrivée de ces corps qui nous sont confiés et qui se retrouvent sur nos tables d’autopsie.
8 milliards. 8 milliards d’individus vivants sur ce globe au moment où je vous parle. Il est évident qu’il y a toujours eu beaucoup plus de morts que de vivants en activité, dans notre grande maison que nous appelons le monde. Je reste songeur. Mais combien d’individus morts cette planète a-t-elle bien pu connaître au cours des siècles ? Le chiffre doit surement être astronomique…
Cimetières, nécropoles et ossuaires
Et plus il y a de morts, plus la mort s’en trouve glorifiée. Elle aime l’art funéraire érigé par les Hommes, façonné çà et là dans les cimetières du monde entier. Les tombes modernes fleurtent avec les caveaux traditionnels, et les mausolées imposants rivalisent de grandeur à la mémoire des dépouilles qui se désagrègent lentement en leurs seins. Observée dans nombre de cimetières où elle est représentée, elle affectionne particulièrement la monumentalisation du deuil de masse comme cette nécropole américaine située à Saint-Avold en Moselle où repose plus de 10 000 hommes. Dans le même registre, tous ces cimetières militaires de Verdun, capital mondiale de la paix. Un de ses plus beaux chantiers. Des sépultures si nombreuses, érigées en forêt de croix, décor intemporel et irréel, témoignage historique figé, de si nombreux soldats tombés au combat. Véritables hécatombes identifiées par la présence de nombreux charniers, conséquence de la promiscuité complice entre la guerre et la mort. Ainsi sortent de terre, des conceptions artistiques de champs de croix, aux seules limites d’horizon qu’à celle de notre vue ; comme autant des trophées macabres, à la hauteur de la folie des hommes. Car si la mort vient, c’est aussi par ce que l’Homme l’appelle en travaillant toujours à déclencher des guerres fratricides, massacrant ses semblables, et tout ce qui vie pour quelques idées ou bouts de carte géographiques. Car l’Homme, devons-nous l’avouer honteusement, demeure souvent le bras armé de la mort.
Tous ces corps, en bas, phagocytés par le royaume des morts, sous des milliards de stèles, et au-dessus, nous, les vivants, simplement séparés par une fine couche de terre. Deux mondes si éloignés et pourtant si proches…
Le goulot d’étranglement
Il y a donc une sorte de goulot d’étranglement qui juxtapose ces deux mondes. D’un côté le monde des morts, et de l’autre celui des vivants. Tous les vivants doivent à un moment ou un autre, passer par ce goulot s’ils veulent devenir des morts. C’est le passage de vie à trépas, c’est la traversée du Styx, (le fleuve des morts). C’est une fois passé ce goulot que l’humain change de dénomination, en devenant un défunt, avec pour obligation de ne plus être vivant et de rester contractuellement bien mort.
Le temps de passage dans le goulot, pourrait s’apparenter à ce que nous appelons l’agonie. C’est ce laps de temps qui s’écoule lorsqu’un individu n’est plus assez vivant, mais pas suffisamment mort. Il est vrai que des milliards de vivants sont déjà passés par ce goulot, et il y a toujours eu quelques récalcitrants à mourir. Mais la mort n’aime pas laisser la place à l’espoir, et le goulot est en principe à sens unique, équipé d’une vanne antiretour, destinée principalement à éviter tout « re-venant ». Ah oui, j’oubliais, tout comme chaque examen important de sa vie, le vivant devenu mort a droit à son permis… d’inhumer ou de crémation (mais sans les points et les stages de rattrapage). La bureaucratie étant souveraine, son passage dans le goulot est aussi certifié par un certificat… de décès.
Alors oui, c’est à la sortie de ce goulot que les thanatopracteurs attendent tous, …du boulot. Un peu comme les oisillons dans le nid qui attendraient patiemment la becquée… Parce que c’est un métier qui nécessite patience : Et pour cause il ne faut pas manquer le coup, car les gens ne meurent en principe qu’une seule fois, s’ils ne sont pas répertoriés loups garous, vampires ou morts vivants.
Bien que je vous accorde l’exception de la dernière catégorie qui se confond discrètement parmi nous. Car Il y a bien des morts vivants, (entendez par là, ceux qui vivent avec des pièces détachés de cadavres en eux, et que l’on appelle si joliment : dons d’organes. Mais, ces presque morts, ne bénéficient somme toute, que de quelques années supplémentaires bien dérisoires à l’échelle du temps.
Je les vois moi, ces pauvres dépouilles, dans lesquelles on s’est servis comme dans une casse auto. J’ai d’ailleurs, cette désagréable sensation d’effectuer mon travail à moitié. Côté laboratoire, je dois traiter quelques organes qui se battent en duel dans une carcasse froide, et de l’autre nous avons des organes transplantés qui se baladent en ville dans pleins de corps différents.
Mais heureusement, on finit par récupérer tout le monde avec le temps, et les pièces détachées par la même occasion, auxquelles ils étaient rattachés.
Il n’y a pas à dire, on ne voit pas les gens de la même façon. Appréhender ce métier, c’est accepter que quelqu’un vient de mourir. C’est accepter que ce qui était valable il y a quelques heures, ne l’est plus. C’est aussi accepter un compte à rebours biologique. Celui, implacable de la dégradation du corps.
Car contrairement à ce que l’on pourrait penser, le corps se dégrade très vite. Les cours de médecine légale présents dans notre cursus, et le passage en salle de dissection des facs de médecine nous rappelle que cette dégradation quasi inéluctable est bien identifiée. On la nomme thanatomorphose.
C’est là que nous entrons dans la danse, certes macabre, mais nécessaire au bien-être des vivants. Nous intervenons par un système d’injection, en massacrant des milliards d’êtres vivants appelés bactéries, responsables pour grande partie de ces dégradations spectaculaires. Halloween ou n’importe quel film d’horreur passent pour des enfants de coeur à côté de cette putréfaction cadavérique, aidée par l’appétit de quelques insectes opportunistes particulièrement épicuriens. N’en déplaise aux végans, la plupart d’entre nous (qui auraient décidé d’éviter le four à pizza) serons bouffés par des petits vers super carnassiers, et non par d’inoffensifs brocolis. Mais qu’ils se rassurent, le procédé d’autodestruction de nos petits corps restera à coup sûr flippant, mais 100% bio !
Au milieu de toutes ces morts quotidiennes qui n’étonnent plus personne, passant presque inaperçus, les accidents de la route, les cancers, les accidents domestiques, et un peu moins discrets, les homicides…
En un rien de temps, ad patres, de la vie au trépas
Alors soit, partir, mais comment allons-nous descendre de charge de vie ?
J’y vois deux groupes : Ceux qui viennent chercher la mort, et ceux que la mort vient chercher. Déjà là, ça refroidit parce que la discussion devient plus imagée.
Dans le premier groupe, c’est principalement ce que nous appelons des suicides ou autolyses. Auto et lyse (Destruction d’éléments organiques par des agents physiques, chimiques ou biologiques). Comme disait l’autre, « Sans l’idée de suicide, je me serais tué depuis toujours » ( voir article publié sur le suicide dans WUKALI)
Ce qui est surprenant, qu’elle soit décidée ou subie, le suicide fait preuve d’une grande diversité de méthodologies. Si on prend l’exemple d’un pendu, certains sont « classiques », c’est à dire au bout d’une corde à tout ce qui peut se suspendre. D’autres sont plus écologiques et se pendent en forêt au milieu des oiseaux qui chantent, d’autres plus désespérés se pendent de grandes hauteurs comme des ponts, des cages d’escaliers, où des pylônes électriques à hautes tensions.
Naturellement et cela est facilement compréhensible d’un point de vue anatomique, les dégâts sur un corps restent très différents, selon qu’on se pende à son radiateur donnant l’effet d’une personne endormie dans une position inhabituelle, ou la décapitation d’un homme qui s’est pendu d’un viaduc.
Attention, caractères sensibles, ce qui suit n’est peut-être pas pour vous
Nous ne ferons pas ici un cours de médecine légale qui identifie les différentes méthodes de pendaisons, mais force est de constater que la méthodologie employée va forcément entraîner une mort différente, plus ou moins douloureuse, et plus ou moins spectaculaire pour ceux qui les découvrent.
Je disais que dans les suicides, l’humain trouve toujours des solutions particulièrement diversifiées. Cela va de la prise de médicaments mortelle plutôt utilisée chez les femmes, à la pendaison et les armes à feu plutôt usités chez les hommes. Et comme la mort n’est pas nécessairement romantique, certains mettent fin à leurs jours de façons bien déconcertantes. Entre celui qui se jette dans le vide, depuis un pont, une fenêtre d’immeuble, du haut d’une grue, et qui atterrissent sur des trottoirs, des voitures, des grilles de jardins, des verrières ou des catheners… Celui qui s’asphyxie dans sa voiture, celui qui se jette dans le canal, celui qui s’immole par le feu, celui qui s’écrase en avion, celui qui s’égorge tout seul, ceux qui s’empoisonnent en groupe, celui qui se jette sous le train, celui qui roule volontairement à contresens, celui qui se fait sauter la cafetière au plafond à coup de fusil de chasse, ou celui qui retourne sa tronçonneuse sur lui…
Dans l’autre catégorie, ceux que la mort vient chercher, reconnaissons-lui à elle aussi, une diversité imaginative sans limite.
Citons comme exemples, celui qui s’endore paisiblement dans son lit qui ne se réveillera pas, celui étouffé dans son silo à grain, écrasé sous un tronc d’arbre, noyé dans un étang, coupé en deux par une pelleteuse, cuit dans son bain, étouffé par une « Knacki ball« , gelé sur le bord d’un trottoir, écrasé sous une balle de foin, noyé dans une fosse à purain, électrocuté, foudroyé par un infarctus, victime d’un AVC dans son bol de Kellogg’s, fendu par des hélices d’ULM, pulvérisé à l’explosif, empoisonné par ses champignons, intoxiqué au monoxyde de carbone, dévissé d’une pente rocheuse, carbonisé dans son appartement, étouffé entre les barreaux du lit, broyé dans sa voiture, … et tant d’autres.
Un mot sur les accidents de la route si répandus et banalisés aujourd’hui. Il s’agit de morts violentes où la vie s’arrête de façon brutale et inattendue. Combien de parents ont-ils déjeuné avec leurs enfants, et qui ne sont jamais revenus le soir, fauchés par un automobiliste ou un scooter fou ? Combien de jeunes sont parti le samedi soir en boîte, et ne sont revenus que dans une « boîte » après avoir été broyés encastrés dans un arbre, écrasés entre deux poids-lourds sur l’autoroute, ou brulés vifs dans leurs propres voitures encore flanqué du A si fièrement acquis ?
Pendant des années, combien ai-je traité de corps aux membres arrachés, aux visages broyés, au corps brulés tels des pantins disloqués et déshumanisés. Comment conserver une certaine sérénité durant ces interventions alors que vous entendez les familles hurler de douleurs derrière les portes des salons, attendant désespérément que vous leur rendiez leur défunt. Lot hebdomadaire de disparitions dramatiques de ces gens qui ont perdu la vie parce qu’ils voulaient s’amuser sans en respecter les règles. Véritable moisson silencieuse qui ravage des familles entières et de toutes ces victimes collatérales qui les ont croisés sur ces routes meurtrières.
Retour sur soi
Devenir thanatopracteur c’est aussi accepter non seulement la mort des autres, mais aussi sa propre finitude. C’est accepter qu’ils nous restent au mieux quelques années dans un corps en location qu’il nous faudra rendre un jour. Car « sitôt qu’un homme vient à la vie, il est tout de suite assez vieux pour mourir ». Oui, mourir reste une fatalité pour chacun d’entre nous.
Avec du recul et une certaine hauteur, je constate que si la mort est un processus naturel, l’homme y joue un rôle prépondérant en la provocant, se prenant pour une entité supérieure, décidant de qui avait le droit de vivre et de mourir en inventant l’atrocité de certains trépas. Duquel devons-nous avoir le plus peur ? L’Homme ou la Mort ? La mort, n’est-il pas non plus celui qui tient le volant, le couteau ou le pistolet ?
Cela fait maintenant vingt ans que j’observe la phase cachée de la vie. Je n’ai toujours pas vomi, comme on me l’avait prédit, je ne suis toujours pas tombé dans les pommes, comme on me l’avait affirmé. Aujourd’hui, après avoir réalisé des milliers d’interventions, je dois bien avouer que je ne sais pas grand-chose sur elle, et que, peut-être, je comprendrai qui elle est vraiment, quand elle viendra me chercher, mais suis-je prêt ? Etes-vous prêts ? …
Alors n’attendez pas, vivez. Vivez chaque jour comme si c’était le dernier et dites à ceux que vous aimez, que vous les aimer. Car demain pourrait bien être mortel.
Citons en ultime oraison Emil Cioran « Au fond de soi, chacun se sent et se croit immortel, même s’il sait qu’il va expirer dans un instant. On peut tout comprendre, tout admettre, tout réaliser, sauf sa mort, alors même qu’on y pense sans relâche et qu’on y est résigné. »
Je dédie ce travail de réflexion et d’écriture à mon Maître thanatopracteur, Paul Clerc, passé dans l’au-delà
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Article initialement publié le 29/11/21