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Alexandre Tharaud au piano à La Roque d’Anthéron

par Pétra Wauters

Alexandre Tharaud poursuit une formidable carrière internationale et ses récitals nous ravissent toujours autant. Moins de monde que pour Bertrand Chamayou qui faisait l’ouverture du festival avec Lionel Bringuier et l’Orchestre de Paris, le 20 juillet dernier ce qui étonne un peu mais ce n’est pas non plus le même type de soirée avec la magie d’un orchestre qui entre en scène. Là, il s’agit d’un récital, nous sommes en tête à tête avec le pianiste et les compositeurs qu’il interprète. Il est là aussi le bonheur.  

Alexandre Tharaud est un artiste rare et son répertoire est immense. L’artiste est attachant. Il a une petite cinquantaine et franchement ne les fait pas, silhouette fine, visage doux, jolis sourires qu’il nous adressera tout au long de la soirée. De toute évidence il heureux d’être là. Le récital de ce jeudi 27 juillet s’est construit comme un tableau, de petites touches de couleurs qui nous laissent une impression de bien-être, de félicité. 

Jean-Philippe Rameau : Suite en la

Des extraits savoureux (Allemande, Sarabande, Fanfarinette, et Gavotte et six doubles) et force est de reconnaitre que ces pièces écrites pour clavecin sont tout aussi belles au piano. Et pourtant, il n’y a pas trop de comparaison possible entre les deux instruments et il faut trouver des chemins différents pour servir ce bijou et en restituer tout l’esprit, coller au discours, et chercher d’autres couleurs que peut proposer le piano. Et on aime que les notes s’éternisent un peu, qu’elles restent plus longtemps à notre oreille. On aime encore le côté lyrique de ses pièces qu’Alexandre Tharaud fait chanter, tout simplement. Il nous fait entendre toute la fantaisie de Rameau.  Les ornementations ne sont pas trop présentes mais légères,  le rythme parfait, jamais ennuyeux. On peut préférer les suites au clavecin, mais cette proposition est irréprochable et ne trahit en rien Le compositeur. C’est très classique, certes, mais plein de surprises ! Le ton est chaud, joliment timbré, nul doute cette musique sonne si admirablement sur un piano moderne. La soirée ne fait que commencer, et dans cette première demi-heure on a fait une belle plongée dans le siècle des Lumières. Avec cette interprétation très virtuose, très aboutie stylistiquement, (mais regardez ces mains superbes ! ) un vent de liberté a soufflé sur la scène. « Montrez-moi vos mains «  est le titre du livre d’Alexandre Tharaud, sorti en 2017. Il se lit d’une traite !

Edvard Grieg: pièces lyriques, extraits 

On retrouve le pianiste dans un tout autre univers, mais nous sommes dans ce même climat de pièces tellement agréables à entendre, si faciles à l’oreille, qu’il ne faut pas s’y méprendre, elles sont plus compliquées qu’il n’y en a l’air. On se sent immédiatement proches de ces petites mélodies, charmantes, séduisantes, captivantes. Encore un grand moment, même si nous avons un faible plus prononcé pour Rameau. Nous les connaissons ces pièces,  mais il ne nous semble pas les avoir entendues lors d’un concert. Déjà merci pour cela.  Et là encore, ses mains, toujours si impressionnantes. Alexandre Tharaud semble inventer de nouveaux mouvements, de nouvelles arabesques qui épousent le propos de Grieg.  De ses longs doigts fins, il livre un jeu tout en nuances, triste ou lyrique, joyeux ou mélancolique, elles sont romantiques à souhait et parfaites pour l’interprète Tharaud ! 

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Alexandre Tharaud. La Roque d’Anthéron 2023
©photo Pierre Morales

Tharaud joue du Tharaud

Et l’interprète Tharaud qui joue du Tharaud, c’est fort aussi, et surprenant. Il nous dévoile ses talents de compositeur avec son Corpus Volubilis, un Tharaud explorateur avec ce titre qui plante déjà le décor. Tout coule, glisse, se déroule avec souplesse, des études brèves que le public apprécie, même si certains paraissent réservés, de nombreux mélomanes sont enchantés et nous le confieront. Ce Corpus Volubilis comporte de belles séquences, impudentes, bavardes et rythmées. On y retrouve toute l’éloquence du pianiste, compositeur audacieux.  Il nous sourit, entre deux pages de sa partition et on a cette impression qu’il écrit son autoportrait sur les touches de son clavier, qu’il se raconte et s’amuse de cette musique pas toujours gaie au demeurant, même si remplie d’humour et de dérision.  

Beethoven : Sonate n°32 en ut mineur opus 111 

Autour de nous, l’accueil de cette dernière partie du programme est mitigé. Il faut dire que le pianiste est surprenant, il va là où on ne l’attend pas, est capable d’élans fougueux, il tend parfois dans des nuances très fortes, voire musclées. Nous, nous l’aimons l’interprétation de cette sonate par Alexandre Tharaud. Une œuvre géniale qui fait partie de la dernière période créative du compositeur, comme un point final à son œuvre pianistique, ce qui nous la rend encore plus touchante. D’autant plus qu’il ne faut pas oublier que Beethoven, sourd, n’a pas entendu normalement, dirons-nous, ses dernières compositions. Il entend autre chose depuis son clavier et c’est incroyable quand on y pense, cette capacité à entendre intérieurement et entièrement une œuvre aussi titanesque . L’entendre malgré son handicap.  

Comment interpréter l’œuvre d’un des plus grands génies de la musique, sans savoir ce qu’il a entendu « intérieurement ». On sait encore que dans les dernières années de sa vie, Beethoven va aller à l’essentiel, tout en livrant des moments de grande intimité. Il nous offre une sorte de fresque, un grand opéra qui met en scène de nombreux personnages, les sonorités et les caractères sont très différents. On passe d’une très grande violence à une extrême douceur. Et justement, le défi de cette sonate est de taille même s’il ne comporte que deux mouvements. Le contraste entre les deux est immense et il faut franchir deux mondes que tout oppose. La force du premier, le spirituel du second. 

Et on a l’impression que, tout comme Beethoven à l’époque, Alexandre Tharaud invente le piano du futur. Notamment dans les dernières pages de l’opus 111, 

Le premier mouvement est joué avec brio et panache, le caractère passionné est bien présent. On mesure dès les premières notes la difficulté pianistique de cette sonate. L’ Arietta nous séduit davantage encore.  Elle est si belle qu’elle parait être l’âme même de cette sonate, elle en révèle tout l’esprit.  Alexandre Tharaud nous a offert jeudi soir un concert généreux,  étincelant de bonheur.

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