Accueil Livres, Arts, ScènesScènes & Théâtre Laetitia Casta et Roschdy Zem chacun des deux bouleversant dans Une journée particulière

Laetitia Casta et Roschdy Zem chacun des deux bouleversant dans Une journée particulière

par Pétra Wauters

 

C’était la dernière séance dans ce magnifique théâtre du Jeu de paume d’Aix-en-Provence où se jouait depuis le 23 janvier une reprise de l’œuvre de l’Italien Ettore Scola, « Une journée particulière ». Le film est sorti en 1977, avec Sophia Loren et Marcello Mastroianni, éblouissants. Et même si l’on a encore à l’esprit le film culte et les deux magnifiques interprètes italiens, on est toujours sous le charme de cette version théâtrale 2024, de la mise en scène de Lilo Baur et du jeu tout en subtilité de la belle et émouvante Laetitia Casta ainsi que de l’énigmatique et délicat Roschdy Zem

Une pièce terriblement d’actualité 

La pertinence de l’écriture, cette façon intelligente d’aborder l’homosexualité, la guerre… Et on va bien au-delà de la montée du nazisme qui est déjà un thème fort. On nous livre une peinture de deux personnages attachants, fragiles et forts tout à la fois. Une rencontre improbable.  Lui, Gabriele, homo, sensible, intellectuel, journaliste chroniqueur radio, se trouve fraichement licencié, et séparé de son compagnon, et sera bientôt déporté. Elle, femme « ordinaire », mère de famille de 6 enfants, épouse modèle, admiratrice du Duce, parce que c’est comme ça, et aussi, parce que son mari a adhéré au parti. Il y a des bottes à cirer et il est là pour le lui rappeler.  Pas le temps de rêver. On nous la présente comme une femme populaire,  presque banale, toujours un peu énervée. A priori, ce n’est pas vraiment un rôle sur mesure pour la divine Casta, pleine de grâce et de pudeur.  

On s’attarde un peu sur la scène de repassage, c’est vrai qu’elle a beaucoup d’enfants, Antonietta. On les entend du reste en voix off se chamailler ou rire. Elle leur répond, se presse, s’active. Ils vont partir au défilé sans elle. Elle pense que c’est bien. Ce 6 mai 1938, le Duce reçoit le Führer.  C’est important.  Mais voilà que tout va basculer : le perroquet d’Antonietta s’enfuit de sa cage et va se poser sur la fenêtre du voisin, Gabriele.  Elle appelle l’oiseau. Le décor tourne et nous promène de chez lui à chez elle. On passe d’une pièce à l’autre, d’un appartement à l’autre dans une savante scénographie. Lui connait son sort, on va venir le chercher pour le déporter. Il ne sait pas à quelle heure mais les dés en sont jetés.  Il pense au suicide.  C’est la « révolution », le grand chambardement qui s’invite dans leur vie, avec l’arrivée de cette femme venue juste chercher son oiseau. Gabriele et Antonietta que tout oppose se sont écoutés, rapprochés, ont ri et pleuré ensemble. On se souvient de la scène de la concierge, qui trouve le « voisin » subversif. « Je ne sais pas qui il est, ni qui il n’est pas, je sais seulement que c’est un mauvais sujet. En somme pour parler clair, je ne lui plais pas, il ne me plait pas » pas !  Il est là, derrière la porte, et entend tout. 

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Une journée particulière. Laetitia Casta et Roschdy Zem
Photo© Simon Gosselin

Pourtant, elle n’écoute que son cœur,  Antonietta. Elle tombe dans les bras de son nouvel ami qui surpris, recoit avec bonheur cette tendresse soudaine.  Roschdy n’est pas Marcello, Laetitia n’est pas Sophia, toutefois, nul besoin de comparer ! Roschdy porte sa souffrance, on la lit sur son visage même lorsqu’il esquisse un sourire ou se met à rire. On adore justement ce moment de légèreté sur la terrasse où la danse mène la cadence,  et les mots de suivre entre splendeur et simplicité. Roschdy Zem est excellent dans son rôle entre virilité et fragilité et comme on peut comprendre que Antonietta se sente perdue.  Tout est abordé dans cette pièce : l’intolérance, les préjugés, la différence, l’exclusion. Cette journée particulière nous offre un moment hors du temps,  les dialogues sont bien menés, précis. Les voix off d’enfants ramènent la mère de famille dans sa dure condition de femme soumise, trompée et humiliée. Elle qui s’est prise à rêver et aimer et être aimée, malgré son manque de culture. « Une ignare on peut lui faire tout ce que l’on veut, parce qu’on a aucun respect pour elle ».

On entend les chants militaires de la fête fasciste qui se joue dans la rue. L’arrestation se fera à la tombée de la nuit. Antonietta ne le sait pas, elle qui dira à son amant :« Il me suffit de te voir, de t’écouter pour savoir que j’existe aussi. »

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