Vendredi 16 août, il est 20h00 dans le parc du Château de Florans à La Roque d’Anthéron. Très peu de gradins vides, et pour cause : carte blanche à Renaud Capuçon.
Toutes les cartes blanches données à Renaud Capuçon, quel que soit le festival, sont l’assurance d’une soirée d’exception. Carte blanche pour choisir les musiciens invités et les œuvres interprétées. Cette nuit dédiée à Fauré était magique. Le violoniste, comme toujours, est très attendu. Au sommet de son art, il reste simple, proche de son public. Il connaît les musiciens qu’il invite, et nous aussi, car nous les suivons en toute confiance, ces jeunes artistes. Leur interprétation de Fauré, ce vendredi soir, était superbe. D’autant plus que les musiciens solistes n’ont souvent que très peu de temps pour jouer ensemble avant de monter sur scène. Raison de plus pour connaître l’œuvre et s’y glisser avec assurance.
Le public ne s’y est pas trompé : des applaudissements à faire rougir les paumes des mains ! Aïe, même entre les mouvements… c’est un peu moins bien, mais on pardonne. On pardonne moins les téléphones qui tombent des mains, mais ne gâchons pas le compte rendu que l’on veut fidèle à cette soirée Fauré.
Fauré : Trio pour piano, violon et violoncelle en ré mineur, opus 120, avec Stéphanie Huang au violoncelle, Lucas Debargue au piano, et Renaud Capuçon au violon.
Dès les premières notes, tout glisse, coule dans nos oreilles sans peine. C’est fluide, limpide, même si la partition surprend par ses « relances », le propos qui se poursuit, la mélodie qui semble ne jamais vouloir s’arrêter et file vers un horizon tout flouté. C’est beau comme une aquarelle dont on voit les contours, des lignes pures, puis estompées par moments pour permettre à l’imagination de suivre son chemin. Stéphanie Huang est une musicienne accomplie, même si son instrument manque parfois un peu d’énergie ; ce manque de projection sera de courte durée et la jeune femme, qui ne fait pas ses 37 ans, sera très à l’aise dans le reste du programme, élégance rayonnante et justesse infaillible.
Fauré : Quintette pour piano et cordes n°1 en ré mineur, opus 89
Renaud Capuçon, Stéphanie Huang et Lucas Debargue reviennent, et pour former ce quintette, Anna Agafia Egholm au violon et Paul Zientara à l’alto se joignent à eux. C’est du Fauré comme on aime : ils nous livrent là encore une musique qui oscille joliment entre rêve, « flouté » et raffinement. Lucas Debargue est un pianiste particulièrement lumineux, notamment lorsqu’il se produit en formation de musique de chambre. C’est un piano qui ne cherche pas à s’imposer. Mais nous l’avons également apprécié seul sur la scène du parc de Florans, le 27 juillet, où il débutait son concert par Fauré justement (Neuf Préludes, opus 103). Il était encore l’invité d’Alexandre Kantorov le 5 août dernier.
Vendredi, dans ce quintette de Fauré, on se balade dans le temps et dans l’espace, dans la mélancolie et la passion. Bien inspiré, Renaud Capuçon d’avoir invité ces jeunes musiciens, (enfin, ce ne sont pas les plus jeunes de cette 44è édition, on pense à Sophia Liu, prodige du piano à 16 ans !) Toutefois, ils sont très jeunes encore et il faut beaucoup d’esprit et de maturité pour faire briller la musique délicate et complexe de Gabriel Fauré. Anna Agafia Egholm, mondialement reconnue, fait preuve d’une belle maturité musicale pour ses 28 ans. Peut-être lui manque-t-il pour cette partition, une certaine gravité ou profondeur que l’on retrouve chez Renaud Capuçon, plus expérimenté dans ces œuvres particulièrement exigeantes, tant sur le plan technique que sur le plan émotionnel. Cela dit, elle est une violoniste accomplie, à suivre absolument !
L’entracte dure longtemps, mais on parle « musique » et on revit cette première partie.
À 22h – Pas de Renaud Capuçon. Ce sont Anna Agafia Egholm au violon, Paul Zientara à l’alto, Stéphanie Huang au violoncelle et Guillaume Bellom au piano qui nous interprètent le Quatuor pour piano et cordes n°1 en ut mineur, opus 15. La musique s’installe, familière, car il s’agit sans doute là d’une des œuvres les plus connues du compositeur et peut-être l’une des plus jouées. Comment ne pas garder en mémoire le formidable Allegro molto moderato ? Sa puissance et son énergie contrastent avec le scherzo, plus lent, qui nous enveloppe littéralement. On apprécie encore la mélodie chantée par les cordes, reprise au piano ; tout y est empreint de noblesse et il plane aussi quelque chose d’irréel. L’Allegro molto nous sort de cette rêverie : la partition livre des thèmes plus rapides, plus rythmés, et on ne se lasse pas de ses instruments qui vont de l’un à l’autre, se répondant passionnément. On aime le jeu de Guillaume Bellom, à la sensibilité artistique rare et une technique irréprochable. Il a 32 ans, une carrière déjà bien engagée, et on apprécie sa réserve (trop de retenue pour certains, et cela dit, c’est très subjectif) et son humilité artistique qui appartient aux grands. Paul Zientara, lui aussi trentenaire, n’est pas davantage démonstratif sur scène, mais nous aimons cette réserve lorsqu’il aborde la musique de Fauré. Son interprétation est nuancée, sensible et techniquement parfaite !
Fauré : Quatuor pour piano et cordes n°2 en sol mineur, opus 45
Renaud Capuçon revient sur scène pour jouer la dernière œuvre au programme de cette nuit du piano. Il s’agit d’une œuvre d’une profonde intériorité. Il nous est facile de l’aimer, avec son style romantique, ses touches impressionnistes, ses harmonies délicates, et là encore, cette conversation qui s’installe entre les différents instruments nous ravit. Chaque musicien est à sa place, chacun développant les idées musicales de la partition avec beaucoup de sensibilité. Ce quatuor est un pur chef-d’œuvre de la musique française. On a juste envie de le réécouter dès que possible.
Une nuit avec Fauré, c’est une belle nuit à venir, assurément, pour faire de beaux rêves.