Houris, le titre du dernier opus de Kamel Daoud laisse perplexe si on ne sait pas que les Houris sont les jeunes filles vierges que le musulman pieux va retrouver au paradis. Il sera donc question d’Islam. Une fois que les choses sont plus claires, il devient possible de se plonger dans cette histoire qui est celle d’Aube, une jeune algérienne enceinte d’un homme qui l’a immédiatement quittée. Tout le roman se déroule après la guerre civile qui a ravagé l’Algérie pendant la décennie de 1990 à 2000. L’armée régulière a été confrontée à de multiples groupes armés se réclamant d’un islamisme radical. Kamel Daoud nous dit qu’il y a eu plus de 200 000 morts pendant cette guerre Toute la famille d’Aube a été assassinée, sa sœur a été égorgée à côté d’elle, et elle n’a survécu à l’égorgement que par la maladresse ou la volonté du tueur qui n’est pas allé jusqu’au bout de son geste. Aube ne comprend pas ce qui lui est arrivé, elle ne comprend pas pourquoi elle est encore en vie . Elle garde une large cicatrice sur tout le cou et une trachéotomie qui la rend muette.
Propriétaire d’un salon de coiffure, célibataire, témoin vivant d’une guerre civile que personne ne veut reconnaître alors que celle contre la France est largement valorisée, elle n’est pas la bienvenue partout. D’autant plus que son salon se trouve en face d’une mosquée où l’imam prêche un islam dans lequel les femmes n’ont pas ou peu de place. Kamel Daoud décrit une société où il ne fait pas bon être une femme. Son personnage, Aube, est enceinte et l’enfant à venir n’aura pas de père. Tout cela est très mal vu. Elle va donc chercher de l’aide auprès d’un gynécologue qui va lui confier trois pilules pour avorter. Mais les prendra-t-elle ? Voudra-t-elle donner la vie à une fille dans la société algérienne telle qu’elle est?
La suite du roman se passe dans une sorte de road-movie avec Aïssa, le chauffeur d’une camionnette d’une librairie qui va livrer des livres dans toute la région. Seuls des exemplaires du Coran et des livres de cuisine sont édités et distribués. Les groupes armés ont fait comprendre au libraire que vendre d’autres livres était très dangereux. Aube et le chauffeur, descendant d’une riche famille d’Oran, vont traverser une bonne partie du pays. Aube se tait mais le chauffeur, rendu à moitié fou par la guerre, raconte l’histoire de sa famille et sa propre histoire
Pour finir et après avoir quitté la camionnette et son chauffeur, Aube rejoint son village natal où une magnifique mosquée a été construite et où un iman règne sur les consciences. Elle va enfin comprendre sa propre histoire, comprendre ce qui s’est passé et pouvoir clore toute la première partie de sa vie.
Roman sombre, dense, Houris raconte une décennie infernale, pendant laquelle la mort pouvait survenir partout et à tout moment. A aucun moment on ne comprend les motivations de ces groupes armés. Kamel Daoud ne donne aucune raison pour ces assassinats.
Pour clore cette guerre, le Président de la République dont Kamel Daoud tait le nom, a signé « La charte pour la paix et la réconciliation nationale » dont il cite l’article 46 en exergue de son roman. Il est interdit de parler de cette décennie dans l’espace public. On comprend aussi que les assassins bénéficient d’avantages sociaux et d’une rente supérieure à celle que les victimes reçoivent. Justice ne leur a donc pas été rendue.
Avec quelques rares pages de calme et de poésie, écrit sous la forme du monologue d’Aube pour sa fille dont elle ne sait pas si elle va lui donner la vie ou non, ce roman courageux et bouleversant est une sorte de journal intime, de confession d’une future maman face à une tragédie dont on se demande comment on peut y survivre et comment une femme pourrait donner la vie après un tel cauchemar. C’est aussi un hommage direct à toutes les victimes de ces années noires, à toutes celles et tous ceux qui ont subi une violence inarrêtable et incompréhensible. A toutes celles et ceux dont on ne parle pas.
Kamel Daoud est né en Algérie le 17 juin 1970. Après avoir été journaliste à Oran, il est devenu écrivain de langue française. Son roman Meursault contre-enquête a été couronné par le Prix Goncourt du premier roman en 2015. Il a été frappé en 2014 d’une fatwa pour avoir critiqué le rapport des musulmans avec leur religion. Houris est son cinquième roman. Il est chroniqueur à l’hebdomadaire Le Point et a publié une chronique en faveur du poète Mahmoud Darwich le 17/08/2024 . Mahmoud Darwich a été présenté dans Wukali le 10 avril 2020 (cliquer)
Houris
Kamel Daoud
éditions Gallimard. 19€99
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