Accueil Livres, Arts, ScènesFilms d'animation & Cinéma L’Opérette sous le soleil de Luis Mariano

L’Opérette sous le soleil de Luis Mariano

par Danielle Pister

Luis Mariano, plus de cinquante ans après sa disparition demeure aimé et célébré par nombre d’amateurs de beau chant lyrique. Avec sa voix chaude, couleur de miel, il a porté l’opérette française à un niveau d’excellence et de respect qui perdure encore et son souvenir est vivace.

Jusqu’au début du XXe siècle, les genres lyriques de l’opéra-comique1 et de l’opérette, reposent sur l’alternance de séquences chantées et parlées, parfois agrémentées d’intermèdes dansés, ces derniers étant souvent empruntés à la tradition viennoise de la valse. Au fil du temps, le développement des contacts avec les pays extra-européens, facilité par les progrès des modes de transport comme par ceux des retransmissions radiophoniques et bientôt télévisuelles, suscita, dans la vieille Europe, un engouement pour les pratiques musicales du Nouveau Monde. La présence de soldats américains, maintenus sur le territoire européen après 1945, renforça ce tropisme. Une soif d’exotisme s’empara des livrets et des partitions des opérettes, dites « à grand spectacle », produites dans le Paris de l’immédiate après-guerre. Ces productions attirèrent un public avide de dépaysement. Désormais, les plaisirs visuel et auditif allaient de pair. 

L’Opérette française de 1944 à 1970

Ces œuvres mêlaient habilement exotisme et tradition française, qu’il s’agisse du chant, des chorégraphies ou des dialogues dans lesquels le rire moqueur le disputait à la sentimentalité. Le tout gardait une tonalité bon enfant, portée par l’exceptionnel charisme vocal de Luis Mariano. Le timbre ensoleillé de ce dernier, sa diction teintée d’un léger accent ibérique, comme son inaltérable sourire, incarnèrent, de la fin des années 1940 à celle des années 60, une joie de vivre enfin recouvrée, après les épreuves de la guerre.

La voix de Luis Mariano, puissante et chaleureuse, dotée d’un timbre reconnaissable entre tous, fit rapidement de ce dernier, une vedette nationale incontournable dans un répertoire qui oscillait entre classicisme léger et chanson populaire. Puisant leurs irrésistibles rythmes tropicaux dans un monde sud-américain réinventé, ces ouvrages imposèrent, sur scène, comme au cinéma et à la radio, des « espagnolades » qui firent de Luis Mariano, à la fois, la vedette préférée d’un public largement féminin et la cible favorite des chansonniers. La voix brillante et chaleureuse de cet artiste, mise en valeur par les partitions concoctées par son compositeur attitré, Francis Lopez (1916-1995), était à elle seule une invitation au voyage vers un monde exotique et chaleureux. 

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Luis Mariano. Ses grands succès

La déferlante anglo-saxonne et ses rythmes syncopés empruntés au Rock’n Roll, devaient avoir bientôt raison de cette éclatante réussite. Mariano avait brillé pendant deux décennies, sur scène, à l’écran et sur les ondes de radio. À sa mort, en 1970, disparut avec lui, un univers musical et théâtral contre lequel une critique narquoise n’avait cessé de s’acharner. Cette dernière dénonçait l’enthousiasme naïf d’un public fasciné par les fastes visuels de spectacles qui reposaient sur les multiples talents de Luis Mariano. Le timbre ensoleillé de sa voix, rehaussé par un accent fleurant bon l’exotisme, en fit l’interprète idéal d’une invitation au voyage pour des pays lointains, encore inaccessibles pour la grande majorité des spectateurs.

Mariano Eusebio González y García, dit Luis Mariano, né le 13 août 1914 à Irun, en Espagne, et mort le 14 juillet 1970, à Paris, a connu, en France et dans les pays francophones et hispanophones limitrophes, une célébrité exceptionnelle. Issu d’une modeste famille, cet artiste ne parla, jusqu’à son adolescence, que la langue basque dont il garda l’accent toute sa vie. Au début de la Seconde Guerre mondiale, le jeune Mariano, alors assigné à un travail obligatoire dans un vignoble, avait pris l’habitude d’accomplir sa tâche en chantant à pleine voix. Il attira ainsi l’attention du propriétaire de ce lieu, grand mélomane par ailleurs, qui l’aida à entrer au Conservatoire de Bordeaux. Mariano y obtint, en 1939, un premier prix de chant et réussit le concours d’entrée dans la classe de chant de cet établissement : depuis son enfance, Mariano avait été initié au chant comme membre des chorales paroissiales qu’il fréquenta avec profit durant son enfance et son adolescence.

Luis Mariano. «Plus je t’entends»

Pour payer ses études au Conservatoire, Mariano se produit en soirée dans un cabaret, pour le plus grand plaisir de son public et de celui du chef d’orchestre du lieu qui salue bientôt sa « voix d’or ». Ce don naturel lui permet, en 1942, de tourner dans un film, aux côtés de Tino Rossi, dans lequel il incarne un jeune chanteur basque. Il se produit également dans un orchestre de tangos avec lequel il enregistrera, avec un très grand succès, son premier disque, en septembre 1942. Déjà formé à l’art du Bel canto italien par un ténor basque dont il avait suivi les cours, Mariano tente alors sa chance à Paris, muni d’une lettre d’introduction de la cantatrice Janine Micheau : celle-ci, après l’avoir auditionné, lui avait aussitôt prédit un grand avenir lyrique.

En 1943, Mariano apparaît dans un film, L’Escalier sans fin, dans lequel il interprète, sous son vrai nom de Mariano González, la chanson Bésame muchoqui obtient aussitôt un très grand succès public. La même année, le directeur de l’Opéra-Comique de Paris l’embauche pour une représentation du Don Pasquale de Donizettiau Palais de Chaillot, à l’occasion ducentenaire de la création de cette œuvre. Mariano parle toujours mal le français et se montre assez mauvais comédien. Mais son séjour à Paris lui permet d’améliorer sa maîtrise du français oral, et il apprend à se tenir en scène sous la houlette de Maurice Escande, futur administrateur de la Comédie française. 

Les représentations de Don Pasquale se poursuivent en province, puis à Paris, où Mariano obtient, en avril 1944, un véritable triomphe auprès du public et des critiques musicaux. Mais, il recule devant l’ascèse vocale rigoureuse auquel un chanteur d’opéra doit se soumettre afin de préserver son agilité vocale et la beauté de son timbre. Il opte alors pour la carrière moins contraignante de la variété.

Désormais, Luis Mariano participe à des émissions radiophoniques et enregistre, outre Bésame mucho, des titres comme Amor, Amor qui, grâce au charisme de sa voix, obtiennent un grand succès auprès d’un vaste public. Désormais le chanteur va s’imposer dans les domaines de la chanson et de l’opérette à grand spectacle dont il devient, très vite, pendant une quinzaine d’années, le maître incontesté.

Luis Mariano. « Le chanteur de Mexico  »

Cette réussite s’explique en partie par la grande complicité qui se noue entre l’interprète, Mariano, et son compositeur attitré, Francis Lopez : les deux hommes partagent le même attachement à leur origine basque et communiquent entre eux dans la langue de leur enfance. L’opérette La Belle de Cadix, inaugure, en décembre 1945, une série de grand succès pour ces deux hommes, à la scène comme à l’écran. Cette réussite repose d’abord sur l’attractivité de la voix du chanteur et sur le plaisir visuel des mises en scène spectaculaires des opérettes concoctées par son compère Francis Lopez. Le nom de Mariano s’impose bientôt à la scène comme à l’écran et envahit les ondes des radios françaises, en Métropole et Outre-mer. Bientôt, des adaptations cinématographiques témoignent de cet engouement : Andalousie (1947)Fandango (1949), Le Chanteur de Mexico (1951)Violettes impériales (1952) ; au théâtre, il triomphe encore dans Le Chevalier du Ciel (1955).  

Luis Mariano. « Mon coeur est un violon »

La Belle de Cadix (1945), son premier grand succès, tint l’affiche pendant plus de cinq ans et le disque tiré de cette opérette, comprenant le titre de Maria Luisa, battit tous les records de vente avec 1 250 000 exemplaires écoulés, au point que son éditeur discographique dût réaménager ses chaînes de production pour satisfaire les demandes, partout en France !

Au cinéma, de 1945 à 1958, Mariano triomphe également avec une vingtaine de films traduits dans de nombreuses langues. Parallèlement, il parcourt le monde pour donner des récitals : États-Unis, Canada, Amérique du Sud. Partout une foule énorme l’attend dès sa descente d’avion ou de bateau. Lorsqu’il arrive en Uruguay, on craint le pire, tellement le mouvement de masse populaire déclenché par son arrivée est important. Sur le port de Montevideo, 60 000 fans font le déplacement pour le voir descendre du transatlantique et 100 000 personnes sont présentes au concert qu’il donne dans la capitale de l’Uruguay. Au Mexique, 160 000 fans l’acclament dans le stade de Mexico. Plus modestement, en 1957 et en 1959, mais avec la même ferveur, Mariano accompagne la caravane du Cirque Pinder sur les routes de France, avant de se produire dans la salle de l’Olympia, à Paris.

Luis Mariano. «Maria Luisa »

Mais les années 1958 – 1960 marquent une forme de déclin dans la carrière de Mariano. La jeune génération des « Yéyés » envahit les ondes et les  écrans de télévision aux dépens des chanteurs de la génération qui les ont précédés. Mariano, cependant, a toujours autant de succès sur les scènes parisiennes qui affichent Le Secret de Marco Polo (1959)Visa pour l’amour (1961), est qualifié de « véritable jouvence pour l’artiste », selon la critique. Suivra encore Le Prince de Madrid (1967).

En 1966, il avait entrepris une tournée triomphale en Roumanie, et  enregistré un disque de chansons espagnoles et un autre de chansons napolitaines. En province, il fait des reprises très remarquées du Chanteur de Mexico et de La Belle de Cadix, pour le vingtième anniversaire de sa création.

Luis Mariano «Santa Maria»

En décembre 1969, il assure la création de La Caravelle d’or au Théâtre du Châtelet, avant d’abandonner son rôle au bout de quelques mois, à la suite d’un malaise sur scène, mis sur le compte d’une hépatite mal soignée. Le 14 juillet 1970, Luis Mariano meurt à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, des suites d’une hémorragie cérébrale. 

Ce grand séducteur sur scène, a eu une vie amoureuse discrète, ce qui a fait d’autant plus jaser sur son orientation sexuelle, puisqu’il ne s’est jamais marié. Mise à part une amourette d’adolescent, on a parlé d’une liaison avec l’actrice de cinéma, Martine Carol, en 1948, et une autre, à partir de 1950, avec sa partenaire attitrée à la scène, Carmen Sevilla avec laquelle les gazettes ont annoncé régulièrement le prochain mariage. Cette partenaire à la scène aurait refusé d’épouser Mariano, pour ne pas devoir sacrifier sa carrière personnelle. Officieusement, elle aurait repoussé cette demande car elle connaissait l’homosexualité du chanteur. Il est sûr, qu’après 1953, on ne connaît plus de femmes dans la vie de Mariano. L’opinion publique de l’époque n’était pas prête à accepter cette orientation, contraire à ce qu’il incarnait sur scène.

Luis Mariano et Carmen Sevilla. «La Belle de Cadix »

L’artiste ne manquait pas d’humour à l’égard de la gente féminine : en 1960,  il avait fait construire une ferme avec vingt hectares de prairie, où il élevait des vaches dont certaines portaient le prénom de ses partenaires de scène et de cinéma. Selon le testament de Luis Mariano, rédigé en 1968, il à légué sa fortune à la famille de son intendant. La création d’un musée à Irun, sa ville natale, serait envisagé.

Quelle place occupe-t-il dans la vie lyrique d’aujourd’hui ? Des chanteurs lyriques comme Maria Callas, Robero AlagnaCecilia Bartoli et Rolando Villazón ont manifesté une grande admiration au ténor pour sa technique du  bel canto et du rubato. Quant aux chanteurs de variété comme Florent Pagny ou Nolwenn Leroy, ils lui ont rendu hommage en 2013, lors du dixième numéro de La fête de la chanson française.

Doit-on regretter la carrière belcantiste abandonnée par Mariano ou doit-on se réjouir que, grâce à lui, un certain public fermé au lyrique ait pu, grâce à son succès populaire, en avoir une petite idée ? Aux auditeurs d’aujourd’hui d’aller écouter les enregistrements toujours disponibles sur internet pour trancher la question.

1. Pour Camille Saint-Saëns, l’opérette était « une fille de l’opéra-comique ayant mal tourné », ajoutant aussitôt, non sans malice, que « les filles qui tournent mal ne sont pas toujours sans agrément ! ».

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