Monet, « Créateur de l’impressionnisme » explore la lumière et la modernité du XIXe siècle, tandis que le Douanier Rousseau, « Au pays des rêves » emmène le visiteur dans un univers poétique et onirique aux Carrières des lumières. Deux voyages artistiques à ne pas manquer !
Dans ce sanctuaire naturel, les anciennes carrières de calcaire se transforment chaque année en théâtres d’exception, offrant des spectacles extraordinaires, fruit d’un savant mariage entre art et technologie.
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En pénétrant ces lieux, il est difficile d’imaginer que ces mêmes pierres ont servi à l’époque de Glanum. Ce calcaire a également contribué à la naissance du village médiéval des Baux-de-Provence et de son célèbre château, témoins millénaires de l’histoire de la région. Puis, à la fin du XIXe siècle, le site a connu une exploitation industrielle. Cependant, avec la concurrence du béton, la pierre est devenue moins rentable et le site est peu à peu tombé dans l’oubli.
Aujourd’hui, le décor, toujours présent, continue d’imprimer sa marque. Si sa minéralité brute peut paraître austère, elle n’en demeure pas moins impressionnante. Même sans couleurs, sans images, sans projections ni musique, il se dégage de ce lieu une atmosphère rare. Il n’est donc pas surprenant que depuis plus de vingt ans, on vienne ici, dans ce lieu hors du commun, pour raconter des histoires, mêlant art et musique.
Interview : Étienne Devic, directeur des Carrières des Lumières
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Photo DL
Vendredi 7 février 2025. Il fait un peu frisquet. Étienne Devic nous propose un café et nous invite à poursuivre l’interview dans son bureau, bien au chaud ! Nous ne sommes pas dépaysés : construit dans la pierre, fidèle aux teintes claires des Carrières, l’espace est à la fois chaleureux et lumineux.
Wukali
Lorsque vous venez travailler sur le site des Carrières, êtes-vous encore impressionné par ce décor « brut » ?
Étienne Devic :
Le luxe que j’ai, c’est de pouvoir dire que je suis presque habitué aux lieux ! Mais chaque matin, quand je prends la voiture pour venir ici, en traversant les oliveraies et en passant devant le Val d’Enfer, je me dis que j’ai beaucoup de chance. Le site est magnifique, les Alpilles, tout l’environnement, c’est une carte postale de Provence que je vois chaque jour. Nous sommes un peu des enfants gâtés ici. Il serait malvenu de dire que je suis blasé et que je ne m’émerveille plus. Certes, je traverse les Carrières plusieurs fois par jour et je n’ai plus tout à fait la même impression qu’au début, car une forme d’habitude s’installe. Mais je prends toujours le temps de m’arrêter et de regarder.
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Wukali
Le site est souvent plein de vie, de couleurs et de musique. Pendant combien de temps reste-t-il silencieux, sans spectacle ?
Étienne Devic
Les Carrières sont ouvertes tous les jours de l’année, sauf pendant une période de maintenance où nous fermons environ trois semaines. Cette année, nous avons prolongé jusqu’au 6 janvier inclus, soit une semaine de plus après les vacances scolaires, et nous avons rouvert le 31 janvier. Nous misons donc sur les prochaines vacances. Dès demain, samedi 8 février, les premiers vacanciers vont arriver. Beaucoup iront à la neige, mais pour cette période, nous aurons surtout un public régional, donc nous restons confiants. Tout le monde ne part pas au ski, et il y a beaucoup à découvrir autour des Baux-de-Provence et des Carrières.
Wukali
En 2025, vous présentez Monet, un an après le 150e anniversaire de l’impressionnisme. Cette proximité a-t-elle influencé votre choix ?
Rappelons que la première exposition impressionniste a eu lieu à Paris en 1874, et que c’est Impression, soleil levant de Monet qui a donné son nom au mouvement.
Etienne Devic
Nous n’avons effectivement pas coïncidé avec l’anniversaire, puisque c’était l’an dernier, mais nous restons dans la dynamique du 150e anniversaire. On prolonge la fête, en quelque sorte. L’an passé, nous avions une programmation très différente, avec L’Égypte des Pharaons, un spectacle très novateur que nous tenions à présenter, même si cela signifiait repousser Monet.
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Wukali
Monet dans le spectacle long, Rousseau dans le court, cela fonctionne bien. Rousseau, bien que contemporain des impressionnistes, est plutôt rattaché à l’art naïf et au primitivisme moderne.
Etienne Devic
Il y avait une vraie légitimité à les présenter ensemble, puisqu’ils sont de la même époque. Toutefois, leurs styles sont très différents. En termes d’animations et de choix artistiques, cela a demandé de vraies décisions. L’animation change beaucoup d’une exposition à l’autre. Celle sur Monet est beaucoup plus contemplative, avec un format plus long, tandis que l’exposition sur le Douanier Rousseau est plus courte et permet davantage de jeux dans les animations. Sa peinture, plus précise et stylisée, offre une dynamique et des contrastes qu’on ne retrouve pas forcément chez Monet, où la touche impressionniste, plus floue, est plus difficile à animer. Techniquement, c’est plus complexe de travailler sur Monet, alors que pour le Douanier Rousseau, on peut jouer avec les formes, se faufiler dans la jungle…
Wukali
Vous avez l’habitude de présenter de grands noms de la peinture. Il est aussi intéressant d’associer dans une programmation des artistes très connus à ceux qui sont moins connus du grand public.
Etienne Devic
C’est vrai que pour nous, en termes de programmation, c’est toujours un pari. Choisir une figure moins emblématique comporte davantage de risques. Lorsque nous avons présenté des artistes moins célèbres, les gens ont heureusement fait preuve de curiosité et ont été ravis de découvrir. À condition que l’histoire que l’on raconte soit solide et bien étayée, le public suit. Nous avons un public très fidèle qui revient chaque année, car il sait qu’il découvrira toujours de nouveaux spectacles, très différents à chaque fois.
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Wukali
Les contraintes restent-elles les mêmes d’un spectacle à l’autre, ou chaque projet apporte-t-il ses propres défis ?
Etienne Devic
Il y a des contraintes communes à chaque spectacle, comme par exemple les contraintes chromatiques. Il y a des tons qui sont parfois plus difficiles à restituer et on essaie de se rapprocher au plus près de l’œuvre originelle. Il y a également les contraintes techniques. Je me souviens du bleu pour l’exposition Yves Klein. Il y a eu tout un débat pour savoir comment s’approcher de cette couleur. On ne mesure pas toujours la complexité des paramètres techniques. On travaille d’abord sur des écrans, mais sur le site, c’est une autre réalité. Nous faisons plusieurs séquences de tests et des ajustements en situation, en soirée, lorsque le site est fermé. On s’aperçoit parfois que des mouvements trop rapides ou trop lents doivent être modifiés, et il faut toujours adapter les paramètres pour obtenir le bon résultat.
Wukali
Vous ouvrez Monet, et le spectacle 2026 est déjà en préparation !
Etienne Devic
Oui, en effet. Cela demande environ un an de préparation, le temps de sélectionner les médias, traiter les droits, et obtenir les validations. Parfois, des questions très précises se posent sur ce qui peut être montré ou la manière de le présenter. Selon les exigences des ayants droit, cela peut prendre plus ou moins de temps avant que l’on puisse avancer comme prévu. De plus, la programmation doit être validée par la commune.
Wukali
On connaît bien Virginie Martin, qui a conçu et supervisé de nombreux spectacles immersifs. Pourriez-vous nous présenter Nicolas Charlin, que le public ne connaît pas encore ?
Etienne Devic
Nicolas Charlin a débuté ici, aux Carrières de Lumières, en tant que technicien audiovisuel. Il a saisi l’opportunité de rejoindre Culturespaces studio à Paris, notre entité qui gère la programmation des expositions numériques immersives. Après trois ans en tant que chargé de production, il a choisi de se lancer en indépendant, et nous l’avons recruté en freelance pour la direction artistique. Il connaissait bien le site, notre fonctionnement, et, étant très créatif, il a pris en charge le spectacle long. Virginie Martin, elle, se concentrait sur l’exposition plus courte. Ce n’est pas forcément moins de travail, mais l’exposition courte peut être définie plus rapidement. Nous avons élargi notre spectre en direction artistique, et la création a été confiée à une équipe différente, apportant un regard neuf.
Wukali
Les Carrières ont attiré 760 000 visiteurs en 2024 ! Est-ce un nouveau record ?
Etienne Devic
Oui, on atteint à nouveau le record de « Van Gogh » en 2019, juste avant le Covid. L’exposition « L’Égypte des Pharaons » a également très bien fonctionné, surtout qu’elle sortait du cadre de la peinture à proprement parler, en abordant l’histoire d’une civilisation, ce qui a permis d’élargir notre public. Côté peinture, le public avait particulièrement aimé « Les Orientalistes », le spectacle court de Virginie Martin, qui aurait mérité d’être traité en format long tant il présentait de richesses et offrait de grands moments d’évasion.
Pour Monet, nous restons confiants. La sélection s’est faite sur environ trois cents œuvres de l’artiste. Cette année, comme l’année dernière, nous avons installé des panneaux pédagogiques, un en bas, dans le couloir vers le Café des Lumières, et un autre en haut, sur la mezzanine. Nous projetons sur grand écran les œuvres présentées sur les murs des carrières, avec leur contexte historique, la date, le format et quelques commentaires.
Ces informations complètent celles des totems présentés à l’extérieur, à l’entrée du site, et vers le Café des Lumières.
Impressions
CLAUDE MONET
Direction artistique : Nicolas Charlin / Mise en scène et animation : Cutback / Supervision musicale et mixage : Start-Rec / Production : Culturespaces Studio®
Elle est là, sur les murs des carrières, Impression, soleil levant, 1872, la toile qui a donné son nom au mouvement. Heureusement que nous savons apprécier l’esthétique du flou, car il est parfois difficile de reconnaître le sujet sur cette œuvre et bien d’autres, tant elles sont plongées dans les brumes et les reflets. Les détails s’effacent, les lignes d’horizon disparaissent et les zooms brouillent la touche. Pourtant, ces jeux de reflets entre le ciel et l’eau sont splendides.
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Quelle réussite encore, cette séquence vue depuis la mezzanine, où l’on voit l’eau entrer et se retirer sur le sol devenu plage, une évocation superbe des paysages normands, où les falaises résonnent avec la roche des carrières. On découvre de savantes conjugaisons entre nuages et vapeur, et l’on aime l’arrivée du train, qui nous ramène à la magnifique série que Monet a consacrée à la gare Saint-Lazare.
Bien sûr, on quitte parfois le flou pour explorer des paysages plus précis, mais on y revient toujours avec Monet. On nous invite dans sa maison de Giverny, en Normandie, et dans le jardin qu’il a créé, une œuvre en soi. Pont japonais, saules pleureurs, parterres de fleurs, et bien sûr, ses Nymphéas. Ces toiles immersives se prêtent parfaitement à un spectacle « immersif », avec des fleurs qui s’ouvrent et se ferment sur les murs, comme elles le faisaient dans ses bassins. Tout repère a disparu, et le paysage est devenu aquatique. Pour accompagner ce spectacle, une seule œuvre impressionniste figure dans la playlist : Daphnis et Chloé de Ravel (Cliquer). Mais peu importe, car des artistes comme Nils Frahm (Cliquer) ou Johann Johannsson (Cliquer) ont su créer des atmosphères proches de l’impressionnisme, avec des jeux subtils sur les textures sonores et des ambiances envoûtantes. On découvre aussi d’autres univers musicaux : des morceaux de jazz, de pop rock, et même de musique minimaliste. Tout reste fluide, tout nous emporte.
DOUANIER ROUSSEAU
Direction artistique : Virginie Martin / Conception et réalisation : Cutback / Supervision musicale et mixage : Start-Rec / Production : Culturespaces Studio®
On a du mal à imaginer qu’Henri Rousseau n’a jamais voyagé. Pourtant, malgré son inspiration puisée au Jardin des Plantes de Paris, il donne l’impression d’avoir exploré des contrées lointaines. Cette sensation prend vie sur les murs des Carrières, où l’on se retrouve plongé dans une jungle luxuriante, entourés d’animaux.
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Si ses contemporains se moquaient de ses œuvres, les artistes d’avant-garde, eux, l’admiraient : Picasso, Kandinsky, Delaunay, Apollinaire. Aujourd’hui, sur ces mêmes murs, il nous séduit plus que jamais. Nous le redécouvrons à travers ses couleurs éclatantes et ses perspectives décalées, dans un style singulier et naïf qui annonce les prémices de l’art moderne, libéré des conventions académiques. Sur toutes les parois, des gueules s’ouvrent, des yeux brillent dans l’obscurité, et sa faune luxuriante s’anime. L’une de ses œuvres les plus énigmatiques attire particulièrement notre attention. Dans Le Rêve, une jeune femme est allongée nue sur un sofa – et avouons-le, c’est tout de même plus confortable ! Il s’agit de Yadwigha, une Polonaise, avec qui Rousseau entretenait une relation platonique. Dans les feuillages, un musicien se cache, tandis que des animaux aux yeux grands ouverts peuplent la scène. Ce tableau ouvre un débat, d’autant que le Douanier Rousseau laisse un poème, une piste, et que Freud commence, à cette époque, ses recherches sur le rêve.
Yadwigha, dans un beau rêve,
S’étant endormie doucement,
Entendait les sons d’une musette,
Dont jouait un charmeur bien-pensant.
Ce qui frappe chez Rousseau, surnommé le douanier ainsi en raison de son métier, c’est sa capacité à mêler le quotidien et le rêve. Virginie a penché davantage du côté du rêve, nous entrainant dans un voyage imaginaire superbe. Quelques mots sur la playlist, qui capture si bien son univers pictural. Déjà « Dream » de The Pied Pipers, (Cliquer) parfait pour évoquer le côté onirique et naïf des œuvres. « Maried Life » de Michael Giacchino (Cliquer) partage aussi des notes tendres dans un climat d’innocence. Pour « Le carnaval des animaux », le lien sera également vite établi- on est complètement dans l’atmosphère de jungle mystérieuse. « Inhabited Isle » d’Eric Darken (Cliquer )évoque parfaitement ces paysages exotiques. Tout dans cette playlist colle aux séquences.
« Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand je pénètre dans ces serres et que je vois ces plantes étranges des pays exotiques, il me semble que j’entre dans un rêve. » – le Douanier Rousseau –
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