Nous avons été nous-mêmes sens dessus dessous en découvrant André Dussollier dans la pièce du même nom, Sens dessus dessous, ce mercredi 26 février. Ce spectacle est bien plus qu’un clin d’œil à Raymond Devos, ce grand auteur comique génial. On peut lire les sketches de Devos et en rire, mais les voir joués avec un tel talent est jubilatoire.
Il n’était pas le seul auteur à entrer en scène, invités par un Dussollier d’autres grands auteurs se préparent
La soirée débute avec Sacha Guitry : « Un soir quand on est seul », le premier chef-d’œuvre mis en scène. Le décor mouvant et changeant fait se superposer les images du passé et du présent, nous entraînant dans des lieux emblématiques de la capitale. Puis, nous entrons dans l’appartement de cet homme heureux de se retrouver seul – enfin, presque seul, car nous sommes là, témoins amusés de ses réflexions teintées d’humour et d’ironie sur la solitude. « Quand on les lit, quand on les vit, ils prennent tout leur relief, ils acquièrent toute leur ampleur », annonçait André Dussollier pour parler des textes choisis.

Et nous allions vite en mesurer la portée ! André Dussollier prête sa voix à un florilège d’auteurs, d’écrivains et de poètes français qui l’accompagnent depuis toujours. Il a choisi les mots des autres pour nous parler de son amour des belles lettres, qu’il interprète avec une finesse inégalée. Parfois, il faut tendre l’oreille : les mots fusent, l’énergie l’emporte. On est entrainé dans cette valse de textes, où même la mort parfois se fait espiègle.
Qui se souvient de « Le Crapaud » de Victor Hugo ? Ce texte nous a touchés en plein cœur. Comment ne pas être subjugué par la poésie de Hugo, qui, dans cet extrait de « La Légende des siècles », nous raconte l’histoire d’un animal misérable, victime de la cruauté humaine, mais qui sera sauvé par la bonté d’un âne ? Ce texte est une merveille. On n’a qu’une envie : le relire, revivre cette œuvre profondément émouvante, qui illustre parfaitement l’humanisme et la compassion de son auteur – et, par ricochet, ceux d’André Dussollier, qui met toute son âme à incarner ces mots. »
On rit aussi, beaucoup. Le Poème du vicaire d’André Frédérique, peut-être pas le sommet de la soirée, nous amuse néanmoins par son originalité fantaisiste et décalée, où se mêle un humour noir savoureux. On passe du rire aux larmes lorsque les images nous conduisent sur une grève mouvante, évoquant le danger des sables mouvants sur les côtes de la Manche. Que peut l’homme face à la force de la nature ? nous dit Victor Hugo, et quel « documentaire saisissant » nous livre ici André Dussollier, que l’on voit se noyer sous nos yeux médusés.
Il est aussi question de « guerres… et ce qui s’en suit », avec Louis Aragon, et d’une vision désenchantée du monde contemporain à travers les mots de Michel Houellebecq. Puis, le rire revient – un peu jaune cette fois – avec Les Présidents de Paul Fournel. Quelle superbe mise en scène pour évoquer les figures du pouvoir ! Présentés sur de grandes cartes à jouer, nous les reconnaissons tous, mandat après mandat, ils sont là. Et les mots nous révèlent quelques contradictions – pour ne pas dire absurdités – qui nous font rire de bon cœur… du moins ici, sur la scène du théâtre !
Comment ne pas parler et conclure avec « le mot », extrait de « Toute la lyre », de Victor Hugo. Il est bien question de cela, ce soir, de la puissance du langage, de la puissance des mots, qui éclairent, émeuvent, inspirent et bouleversent tout ! Oui, le texte « le mot » est bien choisi pour se quitter, alors que nous buvons ceux de l’acteur depuis plus d’une heure, avec gourmandise, jusqu’au dernier ? En prose comme en vers, les textes s’enchevêtrent, mêlant les époques et les styles. Ils nous ont entrainés dans un tourbillon littéraire.
«On les ressuscite si rarement », dit encore André Dussollier dans sa note d’intention. « Ils appartiennent à tous les gens, à toutes les époques. »
Et nous voudrions lui répondre, à cet homme capable de naviguer entre gravité et malice, avec une touche de candeur que, si nous aimons passionnément ses mots, nous aimons aussi ses silences. Cela peut sembler étrange à dire, mais lorsqu’il joue et que, soudain, il se tait, nous regarde avec sérieux et malice, puis nous sourit, complice, c’est aussi pour mieux partager des sentiments et des émotions. Ces silences suspendent le temps et racontent bien davantage encore qu’un long dialogue. L’acteur sait donner du poids à l’absence de mots, et laisser place à l’émotion pure…
Le bonheur est dans ce voyage « Sens dessus dessous » entre poésie et littérature.
Et avec quelques pas de danse, qui nous rappellent sa merveilleuse prestation dans Novecento en 2015 à Marseille, André Dussollier tire sa révérence dans cette pirouette finale !
Merci pour ces trésors offerts sur scène. Des trésors partagés toute la semaine avec le public du Théâtre du Jeu de Paume… à guichets fermés. (du 25 février au 1er mars).
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