Il était complet, ce concert du 28 février donné au Grand Théâtre de Provence. Il faut dire que Renaud Capuçon est toujours très attendu à Aix. Il est un peu sur ses terres, lui qui vit à Paris mais voyage partout dans le monde avec son compagnon de vie, son magnifique instrument, un Guarnerius de 1737 (300 ans !) qui a appartenu à Isaac Stern. Il le disait récemment : « Je suis aussi marié avec mon violon ! «
Très bientôt le Festival de Pâques !
En avant bouche à ce festival ( Cliquer) un programme joué ce vendredi 28 février où il nous a proposé trois œuvres de la fin du XIXe siècle : le mouvement unique du Quatuor avec piano de Mahler, le Quatuor de Gabriel Fauré et le Quatuor de Richard Strauss.
Pour partager ce moment au cœur du romantisme, il a réuni autour de lui un trio de jeunes solistes, des fidèles partenaires depuis quelques années : Paul Zientara, Julia Hagen et Guillaume Bellom. Le violoniste nous le rappelle souvent : lui-même a eu la chance d’être guidé par des mentors comme Martha Argerich – il ouvrira d’ailleurs avec cette pianiste exceptionnelle le Festival de Pâques le 11 avril au GTP. Il a aussi eu la confiance de Claudio Abbado, légendaire chef d’orchestre italien, ou encore le grand Daniel Barenboïm…On se souvient de nombreux concerts qui réunissaient déjà ces jeunes musiciens autour de Renaud Capuçon ; des cartes blanches notamment mémorables, dont une, le vendredi 16 août 2024, au Festival de La Roque d’Anthéron, une Nuit de piano Fauré, avec, entre autres, Guillaume Bellom et Paul Zientara. On avait déjà apprécié la belle rondeur de l’alto de Paul Zientara, son timbre chaud, sa puissance sonore, sa liberté de jeu. On était encore touché par la sensibilité musicale profonde et la finesse de toucher de Guillaume Bellom au piano. Julia Hagen, a, elle aussi, marqué les esprits, notamment lors de la Clôture de la 11è édition du Festival de Pâques 2024, avec Paul Zientara, et bien sûr Renaud Capuçon. De toute évidence, c’est l’une des plus prometteuses violoncellistes de sa génération.
Force est de reconnaître que lorsque ces jeunes musiciens jouent aux côtés de Renaud, l’âge est oublié : tout le monde est sur un même pied d’égalité, au service de la musique.
Gustav Mahler. Quatuor avec piano en la mineur. La valeur n’attend pas le nombre des années, et c’est tellement vrai ! Gustav Mahler n’avait que 16 ans quand il a composé cette œuvre (datée de 1876). Elle est assez peu jouée, comparée à d’autres œuvres de Mahler, mais elle porte déjà l’empreinte de son lyrisme si particulier. Raison de plus pour apprécier comme il se doit cette interprétation remarquable. Le début nous plonge dans une mélodie mélancolique, introspective. Le piano et les cordes semblent se chercher, hésitent, jusqu’à ce que le violon dévoile son chant empreint de nostalgie. Des phrases amples, une belle expressivité, à savourer, comme ce dialogue entre le violon et le piano, particulièrement marquant, qui nous fait dire que oui, ces deux musiciens se connaissent très bien. Le thème romantique nous accompagne tout du long, sous différentes formes, toutes aussi belles les unes que les autres. Notamment dans l’Adagio/Agitato, où le piano semble lutter avec les cordes. Entre gravité et dialogue apaisé, les musiciens montrent une compréhension profonde du style de Mahler. Leur cohésion d’ensemble est un vrai plaisir à l’oreille. C’est justement cette cohésion qui met en valeur les subtilités de cette œuvre sensible, qui nous permet de tout entendre, et où chaque instrument conserve sa voix propre tout en participant au dialogue d’ensemble. Cette singularité même et cette fusion, c ’est l’essence même de la musique de chambre.
Ainsi pour Gabriel Fauré, Quatuor pour piano et cordes n°2. Les quatre musiciens nous emmènent dans un merveilleux jardin fauréen. C’est une œuvre qui semble plus exigeante que celle de Mahler, avec de nombreux défis pour les interprètes. Guillaume Bellom a cette capacité à jouer avec légèreté, sans jamais perdre la clarté de son discours. Les cordes restent expressives sans se laisser couvrir par le piano qui offre de nombreux passages virtuoses. Les mouvements rapides nous ravissent. Aucune raideur dans cette interprétation de ce quatuor : elle est fluide malgré des modulations parfois déroutantes et des séquences qui peuvent paraître plus hermétiques. Il faut changer son écoute, switcher en quelque sorte, pour entrer dans un monde d’intériorité profonde, presque contemplative. C’est un peu déroutant, mais ce programme est fascinant, justement par ces contrastes et par ce qu’il révèle de la diversité des univers musicaux qui coexistaient à la même époque.
Voici le Quatuor pour piano et cordes de Richard Strauss, Renaud Capuçon a ce talent de mettre en lumière des œuvres moins connues du répertoire, et celle-ci en fait partie.
Encore une œuvre de jeunesse : Strauss avait une vingtaine d’années. Particulièrement dense et exigeante, elle mérite d’être redécouverte. D’emblée, on est séduit par l’écriture pianistique, déjà très virtuose. Elle pourrait facilement éclipser les cordes, si les interprètes ne trouvaient pas le juste équilibre. Mais ici, les musiciens portent merveilleusement leur son, avec une belle présence, sans jamais tomber dans la surenchère sonore. Cohésion, alchimie, complicité : autant d’éléments qui exigent une écoute attentive pour conserver la fluidité du discours. Et pourtant, dans cette partition foisonnante, on pourrait se perdre. C’était sans compter sur la coordination sans faille des musiciens. On y revient toujours !
À l’issue de ce quatuor, une évidence s’impose : la beauté du son de Capuçon est parfaitement adaptée au lyrisme de Strauss. Le violoniste est partout en ce moment, sur scène et dans les médias. Il vient de sortir un album chez Deutsche Grammophon justement consacré à Richard Strauss. Si ce compositeur est moins joué par les violonistes solistes que d’autres de sa génération, on peut se demander pourquoi. Peut-être parce qu’il est avant tout reconnu pour ses poèmes symphoniques ou encore ses œuvres orchestrales ? Toujours est-il que Renaud Capuçon l’a fait ! Dans cet album, il révèle plusieurs joyaux méconnus de Strauss, dont le Concerto pour violon en ré mineur op. 13, composé par un Richard Strauss alors âgé de 17 ans. Une œuvre de jeunesse qui se révèle être un véritable chef-d’œuvre. Aux côtés de cette pièce, on retrouve des œuvres de maturité magnifiques, comme Une vie de héros ou encore Métamorphoses.
WUKALI est un magazine d’art et de culture gratuit et librement accessible sur internet
Vous pouvez vous y connecter quand vous le voulez…
Pour relayer sur les réseaux sociaux, voir leurs icônes en haut ou en contrebas de cette page
Contact ➽ : redaction@wukali.com
Illustration de l’entête: Renauld Capuçon, ©photo Simon Fowler