Les fées semblaient s’être penchées sur le berceau de la jeune Mado Robin tant le timbre de sa voix séduisait par sa fragilité, soutenu qu’il était cependant par un souffle qu’aucune limite humaine ne semblait devoir épuiser. Telle l’héroïne d’un conte pour enfants, elle était née, le 29 décembre 1918, dans un château, acquis par ses parents peu avant sa naissance, à Yzeures-sur-Creuse, un des plus anciens villages de la Touraine où elle passa ses jeunes années. Rien ne destinait Mado Robin à une carrière lyrique mais, très tôt, la jeune fille baigna, avec ses deux sœurs, dans un environnement musical et, à 13 ans, elle manifeste des disponibilités vocales qui l’incitent à suivre des cours de chant.
On a peu de détails sur sa formation musicale, si ce n’est le nom de l’un de ses professeurs de chant, Mario Podesta (1892-1976), tantôt présenté comme un ténor, tantôt comme un baryton. Né en Algérie, il s’était produit à l’Opéra de Paris. Il ne reste que peu de témoignages sonores de ses prestations, mais on connaît les noms de quelques chanteurs de qualité qu’il a formés, une fois retiré de la scène. Parmi ceux-ci figure celui de Georges Thill, dont on sait quel parfait styliste il a été tout au long de sa carrière. Rien d’étonnant si cette même probité se retrouve chez Mado Robin.
Mario Podesta semble avoir développé, chez son élève, l’étonnante capacité, chez cette dernière, pour atteindre, sans effort apparent et avec la plus grande justesse, un contre-contre-ré, qui reste encore aujourd’hui un authentique exploit, resté inégalé dans l’histoire du chant lyrique. D’autres sopranos – parmi lesquelles on peut citer le nom de la soprano allemande Erna Sack (1897 – 1972) – ont pu atteindre cette note, mais aucune de ces cantatrices ne pouvait la tenir ou la moduler bien longtemps. Jamais ce son émis par Mado Robin ne donne l’impression d’être obtenu « à l’arrachée ». Au contraire, son émission vocale est souple et son volume sonore va s’amplifiant de la façon la plus naturelle qui soit. Elle atteignait le contre-contre-ré (6e octave du piano), sans effort apparent. Le talent de la cantatrice ne se résume cependant pas à ces stupéfiantes performances et à des envolées stratosphériques de la cantatrice qui attirèrent, dès 1951, l’intérêt des plus grands laryngologistes de l’époque.
En 1937, Mado Robin avait remporté le Premier prix d’un concours de chant organisé par l’Opéra de Paris, mais ce n’est qu’en octobre 1942 qu’elle fit des premiers pas remarqués sur la scène de la salle Gaveau. La firme de disques Pathé-Marconi signe aussitôt un contrat avec elle. Le 17 décembre 1944, Mado Robin chante le rôle de Gilda du Rigoletto de Verdi, dans la grande salle du Palais de Chaillot, le Palais Garnier n’ayant pas encore rouvert. Deux mois plus tard, c’est sur cette scène officielle que la chanteuse reprend ce rôle, avant d’aborder celui de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée de Mozart. Désormais, théâtres et salles de concert s’ouvrent devant la cantatrice. Malgré ces succès, elle ne se départit jamais d’une grande simplicité face à son public et répond volontiers aux demandes de bis d’un public jamais rassasié.
La soprano se produit également à l’Opéra-Comique où elle triomphe dans Lakmé. L’héroïne de Léo Delibes devient rapidement le rôle fétiche de cette soprano colorature exceptionnelle : elle l’incarnera près de cent cinquante fois au cours de sa carrière et l’enregistrera, pour la firme DECCA. Cette intégrale demeure, encore aujourd’hui, la référence indiscutable pour le rôle-titre.
Cependant, Mado Robin ne s’est pas enfermée dans un répertoire classique. Elle s’est aussi intéressée à un répertoire grand public et a enregistré un récital de chansons 1900, comme elle a gravé des œuvres contemporaines, musicalement exigeantes. C’est ainsi qu’elle crée, en 1951, à l’Opéra de Monte-Carlo, un ouvrage assez loin des attentes de son public habituel : Le Rossignol d’Igor Stravinski. Le texte étant en russe, elle apprend cette langue pour l’occasion, ce qui lui permettra de s’exprimer, plus tard, dans cette langue, lors d’une tournée en URSS. Ce n’était pas une destination courante, dans ces années 1950, pour les artistes du « monde libre ». Pendant ce séjour de vingt jours, elle donne treize concerts et chante l’opéra de Rigoletto de Giuseppe Verdi, dans la langue de Tolstoï.
Outre ces tournées à l’étranger et dans les départements d’Outre-mer de la France, elle se rend, pendant l’été, dans des lieux de villégiatures en métropole. Très présente sur les ondes de la radio française, dès les années 1950, elle est aussi une invitée régulière des studios de la radio et de la télévision nationale alors ouverte à toutes les formes de distractions. Elle devient ainsi la soprano lyrique française la plus connue de France.
Mado Robin avait triomphé, en 1954, dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville de Rossini, lors de représentations exceptionnelles à l’opéra de Marseille, avec le jeune Roberto Benzi qui dirige son premier ouvrage lyrique avec les vedettes françaises de l’époque : Michel Dens (Figaro), Michel Sénéchal (le Comte Almaviva), Raymond Armond (Bartholo), André-Hughes Santana (Basile). Elle fait également de nombreuses tournées lointaines à l’étranger : la même année, en 1959, elle se rend aux États-Unis (notamment à San Francisco et à Los Angeles) et en Union soviétique. Dans cette dernière, elle chante Lucia di Lammermoor de Donizetti et donne treize concerts, en vingt jours. Elle interprète Rigoletto de Verdi en langue russe. Par ailleurs, Mado Robin ne dédaigne pas de chanter dans les fêtes populaires que la France organise à la belle saison en province et ses départements d’Outre-mer, sans parler de récitals au profit d’œuvres sociales ou, pendant la Seconde Guerre mondiale, au profit des prisonniers de guerre.
Elle avait appris la maladie qui devait bientôt l’emporter, en juin 1960, alors qu’elle enregistrait, pour EMI, un disque en français, d’extraits de la Traviata. Elle était arrivée en larmes au studio, alors qu’elle venait de prendre connaissance des résultats médicaux et le baryton Michel Dens, son partenaire, l’avait prise dans ses bras pour tenter de la réconforter. Son interprétation du rôle de Violetta, disant adieu à la vie, n’en est que plus poignante. Paris avait prévu, à l’automne 1960, de monter un spectacle de gala pour fêter la 1500ème représentation de Lakmé à l’Opéra-Comique, avec Mado Robin dans le rôle-titre. Cette dernière, très malade, avait tenu à assumer ses engagements pendant l’été, alors qu’il fallait, avant le lever du rideau, la porter sur la scène où elle chantait assise. Elle devait reprendre ce spectacle à Paris à l’automne, mais elle s’éteint le 10 décembre 1960, victime du cancer contre lequel elle avait vainement lutté.
L’aisance vocale de la soliste, jamais prise en défaut, surprenait d’autant plus son public que sa voix sonnait de façon presque enfantine dans le medium, mais gagnait en vigueur et en puissance, au fur et à mesure qu’elle se déployait dans le registre aigu, sans que jamais le timbre ne sonne de façon métallique ou trahisse le moindre effort. Quand Mado Robin donnait, en été, des récitals en plein air, l’auditeur qui regardait les étoiles en l’écoutant, pouvait se sentir transporté parmi elles. Le disque, hélas, ne peut reproduire l’impact physique ressenti en direct par ce chant littéralement « extra – ordinaire ».
Mado Robin avait brillé, auparavant, dans la Rosine du Barbier de Séville de Rossini, car dans les années 1950, ce rôle était confié à une soprano colorature et non pas à une mezzo-soprano d’agilita comme le prévoit la partition originale de l’œuvre. Elle excellait dans les rôles de pure agilité vocale comme celui de l’Olympia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach ou celui de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée de Mozart. Mais la soprano a assumé des emplois plus tragiques, comme celui de l’héroïne de Lucia di Lammermoor dans l’œuvre éponyme de Donizetti, ou la Gilda du Rigoletto de Verdi. Avec le rôle de Lakmé, ce sont les six personnages-clefs du répertoire avec lesquels la soprano colorature a triomphé sur toutes les scènes de la France et de ses colonies. Son chant « extra-ordinaire » faisait oublier l’absence d’un jeu scénique qui passait après la nécessaire maîtrise du souffle et celle de la qualité du son émission. L’époque n’imposait pas aux chanteurs lyriques d’être de grands acteurs : la puissance et l’expressivité de la voix compensait l’absence du jeu scénique.
Bientôt les États-Unis, toujours à l’affût d’événements spectaculaires, s’intéressent à cette cantatrice hors norme. Sa réputation semble gagner la planète lyrique tout entière puisque l’Union soviétique, encore peu ouverte sur le monde capitaliste, l’invite à se produire en Russie où elle donne treize récitals en vingt jours, y compris en langue russe qu’elle a pris la peine d’apprendre. En France, la télévision et la radio l’invitent souvent pour parler de son métier, ce qu’elle fait avec intelligence et un engagement communicatif. Les ventes de ses disques surpassent, en France à cette date, celles des disques de la Callas.
Cet investissement scénique et discographique permettait, peut-être, à l’artiste lyrique qu’elle était de surmonter les drames privés qui ne l’ont pas épargnée : mariée à 17 ans, elle avait bientôt perdu son mari, décédé dans un accident d’automobile, la laissant seule avec une enfant autiste. À croire que les dieux de la musique, jaloux de l’éclat lumineux de sa voix, avaient voulu se venger d’elle pour leur avoir fait de l’ombre par l’étendue exceptionnelle de sa tessiture.
Tombée gravement malade, elle tint à assumer ses engagements pour les récitals qu’organisait une stations de cure dans sa région natale, à l’été 1960. Elle fit preuve d’un courage peu commun puisqu’il fallait, avant le lever du rideau, la transporter sur scène où elle chantait assise, car elle ne pouvait plus se tenir debout.
L’Opéra de Paris avait prévu, pour la 1500e de Lakmé, à l’automne 1960, de la programmer dans son rôle fétiche. Ce fut le décès de la cantatrice qui fut annoncé lors de la première assumée par Mady Mesplé.
WUKALI est un magazine d’art et de culture gratuit et librement accessible sur internet
Vous pouvez vous y connecter quand vous le voulez…
Pour relayer sur les réseaux sociaux, voir leurs icônes en haut ou en contrebas de cette page
Contact ➽ : redaction@wukali.com