Accueil Livres, Arts, ScènesExpositions & Histoire de l'art Le charmant musée du Palazzo Maffei à Vérone

Le charmant musée du Palazzo Maffei à Vérone

par Philippe Poivret

Vérone : c’est, bien sûr, la ville de Roméo et Juliette. C’est la ville où Juliette avait sa maison avec un balcon sous lequel Romeo venait lui parler. Une statue en bronze la représente debout au fond de la cour et les touristes qui envahissent tout cet espace ne manquent pas de toucher son sein droit, ce qui est censé porter bonheur en amour… Mais tout est faux, tout a été reconstitué au début du vingtième siècle ! Peu importe, il faut aussi pouvoir rêver. Laissons là les rêveurs, doux ou pas, pour aller découvrir un autre endroit qui deviendra bientôt tout aussi célèbre que La Casa Di Juliette. 

Pas très loin de cette maison mais de l’autre côté de la rue, il faut traverser la magnifique Place aux Herbes pour découvrir un musée qui a ouvert le 14 février 2020. L’ouverture d’un musée est toujours un évènement important mais celui là mérite le détour par son originalité, par l’importance des pièces présentées et surtout par une volonté de dialogue entre l’art contemporain et celui des siècles passés. C’est une collection privée, celle de Luigi Carlon, qui remplit les deux étages du Palazzo Maffei, magnifiquement restauré avec ses dix-huit pièces qui servent d’écrin aux œuvres présentées dans une riche et judicieuse scénographie. 

La visite commence dès que l’on quitte la Place aux Herbes et que l’on franchit le seuil du palais.  On découvre dans la cour – où il y a aussi à un excellent restaurant- une installation de Claire Fontaine, collectif d’artistes qui s’inspirent du Ready Made de Marcel Duchamp et dont le nom vient d’une célèbre marque française de cahier. Une phrase écrite en néon rose surplombe une statue d’Alessandro Puttinati (Vérone 1801- Milan 1872) intitulée La Bagnante, représentant une jeune femme en train de se dénuder avant de plonger dans la mer. Le visiteur se retrouve d’emblée projeté dans le dialogue entre l’art contemporain et l’art classique. La confrontation de ces deux œuvres amène à se poser la question de la beauté du corps de la femme en tant que forme toute prête et consommable de suite. L’effet est réussi, le regard passe d’une œuvre à l’autre, sensible à une esthétique choisie mais non dénuée de sens d’autant plus que la statue est protégée par un grillage qui empêche de la toucher… 

Il faut ensuite monter au premier étage par un superbe escalier en colimaçon pour arriver à l’entrée du musée. Les dix-huit pièces sont petites, elles sont toutes à la suite l’une de l’autre. Ce sont les pièces de deux appartements sur deux étages. Elles donnent l’illusion de visiter une demeure particulière et permettent aux visiteurs de regarder les œuvres de près sans jamais se lasser d’une surabondance de chef d’œuvres. Les six cents pièces présentées ne saturent jamais l’espace du palais ni l’esprit du spectateur. 

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L’art de Vérone remplit, comme il se doit, les premières salles. On peut y voir un triptyque du deuxième maître de San Zeno (1320-1360) – San Zeno est la basilique de Vérone- représentant une crucifixion avec une croix sur un fond uni d’or qui souligne la solitude de la scène.

à g. Luico Fontana, Concetto spaziale. Attese, 1964 à dr. Tryptique du maître de San Zeno

L’influence byzantine et celle de Giotto sont très présentes dans ce triptyque où le temps semble arrêté et où les gardes à cheval viennent prier sous et autour de la croix. A droite on reconnait Saint Augustin avec sa mitre d’évêque et Saint Laurent martyr qui est mort sur un gril ; à gauche Saint Jacques apôtre et San Rustico encadrent le triptyque. Sur le même mur, une toile de Lucio Fontana (1899-1968) a été placée un peu plus à gauche. Rouge comme le sang du Christ, entaillée comme les plaies sur le corps du crucifié, ce « concetto spatiale » vient dialoguer avec le second maître de Vérone né cinq siècles auparavant. Etonnant dialogue qui ne choque ni ne heurte aucune sensibilité religieuse tout en venant souligner la fragilité et la vulnérabilité de chacun.

Florilège d’oeuvres à voir au Palazzo Maffei à Vérone

Plus loin un autre « concetto spaziale », datant de 1954, vient renforcer ce dialogue. Cette fois-ci ce sont des fragments de verre coloré qui sont disposés autour de petits trous. Une madone en bois doré de l’atelier de Bartolomeo Giolfino et Giovanno Zebellana datant du XVe° siècle est à gauche. Une statue de Sainte Barbara datant du XVII° siècle, venue du Sud Tyrol et de l’Alto Adige, lui répond à droite.

À travers les siècles les oeuvres se mélangent et dialoguent avec une sérénité qui donne tout son charme à ce musée

Toutes deux encadrent la toile de Lucio Fontana qui parait moins agressive que celle vue précédemment.  Grâce aux touches de couleur qui s’envolent sur un fond clair zébré de traits d’un rouge clair, l’ensemble parait plus tranquille, tout est en ordre, la paix règne dans la salle. 

Andy Warhol. Marylin

Encore plus loin, Andy Warhol et son incontournable Marilyn, Picasso et un portrait de femme dont on reconnait immédiatement l’auteur et un Magritte avec « La fenêtre ouverte » tout aussi reconnaissable, sont accrochés dans des pièces dédiées. Tableaux bien connus, on ne se lasse pas de les regarder « en vrai ». 

Plus surprenante est la salle intitulée Borderland consacrée à une œuvre de Manuel Gardina (1990) réalisée avec l’intelligence artificielle.

Manuel Gardina, “Borderland”, 2024

Sur le mur du fond de la pièce, des œuvres de Chirico, Hokusai, Picasso et de quelques autres peintres de la collection Luigi Carlon sont projetées mais redessinées et mêlées à des paysages. L’image varie selon la position du ou des spectateurs qui deviennent co-auteur d’une œuvre en perpétuel devenir. Les algorithmes qui créent l’image finale sont projetés sur le mur de gauche ce qui permet de retrouver les tableaux originaux à l’origine de l’image finale. Etonnant dialogue, mais finalement pas très convaincant dans le résultat final. Il fallait tout de même se confronter à l’intelligence artificielle, véritable défi pour l’art d’aujourd’hui.

Renato Guttuso (1911-1987), éminent représentant italien du réalisme social, est présent avec son « armoire réaliste ». Avec des couleurs vives et des vêtements chiffonnés, il nous confronte à la banalité du quotidien sur un fond de ciel qui permet de rêver à un avenir meilleur. Militant communiste, son tableau reflète les préoccupations concrètes d’une vie ordinaire qui se retrouve soudain au centre d’un regard qui explore plus loin que d’habitude. Il y a un vide dans cette armoire comme il y a un vide dans toutes nos vies. Quant à combler ce vide, c’est la question que pose ce tableau. 

La peinture italienne contemporaine occupe une large place au Palazzo Maffei. Emilio Vedova (1919-2006), peintre vénitien, représentant de l’expressionisme y a toute sa place. A grand traits de pinceaux de couleurs électriques, il remplit un tableau « Sans titre » issu du Ciclo’60/B.8. Une autre grande toile ronde, remplie de gris et de jaunes est posée par terre juste en face de la première toile. On devine des gestes rapides, des coups de pinceaux parfois agressifs pour obtenir un langage pictural qui parle, bouge et vit par la confrontation des formes et des couleurs. 

Emilio Vedova en action painting

Quelques mots enfin sur Luigi Carlon à qui nous devons cet étonnant musée. Né en 1939, il a fait fortune en créant une entreprise qui a développé des imperméabilisants résistants à de très hautes et de très basses températures. Plus de six cents produits ont été mis au point et utilisés dans le monde entier, des Champs Elysées à l’Auditorium de Rome. Attiré très tôt par l’art, contemporain ou classique, il a collectionné pendant plus de cinquante ans les œuvres qu’il présente dans ce musée. Le Palazzo Maffei n’a rien d’un musée classique. Il montre des peintres, sculpteurs et artistes qui, grâce à la façon dont ils sont présentés, sont soudain si proches que l’on pense faire partie de leur famille ou que l’on se croit leur ami. Un luxe, une aubaine rare. Rarissimes diraient certains ! 

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