Un nouvel accrochage thématique à découvrir à l’Institut suédois à Paris, offre un éclairage inédit sur les grands mouvements du 18e siècle, période la plus représentée dans la collection.
Le Siècle des Lumières, qui marque l’âge d’or des relations franco-suédoises, est une période de grands progrès, mais aussi de troubles. Cette dualité est explorée à travers le regard des artistes français et suédois, qui ont su capter un monde en mutation. Organisée en quatre sections, l’exposition présente tour-à-tour les nouvelles conceptions de la figure de l’artiste, de l’avenir, du passé, ainsi que le regard porté sur le Nord.
Dans un jeu d’échos et de résonances, cette mise en perspective tisse un dialogue entre le passé et le présent, marqués l’un comme l’autre par de grands bouleversements.
C’est en cherchant un nouvel endroit pour exposer sa riche collection que l’historien d’art Gunnar W Lundberg dénicha un hôtel particulier décrépi dans le quartier du Marais, à Paris. L’homme convainc l’État suédois d’en faire l’acquisition : c’est le point de départ de l’Institut suédois, dont l’exposition permanente présente une sélection des œuvres passionnément et minutieusement rassemblées par Gunnar W Lundberg. 700 peintures, 1400 dessins, 4000 œuvres graphiques ainsi que des sculptures, livres anciens, médailles…. Parmi cet ensemble, on compte des trésors signés Alexander Roslin, Louis-Jean Desprez ou encore Gustaf Lundberg.

La figure de l’artiste
Avec le développement des académies d’art et l’abolition progressive des corporations, le 18e siècle voit émerger la figure moderne de l’artiste. Une nouvelle classe aristocratique et bourgeoise, collectionnant l’art selon ses propres goûts, contribue à cette évolution. Parallèlement, l’ouverture du Salon en 1737 offre aux artistes une visibilité inédite.
Cette période marque un âge d’or pour les artistes suédois à Paris. Gustaf Lundberg, Alexander Roslin1 et Adolf Ulrik Wertmüller s’y imposent, notamment dans l’art du portrait. Réciproquement, des artistes français comme Guillaume Taraval, Charles Guillaume Cousin et Jacques-Philippe Bouchardon laissent leur empreinte en Suède, en particulier sur le château royal de Stockholm, plus grand chantier du siècle. L’exposition explore la manière dont les artistes se représentent eux-mêmes dans ce contexte. Le portrait d’artiste oscille entre intimité et démonstration : autoportraits expérimentaux, revendication d’un certain statut, mise en scène du corps, ces portraits montrent l’artiste à la fois modèle et acteur, toujours avec un même point central : le regard.
Le risque et le sublime – L’avenir
Le 18e siècle voit émerger de nouveaux phénomènes économiques et la première grande crise financière mondiale en 1720. La satire de Bernard Picart présentée dans l’exposition illustre la folie spéculative de l’époque (Cliquer).

Face à cette instabilité, le concept du sublime, théorisé par Edmund Burke en 1757, exprime la fascination et la terreur inspirées par les forces capables de détruire l’être humain. Les éruptions volcaniques deviennent un motif artistique majeur, notamment celle du Vésuve en 1779, popularisée par la peinture et la gravure. La Suède n’a pas de volcans, mais elle a des mines. L’exploitation minière, en particulier la grande mine de cuivre de Falun, plus vaste site industriel du pays, attire de nombreux visiteur.ses à la fin du siècle. Lorsque le révolutionnaire Francisco de Miranda la visite en 1780, il assimile son ouverture au cratère du Vésuve. De la terre au ciel : l’invention de la montgolfière incarne le rêve d’élévation de l’être humain. Dans l’exposition, progrès et catastrophe s’entrelacent : mines, volcans et montgolfières sont réuni.es par une même flamme – celle du feu, élément à la fois créateur et destructeur. Prométhée et Icare en sont les figures emblématiques.

Photo Erik Cornelius / Nationalmuseum Photo Viktor Fordell
L’antiquité dévoilée – Le passé
Dans les années 1760, une véritable anticomanie s’empare de Paris : les idéaux de l’Antiquité inspirent l’art, l’architecture et la mode. Rome redevient un centre artistique incontournable, attirant peintres, architectes et sculpteurs. Pour les artistes suédois comme Jean Eric Rehn, le passage par l’Italie, souvent via Paris, s’impose naturellement. Ainsi se dessine un axe fort entre Stockholm, Paris et Rome au 18e siècle.
L’architecte et peintre français Louis-Jean Desprez (1743-1804), formé à l’Académie de Rome, entreprend le voyage en sens inverse lorsqu’il est engagé par le roi Gustave III de Suède. Naples quant à elle, avec les fouilles de Pompéi et d’Herculanum, suscite une réflexion sur la préservation du patrimoine. La prise de conscience d’un monde disparu est posée par Johann Joachim Winckelmann en 1764 dans Histoire de l’art chez les Anciens, ouvrage fondateur de l’histoire de l’art moderne. Cette section de l’exposition illustre les différentes approches de l’Antiquité : certains voient dans ses monuments un modèle intemporel à imiter, d’autres s’en inspirent librement pour nourrir de nouvelles créations. L’attrait pour les ruines reflète autant la fascination pour le passé que l’inquiétude face à l’avenir. Si le sublime traduit la puissance de la nature, la ruine en est l’écho, rappelant l’inéluctable déclin des civilisations.
L’autre et le Nord
Si artistes, amateurs et voyageurs se tournent vers le Sud à la recherche des origines de la civilisation, d’autres prennent la direction opposée : vers les confins du monde connu.
Cette section de l’exposition met en lumière la fascination française pour le Nord, et plus particulièrement pour la Laponie (Sapmí), perçue comme l’exact contrepoint de l’Europe civilisée.

Au 18e siècle, plusieurs expéditions françaises sont menées dans le nord de la Suède, la plus célèbre étant celle de Pierre Louis de Maupertuis en 1736. Bien qu’il n’ait atteint que la région du Tornédalen, son voyage est relaté comme une odyssée vers les limites du monde. Les Sames, seul peuple autochtone de Suède et d’Europe, deviennent des figures de l’homme naturel qui fascinent les salons parisiens. Les regards français et suédois divergent : la Suède voit en la Laponie un territoire à exploiter, tandis que la France la fantasme comme un territoire primitif, hors du temps et de la culture.
Louis-Jean Desprez : Entre-mondes
Grand voyageur, peintre, architecte et graveur, Louis Jean Desprez (1743-1804) fut l’un des plus grands décorateurs de théâtre de son temps. À l’occasion du nouvel accrochage de l’exposition permanente, l’Institut suédois et le Nationalmuseum s’associent pour lui consacrer une exposition monographique, redonnant vie à l’œuvre d’un artiste aujourd’hui méconnu.

Il y a 50 ans, l’une des premières expositions de l’Institut suédois était consacrée à Louis-Jean Desprez, suivie d’une rétrospective au Louvre 20 ans plus tard. Aujourd’hui, l’Institut suédois lui consacre une nouvelle exposition, soulignant son rôle central dans les échanges artistiques entre la France et la Suède au 18e siècle.
Né à Auxerre, Desprez s’inscrit à l’Académie royale d’architecture en 1765, où il se distingue rapidement. Trois ans plus tard, il entame une formation auprès de l’architecte et scénographe Charles de Wailly, dont l’influence marquera durablement son style. Après plusieurs tentatives, il remporte en 1777 le Grand Prix de Rome, amorçant un voyage décisif en Italie. En 1784, il croise la route de Gustave III de Suède, qui, séduit par son imagination et son expressivité, l’invite à Stockholm pour devenir décorateur du Théâtre royal.

Photo Cecilia Heisser / Nationalmuseum Stockholm
Durant la période qui va suivre, Desprez révolutionne la scénographie théâtrale en Europe par des mises en scène spectaculaires. La collaboration artistique entre Gustave III et Desprez restera dans l’histoire comme l’une des plus fructueuses entre commanditaire et artiste. Le roi aurait d’ailleurs affirmé : « Il n’y a que deux personnes en Suède qui ont de l’imagination, Desprez et moi ».
Cependant, après l’assassinat du monarque en 1792, l’artiste tombe en disgrâce et ne parvient pas à obtenir la protection d’autres souverains. Le 19 mars 1804, Desprez s’éteint, seul et ruiné. Ironie du sort, son domicile de Stockholm se situait à quelques pas du Nationalmuseum, où se trouve aujourd’hui l’essentiel de son œuvre.

Photo Photo Cecilia Heisser / Nationalmuseum Cecilia Heisser / Nationalmuseum
Inspiré par les ruines antiques, les paysages fantastiques et l’architecture monumentale, Desprez s’inscrit dans la tradition de Giovanni Battista Piranesi et de Hubert Robert. Ses œuvres traduisent une fascination pour la face obscure des Lumières, un monde hanté par la grandeur éphémère des civilisations disparues. Architecte, peintre et décorateur, il navigue entre la France et la Suède, entre ciel et terre, passé et présent, imaginaire et réalité.
Cette exposition redonne toute sa place à un artiste dont l’œuvre, à la croisée des disciplines, illustre les tensions et les aspirations d’un 18e siècle en mutation. En révélant son génie visionnaire, elle offre une nouvelle lecture de son héritage, toujours actuel.
- Illustration de l’entête: Alexander Roslin (1718-1793), Portrait de sa femme, l’artiste Marie Suzanne Giroust. Huile sur toile. Photo Christophe Laurentin
Révolutions artistiques et sociétales au 18e siècle
Exposition à voir jusqu’au 26/10/2025
Institut suédois. 11 rue Payenne (près du musée Picasso), Paris