L’exposition du musée d’Hyères du 18 juillet au 16 novembre 2025, rend hommage à Raoul Dufy, ce créateur aux mille facettes, en révélant un aspect essentiel mais souvent méconnu de son œuvre : l’aventure du textile et de la mode.
Peintre de la couleur, du bonheur et du mouvement, Raoul Dufy (1877-1953) occupe une place singulière parmi les plus grands artistes du XXe siècle. Célèbre pour sa vitalité inventive, l’éclat de sa palette et son incroyable liberté, Dufy a su abolir les frontières entre peinture, arts décoratifs et arts appliqués. Curieux de tout, il a renouvelé le rapport entre art et quotidien, insufflant à ses œuvres une modernité radieuse, vibrante et accessible. Loin de se limiter à la toile de chevalet, il a puisé son inspiration dans la musique, la poésie, l’art populaire, les activités humaines et la nature, faisant dialoguer formes, rythmes et couleurs à travers ses multiples collaborations. Un temps installé à Hyères dans les années 1920, il y trouva la lumière méditerranéenne, source féconde et joyeuse de création.


Grâce aux prêts exceptionnels de la maison Brochier Soierie à Lyon, le visiteur découvre près de 55 motifs originaux de Dufy, imprimés sur soie, coton ou velours, encadrés tels des variations infinies sur le thème du bonheur ornemental. Ces tissus, imaginés principalement pour la maison Bianchini-Férier, dialoguent avec 25 robes d’exception créées par de grands couturiers : Paul Poiret, Chanel, Christian Lacroix, Agnès b., Mongi Guibane, ainsi que des costumes de scène signés Catherine Leterrier et Anthony Powell. À travers ces œuvres, les couleurs et les rythmes inventés par Dufy prennent vie sur le corps, portés par l’élan de la mode.
Gouaches préparatoires, calques, échantillons encadrés et documents d’époque invitent le public à pénétrer au cœur d’un véritable laboratoire de création, là où l’artiste explore sans relâche la transformation du motif, la liberté de la couleur et la poésie du décor. Cette exposition se veut une expérience sensible, invitant à plonger dans l’effervescence de la mode et à savourer toute la richesse du dialogue entre art, industrie et élégance.
Le parcours de l’exposition invite le visiteur à pénétrer dans l’univers d’une Maison de soieries, véritable écrin évoquant la complicité artistique entre Raoul Dufy et Charles Bianchini. Il se poursuit par la découverte d’un podium de défilé de mode, où les tissus du peintre prennent vie dans le mouvement et l’élégance des robes, avant de plonger dans l’intimité d’un salon d’essayage qui évoque les débuts créatifs avec Paul Poiret. Enfin, l’expérience sensorielle du « toucher Dufy » permet à chacun de ressentir, du bout des doigts, la magie et la matière des tissus nés de son imagination.

©BnF (photo noir et blanc colorisée)
Au début, il y a la mer. Celle du Havre, sa ville de naissance, contemplée par Raoul Dufy dès l’enfance, marque profondément son imaginaire artistique, nourrissant sa fascination pour la lumière, les espaces ouverts et les vibrations chromatiques. Né en 1877 dans une famille modeste imprégnée de musique, Dufy manifeste très tôt un talent instinctif pour le dessin. Il intègre d’abord l’École des Beaux-Arts de sa ville natale avant de s’installer à Paris en 1900 grâce à une bourse municipale, où il rejoint l’atelier de Léon Bonnat à l’École nationale des Beaux-Arts. Là, il rencontre des artistes déterminants pour l’époque, tels Friesz, Marquet, Matisse ou encore Braque, s’ouvrant ainsi à une modernité en pleine éclosion.
Ses premières toiles témoignent d’une inspiration impressionniste, héritée d’Eugène Boudin et d’Albert Marquet, oscillant entre scènes de quai et paysages normands baignés d’une douce lumière maritime. Mais à l’automne 1905, le Salon d’Automne révèle à Dufy La Femme au chapeau de Matisse : une véritable révélation fauve, vive et colorée. « J’ai compris que la couleur seule portait la structure ». Dès lors, influencé par le fauvisme, il adopte une palette éclatante et audacieuse, libère son trait et commence à développer une peinture intuitive, musicale et sensible, où les couleurs expriment directement l’émotion et la vitalité.
Dans les années suivantes, Dufy voyage, expose et expérimente sans cesse. Contre l’austérité formelle du cubisme, il privilégie une approche spontanée et expressive du motif. Jamais théorique, son art avance par sensations et intuitions. Il développe un langage visuel caractérisé par une ligne souple et dynamique, des couleurs vibrantes et des compositions aérées où les formes semblent suspendues dans une atmosphère lumineuse. Cette aisance stylistique devient sa marque distinctive.
Dufy peint le plaisir et l’élégance du quotidien : les régates, les courses hippiques, les scènes d’ateliers, les jardins, les concerts, les loisirs urbains. Il saisit l’instant avec une élégance naturelle, à la fois curieuse et distanciée, exprimant un rapport au monde à la fois joyeux et lucide. Son trait rapide, léger mais précis, traduit une perception immédiate de la vie.
Ses influences artistiques majeures sont multiples et précises : Matisse, bien sûr, pour son usage expressif de la couleur ; Delacroix, pour la force chromatique ; Cézanne, pour la rigueur constructive ; et Delaunay, pour la dynamique lumineuse. Il est également imprégné de poésie et de musique, admirant Baudelaire, se reconnaissant dans la clarté joyeuse de Mozart. Dans ses grands décors monumentaux comme La Fée Électricité à Paris (1937), il conjugue brillamment histoire, science et art en une synthèse visuelle spectaculaire.

Musée d’Art moderne de Paris
Raoul Dufy s’éteint à Forcalquier en 1953, laissant derrière lui une œuvre riche et singulière, célébrant continuellement la couleur, la lumière et la joie de vivre. Son legs artistique, traversé par une sensibilité lumineuse et inventive, le place comme l’un des grands créateurs du XXe siècle.
En 1911, Raoul Dufy entre dans l’univers textile grâce à Paul Poiret, grande figure de la couture parisienne. Séduit par l’approche graphique de l’artiste, révélée par ses gravures pour Le Bestiaire d’Apollinaire, Poiret lui propose de transposer son talent du bois à l’étoffe. Dufy s’installe alors dans un petit atelier improvisé sur l’avenue de Clichy, la « Petite Usine », où il expérimente encres, mordants, réserves et procédés de gravure sous l’œil attentif du chimiste Zifferlin. Entre expérimentation technique et complicité créative, Poiret et Dufy inventent ensemble une mode audacieuse, mêlant art, artisanat et modernité.
Abstraction textile
Rayures, chevrons, lignes ou ondes : certains motifs s’éloignent de toute figuration pour explorer la composition pure, le jeu entre dessin, couleur et vibration ornementale.

Dans le domaine du textile, Raoul Dufy développe une esthétique singulière où la répétition devient variation, et où l’inspiration figurative s’ouvre à l’abstraction. À travers ces compositions, il conjugue tradition décorative et esprit d’avant-garde avec une virtuosité pleinement assumée.
Visionnaire et pionnier de la soierie moderne, Charles Bianchini incarne le renouveau de l’industrie textile française au tournant du XXe siècle. À la tête de la maison lyonnaise Bianchini- Férier, fondée en 1888, il impulse une politique d’excellence et d’ouverture qui place la création artistique au cœur de l’innovation industrielle. Son ambition : abolir la frontière entre arts appliqués et industrie, et donner au textile une valeur esthétique nouvelle.
Dès 1912, Charles Bianchini invite Raoul Dufy à devenir artiste-décorateur de la maison, à la suite d’une rencontre orchestrée par Paul Poiret. Il perçoit immédiatement le potentiel créatif de l’artiste et lui offre la liberté d’expérimenter sur la matière, les techniques d’impression, les couleurs et les dessins. Sous sa direction, la maison Bianchini-Férier accueille les plus grands talents – artistes, dessinateurs, chimistes, graveurs et tisseurs – et collabore avec les couturiers les plus audacieux : Paul Poiret, Madeleine Vionnet, Elsa Schiaparelli ou Jeanne Lanvin.

Révolutionnaire, Charles Bianchini encourage le dialogue direct entre l’artiste et l’atelier : il met à disposition de Dufy un « bureau d’études » pour la recherche et la création de nouveaux motifs, et n’hésite pas à faire réaliser, grâce à ses ingénieurs, des impressions inédites par la finesse des couleurs ou l’éclat des étoffes. Cette synergie aboutit à une floraison de tissus aux motifs inventifs, dont l’exposition présente ici un ensemble exceptionnel.
Paul Poiret s’impose comme l’un des grands créateurs de la Belle Époque et des Années folles, pionnier d’une mode affranchie des contraintes, audacieuse et résolument moderne. Issu d’un milieu modeste, il débute sa carrière chez la couturière Madeleine Chéruit puis, dès 1897, chez le célèbre Jacques Doucet, dont l’élégance raffinée et l’ouverture à l’avant-garde artistique marquent profondément le jeune Poiret. Cette expérience nourrit sa quête de nouveauté et de liberté.
Dès l’ouverture de sa propre maison de couture en 1903, Paul Poiret révolutionne le vêtement féminin : il abolit le corset, libère la taille, impose la ligne fluide et l’exotisme, s’inspirant de l’Orient, du théâtre et des arts décoratifs. Parmi ses créations emblématiques figurent la robe « Sorbet », la robe « Minaret » aux lignes tulipe, ou encore le pantalon « Harem » – véritables manifestes de modernité, salués dans toute l’Europe.

Convaincu que la mode doit dialoguer avec tous les arts, Poiret fonde en 1911 la « Petite Usine » au 5 rue Auber à Paris, un atelier d’impression sur tissus. C’est là que la rencontre avec Raoul Dufy s’opère, sur la recommandation de Poiret, séduit par l’esprit novateur de ses motifs gravés. Leur collaboration, précoce et décisive, fait de Dufy le premier « artiste-décorateur textile » moderne et contribue à donner au tissu imprimé un statut artistique inédit.
Poiret fut également un grand costumiers de scène (notamment pour les Ballets russes), inventeur des parfums Rosine, organisateur de fêtes légendaires, promoteur de la vie élégante et colorée, et inlassable passeur entre créateurs, artisans et industriels. Son style, conjuguant fantaisie, luxe et simplicité, a posé les fondations de la mode contemporaine. Paul Poiret demeure ainsi une figure tutélaire du dialogue entre mode, art et industrie : un visionnaire qui, à travers des créations comme la robe « Parfums » ou la cape « Amphitrite » (présentée dans l’exposition), a ouvert de nouveaux horizons à l’élan de la création.

Quelques années plus tard, c’est auprès de la prestigieuse maison lyonnaise Bianchini Férier que Raoul Dufy déploie pleinement son génie pour le motif. Au sein de cet atelier foisonnant d’idées et de savoir-faire, il crée des centaines de dessins destinés à la soie, au coton ou au velours, y apportant toute la fraîcheur de ses gouaches et l’éclat audacieux de ses couleurs. Contrats, mises en carte, échantillons et documents d’époque témoignent aujourd’hui encore de cette fructueuse collaboration entre l’artiste, Charles Bianchini et les artisans de la soierie, unis dans l’excellence et l’innovation.
Des motifs au vêtement, l’élan de la création
Au cœur de l’exposition, la zone du podium célèbre la métamorphose des motifs de Raoul Dufy en vêtements d’exception. Vingt-cinq robes, créées entre les années 1910 et aujourd’hui, déploient sur la silhouette féminine toute la poésie graphique, la joie colorée et la liberté ornementale de l’artiste. Sur chaque vêtement, le motif imaginé par Dufy prend vie, réinventé par la main du couturier, adapté au mouvement du tissu et à l’esprit du temps. Les motifs imprimés créés par Dufy épousent le corps et accompagnent le geste, prolongeant le dialogue vivant entre art et mode.
Exposition: Raoul Dufy et la mode
18 juillet-16 novembre 2025
La Banque, musée des Cultures et du Paysage
14 avenue Joseph Clotis. 83400 Hyères (Var). France
Illustration de l’entête: Composition florale, c.1916 – 1918, Gouache, 74 x 64, 5 cm, Maison Bianchini Férier © Maison Bianchini Férier
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