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Cézanne superstar à Aix-en-Provence

par Pétra Wauters

Grâce à des prêts prestigieux, cette exposition Cézanne prend une envergure internationale remarquable, réunissant des œuvres issues de musées français, dont le musée d’Orsay, mais également d’institutions majeures situées à Bâle, Boston, Budapest, Chicago, Cambridge (Harvard), Hiroshima, Londres, Los Angeles, New York, Ottawa, Philadelphie, Tokyo, Washington et Zurich

Paul Cezanne, Maison et ferme du Jas de Bouffan, 1885-1887
Huile sur toile, 60,8 x 73,8 cm
National Gallery Prague, République Tchèque
© National Gallery Prague 2023

Bien plus qu’un cadre de vie, cette bastide familiale fut pour l’artiste un véritable terrain d’expérimentation, où il a façonné son regard et sa technique pendant près de quarante ans. À travers une centaine d’œuvres, peintures, dessins, aquarelles, cette rétrospective offre une immersion rare dans l’univers intime de Cézanne, en dévoilant la place centrale qu’a occupée le Jas de Bouffan dans son parcours artistique. Certains visiteurs ont commencé par visiter la bastide, et se sont réjouis de ce choix en poursuivant avec le musée.

 Commencer par la visite de la bastide du Jas de Bouffan, c’est entrer dans le regard de Cézanne, sur les lieux mêmes où il a peint. Grâce aux projections, on redécouvre les œuvres à l’endroit précis où elles ont vu le jour,  cadrages, lumières, perspectives, c’est émouvant et évocateur. Le musée Granet prolonge cette immersion en révélant les originaux, exposés dans un parcours qui fait écho à la bastide. On y retrouve notamment la salle à manger, ses hauts plafonds, la disposition des pièces… La « reconstitution » est impressionnante. On nous livre Cézanne,  son histoire, ses débuts dans les peintures avant d’être Cézanne LE  peintre, celui que chante France Gall. 

Olécio partenaire de Wukali

…« Mais voilà l’homme 
Sous son chapeau de paille 
Des taches plein sa blouse 
Et sa barbe en bataille 

Cézanne peint 
Il laisse s’accomplir la magie de ses mains 
Cézanne peint 
Et il éclaire le monde pour nos yeux qui n’voient rien
1

Paul Cezanne, Le Bassin du Jas de Bouffan aux arbres dénudés, 1881-1883
Graphite et aquarelle sur papier, 48 x 63,2 cm
Sammlung Oskar Reinhart, « Am Römerholz », Winterthour , Suisse

Les œuvres dialoguent avec les souvenirs du lieu, restitués avec justesse et sensibilité. Car c’est bien à Granet que l’on peut prendre toute la mesure de ce que la bastide a représenté pour l’artiste : un point d’ancrage, une source inépuisable de motifs. 

Cézanne au Jas de Bouffan invite à cheminer au cœur des années 1860 à 1899, à travers les œuvres que l’artiste a conçues dans l’intimité de la bastide familiale d’Aix-en-Provence. Un espace de recherche, un atelier à ciel ouvert où naissent les premières formes, les premières lumières de son langage pictural. Il commence par peindre des paysages inspirés des maîtres anciens, Claude Lorrain, Jacob van Ruisdael.

Il réalise Les Quatre Saisons, autour d’un portrait de son père signé « Ingres ». Ce n’est pas une erreur, ni un hommage innocent au peintre Jean-Auguste Dominique Ingres, figure emblématique du courant néoclassique, reconnu pour sa rigueur académique. Cezanne fait un « clin d’œil » à son père qui aurait préféré que son fils suivît une autre voie, plus « rassurante ». Plus tard, il réintervient sur ses propres œuvres, les recouvrant ou les modifiant avec de nouvelles compositions, comme Le jeu de cache-cache, d’après Lancret, Le Christ aux limbes, ou des portraits de petit format. On s’attarde sur le Baigneur au rocher.  

Paul Cezanne, Portrait de Louis-Auguste Cezanne, père de l’artiste, vers 1865
Huile sur toile, 167,6 x 114,3 cm
The National Gallery, Londres, Grande-Bretagnet © The National Gallery, London

Cézanne transforme le corps humain en volumes géométriques. Il cherche on le sait, (lui sans doute pas encore), une vérité primitive et ses « grandes Baigneuses » seront bientôt annoncées et avec elles ce souci de « faire du Poussin sur nature », une « formule » qui émane de la bouche de Cézanne et qui résume bien son projet artistique. Il souhaitait faire de la peinture quelque chose de solide et de durable comme l’art des musées » tout en peignant d’après nature. “Arriverai-je au but tant cherché et si longtemps poursuivi ? » écrivait-il à Émile Bernard.

Avant d’arrivée à la reconstitution du grand salon, on a pris le temps de découvrir la première partie de l’exposition. Elle retrace les tout débuts de Cézanne.  En 1857, il entre à l’école gratuite de dessin d’Aix, L’école et le musée occupaient déjà les lieux de l’actuel musée Granet. « L’école de dessin qui se trouvait à l’étage du bâtiment, au-dessus du musée. précise Bruno Elycommissaire de l’exposition conservateur en chef, directeur du musée Granet.


« Les élèves, comme Cézanne, avaient ainsi un accès direct aux collections du musée, ce qui leur permettait de dessiner d’après les sculptures antiques et les œuvres exposées ».  Cézanne poursuivra cette pratique à Paris en copiant des œuvres du Louvre. Plusieurs croquis de cette période témoignent encore de son travail d’observation. On apprend encore que Cézanne ne prend pas d’accent.  Une « correction » orthographique qui s’est imposée, car Cezanne s’écrivait bien sans accent, et ce n’est qu’à travers des écrits d’historiens que l’accent fut ajouté. La Société Cezanne et les descendants privilégient l’authenticité originelle du nom familial.

Paul Cezanne, Autoportrait au chevalet, vers 1898-1900
Lithographie sur papier, 50 x 34,5 cm
Musée Granet, Aix-en-Provence
© Claude Almodovar / musée Granet, Ville d’Aix-en-Provence

Et il est là, au détour d’une salle, l’homme au chapeau de paille et la barbe en bataille. Il ne sourit jamais, non, Cézanne ne sourit pas. Dans ses autoportraits il se présente le regard droit, souvent fixe, presque sévère. Ce n’est pas une pose chez lui, c’est une posture. L’autoportrait n’est pas affaire de coquetterie ou d’apparence, mais de confrontation. Confrontation à soi, à la peinture, au réel. Il se regarde comme il regarde une pomme ou une montagne : avec exigence, sans embellissement, sans artifice, sans superflu ! Il cherche la structure, l’équilibre, la vérité d’un visage comme il le fait pour un paysage.  Une vérité qui passe par la forme, la couleur. On l’a bien compris, il ne cherche pas à séduire, et pourtant, on est conquis ! 

Autoportrait au chapeau de paille, 1878–1879. Huile sur toile, 34.9 x 28.9 cm. États-Unis, New York (NY), The Museum of Modern Art, collection William S. Paley. © 2023. Digital image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence – « Cezanne au Jas de Bouffan » au musée Granet, Aix-en-Provence.

A côté de ses autoportraits on retrouve ses thèmes de prédilection : les paysages provençaux, les portraits intimes, les célèbres baigneurs et baigneuses, ainsi que ses natures mortes, à l’huile ou à l’aquarelle.

Paul Cezanne, Nature morte au plat de cerises, 1885-1887. Huile sur toile, 50,17 x 60,96 cm
Los Angeles County Museum of Art, Gift of Adele R. Levy Fund, Inc., and Mr. and Mrs. Armand
S.Deutsch
© 2024 Museum Associates / LACMA. Licenciée par Dist. GrandPalaisRmn / image LACMA

Cézanne impressionniste, le temps d’apprendre à décomposer et recomposer la lumière par touches colorées, mais sa quête est tout autre. il veut maintenir la force de construction qu’imposent une maison, une ferme, un arbre, un terroir, un paysage. 

Il était important de présenter des natures mortes de Cezanne dans cette exposition car c’est surtout à travers ces compositions que Cézanne a commencé à explorer l’équilibre des formes, de l’espace et des couleurs. Ce sont des recherches fondatrices qui feront de lui le père de l’art moderne.

Baigneurs et baigneuses

Ce thème a accompagné Cézanne tout au long de sa vie : il réalise près de 200 compositions de baigneurs et baigneuses, souvent inachevées, qu’il développe lentement jusqu’aux Grandes Baigneuses.

Grandes Baigneuses. Paul Cézanne. Huile sur toile, 59/80cm. Art Institute of Chicago

L’aventure commence sans doute au Jas de Bouffan et se poursuit, inlassablement, à l’atelier des Lauves jusqu’à ses dernières années. « Le thème des baigneurs et baigneuses a préoccupé Cezanne au Jas de Bouffan, et déjà son ambition était la composition de toiles de fort grande dimension sur ce sujet majeur confirme Denis Coutagne, commissaire scientifique, président de la Société Paul Cezanne, conservateur en chef du patrimoine, ancien directeur du musée Granet. Il livre une page passionnante sur « l’ébauche des grandes baigneuses »,  du superbe catalogue « Cézanne au Jas de Bouffan ». Il nous apprend encore qu’il reste trois versions  des grandes baigneuses : deux ont un caractère un peu lunaire, et la troisième se veut plus lumineuse et sereine. « Bien évidemment, la vente du Jas de Bouffan marqua l’interruption momentanée de ce travail. Il fallait un lieu à la dimension du projet : ce sera l’atelier des Lauves. » Un nouveau lieu de création

Cependant, c’est au Jas qu’il peint les célèbres tableaux des Joueurs de cartes, utilisant comme modèles des travailleurs de la ferme. Il peint encore les paysans du Jas qui témoignent de la vie quotidienne sur le site. Homme aux bras croisés (c.1899) du Salomon R. Guggenheim Museum de New York ou encore le Paysan assis du musée d’Orsay .

Cézanne bouge ! 

Depuis la bastide du Jas, il se rend à l’Estaque, à Gardanne, Bellevue, Montbriand, aux carrières de Bibémus. Dans son nouvel atelier, sur la colline des Lauves, le peintre réalisera des œuvres intimistes, comme le portrait de son jardinier, monsieur Vallier et de nombreuses nature mortes

Paul Cezanne. Louis-Auguste Cezanne, père de l’artiste, lisant L’Événement. Automne 1866
200 x 120 cm

En complément de l’exposition, plusieurs lieux emblématiques liés à Cézanne sont mis en lumière, comme le Jas de Bouffan et l’atelier des Lauves, désormais ouverts au public. Un parcours a également été aménagé dans les Carrières de Bibémus autour de sept motifs ayant inspiré de nombreuses toiles.

D’autres expositions à Aix sont aussi prévues dans le cadre du programme Cézanne 2025.

Commissariat général : Bruno Ely, conservateur en chef, directeur du musée Granet
Commissariat scientifique : Denis Coutagne, président de la Société Paul Cezanne, conservateur en chef du patrimoine, ancien directeur du musée Granet.

En savoir plus sur l’exposition

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