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Camille Claudel et ses amies sculptrices, une exceptionnelle exposition périgrine dans trois musées en France

par Communiqué musée

Depuis sa redécouverte dans les années 1980, Camille Claudel a inspiré de grandes expositions monographiques. Sa renommée est aujourd’hui telle qu’elle pourrait laisser croire, à tort, qu’elle était le seul sculpteur femme de son époque. Pourtant, autour de 1900, bien d’autres ont suivi le même chemin qu’elle et, malgré les obstacles liés à leur condition de femme, se sont illustrées dans le domaine de la sculpture.

Camille Claudel (1864-1943),
La Valse vers 1895, plâtre, 
musée Camille Claudel 
© musée Camille Claudel, photo Marco Illuminati

Dans le cadre de l’exposition Au temps de Camille Claudel, être sculptrice à Paris,(voir détails en contrebas de l’article) ces sculptrices de premier plan sortent de l’ombre! Une exposition coproduite par le musée Camille Claudel, le musée des Beaux-Arts de Tours et le musée de Pont-Aven réunit les créations d’une vingtaine d’entre elles : Charlotte Besnard, Marie CazinMadeleine Jouvray, mais aussi Jessie Lipscomb, Agnès de Frumerie ou encore Anna Bass, Jane Poupelet et bien d’autres. Françaises ou étrangères, souvent filles ou épouses d’artistes, elles ont été les camarades d’atelier, les amies, ou parfois les rivales de Camille Claudel. Certaines l’ont précédée, d’autres lui ont succédé.

Illustration de l’entête: «Sapho endormie » par Marguerite Syamour, 1899 Cambrai (Nord) – Musée des Beaux-Arts

Ce panorama, bien que non exhaustif, souligne combien l’histoire de l’art repose sur un effort collectif, associant étroitement recherche universitaire et diffusion par les musées. Les musées de Nogent-sur-Seine, Tours et Pont-Aven, réunis autour de ce projet, se font ici les relais essentiels de cette recherche en mouvement. En confrontant leurs collections, leurs approches etleurs publics, ils montrent que les musées ne sont pas seulement les lieux de la mémoire mais aussi des espaces de questionnement, de pédagogie, de transmission et d’engagement. Dans la lignée de leur programmation respective et à travers ce partenariat, ils affirment leur rôle actif dans la reconnaissance des artistes femmes et dans la valorisation d’un patrimoine longtemps négligé. Comme toute exposition,Au temps de Camille Claudel, être sculptrice à Parisrésulte de choix assumés : ici, celui de mettre en lumière le réseau artistique féminin qui entoura Camille Claudel au fil de sa trajectoire, depuis son apprentissage dans le Paris de la fin du XIXe siècle jusqu’à son internement en 1913.

Camille sculptant Sakountala et Jessie Lipscomb à ses côtés en 1887
photographie William Elborne

Les sculptrices au tournant du XXè siècle

« La main sûre, assouplie à toutes les difficultés du métier de statuaire1»Depuis sa redécouverte dans les années 1980, l’œuvre de Camille Claudel a été mise en lumière à travers de nombreuses expositions, donnant l’impression d’un talent isolé, presque miraculeux. Pourtant, dès son arrivée à Paris à l’automne 1880, la jeune Claudel – alors âgée de 16 ans – rejoint une scène artistique déjà marquée par la présence de sculptrices. Pour elles, l’accès à la formation et à la reconnaissance demeurait toutefois difficile. Les stéréotypes liés à la prétendue faiblesse féminine et l’image virile associée à la sculpture ont longtemps été considérés incompatibles. L’exclusion des femmes de l’enseignement artistique, notamment à l’École nationale des Beaux-Arts, ainsi que les contraintes économiques de la sculpture traditionnelle (coût du bronze ou du marbre, recours à des ouvriers) constituaient autant d’obstacles à leur entrée dans cette discipline

Marie Cazin, Jeunes filles ou Jeunesse, 1886, plâtre, 72 x 60 x 37,9 cm, Tours, musée des Beaux-Arts

La première section de l’exposition s’attache à celles qui, malgré tout, parviennent à poursuivre leur vocation et à s’imposer sur la scène parisienne, selon des parcours et des stratégies variés. Leurs œuvres sont reçues au Salon et saluées par la critique; plus rarement, certaines obtiennent des commandes publiques. Marie Cazin (1844-1924)Charlotte Besnard (1854-1931) ou encore Jeanne Itasse(1855-1941) ont ainsi évolué à l’abri de la renommée d’un époux ou d’un père artiste. D’autres, comme Laure Coutan-Montorgueil (1855-1915), issue d’une famille d’artisans, et Marguerite Syamour(1857-1945), élevée dans un milieu intellectuel progressiste, ont connu les difficultés liées à la pratique de la sculpture sans subir d’opposition de leur entourage. Un cas particulièrement remarquable est celui de Blanche Moria (1859-1926), qui, bien que née dans une famille de commerçants, est reconnue comme « artiste-statuaire » à son décès. Toutes appartiennent à cette génération de « travailleuses obscures », selon les mots de la peintre Louise Catherine Breslau (1856-1927), qui ont fait « les plus grands sacrifices » et acceptent « les privations les plus dures pour pouvoir vivre leur rêve d’art 1

Amies et rivales : Camille Claudel et ses camarades d’ateliers

Jessie Lipscomb (1861-1952), 
Camille Claudel, vers 1883-1886, bronze, 
collection particulière 
© Arte, photo Karen Bengal

« Une petite colonie d’étudiantes libres des Beaux-Arts»


La deuxième partie de l’exposition s’ouvre sur une période de compagnonnage artistique entre Camille Claudel et ses contemporaines. En septembre 1880, Claudel s’installe à Paris avec sa famille, d’abord au 135 boulevard du Montparnasse, puis, en 1881, au 111 rue Notre-Dame-des-Champs. Tout près de leur appartement, au 10 rue de la Grande Chaumière, se trouve l’Académie Colarossi, une alternative moderne à l’enseignement traditionnel de l’École nationale des Beaux-Arts. À la fois école privée et atelier libre, l’Académie est réputée pour son enseignement mixte et ses cours de sculpture d’après modèle. Claudel y étudie aux côtés d’autres jeunes artistes femmes, françaises et étrangères, principalement britanniques et scandinaves :Madeleine Jouvray (1862-1935)Jessie Lipscomb(1861-1952)Sigrid af Forselles (1860-1935) ou encore Carolina Benedicks-Bruce (1856-1935)

Olécio partenaire de Wukali

Les ateliers de sculpture sont coûteux et nombreuses sont les artistes à mutualiser leurs espaces de travail, créant ainsi de véritables réseaux de solidarité. Grâce au soutien de son père et associée à certaines de ses camarades de l’Académie, Claudel loue un atelier au 117 rue Notre-Dame-des-Champs. Elle le partage avec Ghita Theuriet(1862-1911), Laetitia von Witzleben (1849-1923) et les sculptrices Sigrid af Forselles, Madeleine Jouvrayet surtout Jessie Lipscomb, qui est même un temps pensionnaire de la famille Claudel. Mathias Morhardt, premier biographe de Claudel, décrit ce lieu comme une « petite colonie d’étudiantes libres des Beaux-Arts», où Claudel fait figure de meneuse. Leur professeur à l’Académie Colarossi, Alfred Boucher – qui connaît Camille Claudel depuis les années nogentaises (1876-1879) – vient une fois par semaine corriger les travaux des jeunes filles, entre 1881 et 1882.

Madeleine Jouvray (1862-1935), Danaïde, avant 1935, marbre, collection particulière © musée Camille Claudel, photo Philippe Migeat

Cette colocation d’ateliers permet aux jeunes sculptrices de vivre la « vie de bohême » tout en rassurant leurs familles sur leur choix de carrière. Frères et amis masculins, tels Paul Claudel, visitent souvent ces ateliers, reflétant une dynamique sociale complexe malgré les conventions de l’époque. Des liens forts se nouent entre ces artistes. Il en subsiste aujourd’hui des portraits croisés, présentés en regard dans cette section. Peints ou sculptés, ils ont été réalisés entre elles, à la fois pour pallier le manque de modèles professionnels et témoigner de leur amitié.

Autour de Rodin, entre influence et émancipation

« Rodin a passé par là, et l’empreinte de son pouce est sur ces statues.

La troisième séquence de l’exposition aborde les relations des femmes sculpteurs avec Auguste Rodin, entre transmission, influence et désir d’émancipation. À l’automne 1882, lorsque Rodin remplace Alfred Boucher, parti pour Florence, afin de superviser l’atelier de Claudel rue Notre-Dame-des-Champs, il découvre un groupe de jeunes femmes déterminées à se faire reconnaître comme professionnelles et rivalisant pour attirer son attention. Grâce à la commande de La Porte de l’Enfer, Rodin a installé deux ans plus tôt un grand atelier au Dépôt des marbres, qu’il organise comme une entreprise collaborative. Autour de 1884, Claudel rejoint cet atelier comme élève, aux côtés d’autres apprenties sculptrices comme Madeleine JouvrayJessie Lipscombou, plus tard, Ottilie Maclaren(1875-1947)

Camille Claudel (1864-1943), Giganti,
1885, bronze, musée Camille Claudel 
© musée Camille Claudel, photo Marco Illuminati

1 Louis Vauxcelles, « Digression touchant l’art féminin », article de presse isolé, Paris, Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art.

Ne se considérant pas comme un professeur au sens traditionnel du terme, Rodin forme ses «élèves » par la pratique. Travaillant côte à côte dans l’atelier, les artistes emploient les mêmes modèles, échangent et se confrontent parfois dans le traitement et la réalisation de sujets semblables. La vie d’atelier et les échanges quotidiens influencent leurs créations. Par exemple, Claudel, Lipscomb et Rodin utilisent le même modèle italien, Giganti, mais leurs interprétations – réunies pour la première fois – diffèrent : Rodin livre une tête stylisée, Claudel redouble d’expressivité, tandis que Lipscomb reste ancrée dans le classicisme.

Madeleine Jouvray devient quant à elle la praticienne de Rodin, taillant plusieurs de ses marbres. Si elle démontre une maîtrise technique certaine, sa production personnelle semble peiner à s’émanciper de l’influence de Rodin, comme en témoigne Douleur d’âme, qui rappelle L’Âge d’airain. L’écossaise Ottilie Maclaren, qui avait tenté de recevoir les leçons de Camille Claudel, devient l’élève puis la collaboratrice de Rodin entre 1899 et 1901. D’autres encore, comme les Suédoises Agnès de Frumerie(1869-1937) et Ruth Milles(1873-1941), bien qu’elles n’aient pas intégré l’atelier de Rodin, ont évolué dans son entourage et en ont subi l’influence. Autour de Rodin, ces sculptrices empruntent la voie du symbolisme, livrant des représentations sans fard du corps vieillissant, souffrant ou mourant. Sont exposées plusieurs sculptures saisissantes : Clotho de Claudel, La Lutte pour l’existence de Frumerie ou encore Le Livre de la vie, rire et pleurs de Jouvray

Après Rodin, après Claudel, à l’épreuve de la modernité

 « Ce n’est plus du tout Rodin1»

L’exposition se clôt sur l’« après-Rodin ». Après leur rupture en 1893, Camille Claudel cherche à tout prix à se libérer de l’influence du maître. Dans une lettre à son frère, elle déclare, triomphante : « Tu vois que ce n’est plus du tout du Rodin. »

L’atelier devient un espace isolé où Claudel s’inspire uniquement de ses expériences personnelles. Comme le souligne Charles Morice, ses œuvres L’Âge mûr, Clotho ou sa série de “croquis d’après nature” « appartiennent en propre à Camille Claudel, personne avant elle n’avait fait cela, personne ne l’a refait après elle2», marquant sa place dans cette ère post-rodinienne.

1. Lettre de Camille Claudel à Paul Claudel, s.d. [décembre 1893], Paris, Bibliothèque nationale de France.
2. Charles Morice, « Art moderne », Mercure de France, 15 décembre 1905, p. 609-610

Jane Poupelet, Imploration, 1928, bronze, 85 x 29,5 x 33,5 cm, collection particulière

Souvent comparées à Camille Claudel par la critique, Anna Bass(1876-1961), Jane Poupelet (1874-1932) et Yvonne Serruys(1873-1953) appartiennent à une nouvelle génération d’artistes qui rejettent l’expressionnisme et le symbolisme rodiniens pour revenir aux formes pleines et à une épure des contours. Poupelet et Serruys figurent ainsi aux côtés de Claudel dans une exposition d’art français organisée à Zurich, en février-mars 1913, au moment même où cette dernière disparaît de la scène artistique après son internement le 10 mars 1913.

Yvonne Serruys (1873-1953), Colin-Maillard, 1909
photo Maximiliaan Martens

Bass, Poupelet et Serruys présentent des œuvres qui offrent une certaine parenté avec celles de Claudel – sont par exemple rapprochées des torses de femme par Claudel et par Bass – faisant ainsi le lien entre l’œuvre de cette dernière et la sculpture revivifiée après la Grande Guerre. Elles cherchent à redéfinir les codes de la représentation, en particulier autour du nu féminin. Rejetant l’idéalisation académique, elles adoptent un regard plus direct et intime, qui révèle une sensibilité moderne, comme en témoignent Femme à sa toilette de Poupelet ou Colin Maillard de Serruys. Bien que reconnues de leur vivant, elles seront peu à peu éclipsées par l’émergence des avant-gardes

Les sculptrices

Commissaire scientifique
Anne Rivière

Commissaires de l’exposition
Cécile Bertran Directrice du musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine
Hélène Jagot Directrice des musées et Château de Tours 
Sophie Kervran Directrice du musée de Pont-Aven

Catalogue par Anne Rivière et Bruno Gaudichon à paraître aux éditions Hazan

Exposition à voir
au Musée Camille Claudel à Nogent sur Seine, du 13 septembre 2025 au 4 janvier 2026
au Musée des Beaux-Arts de Tours du 31 janvier 2026 au 1erjuin 2026
au Musée de Pont-Aven du 27 juin 2026 au 8 novembre 2026

Cette exposition a reçu le label « Exposition d’intérêt national» du ministère de la Culture.

Illustration de l’entête: «Sapho endormie » par Marguerite Syamour, 1899 Cambrai (Nord) – Musée des Beaux-Arts

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