Parler de Jean-Michel Maulpoix n’est pas chose facile. Enseignant, critique et surtout poète, il a publié plus de vingt recueils et une quinzaine d’essais sur la poésie ou sur d’autres poètes. Loin de se contenter de publications sur le papier, il complète ses réflexions sur au moins deux sites : Maulpoix.net dans lequel il intervient seul et Le Nouveau Recueil.fr qu’il dirige et où on trouve des articles signés par d’autres poètes comme Alain Duault, par des poètes et traducteurs comme Jean-Charles Vegliante, ou par lui-même. Jean-Michel Maulpoix et tous les collaborateurs du site commentent et présentent des autrices et auteurs avec l’attention et le regard aigu mais jamais sévère qui caractérise son directeur. Les découvertes, les surprises, les niches du monde littéraire apportent une connaissance, développent une curiosité et une ouverture sur la culture et sur ce qui nous entoure.
Jean-Michel Maulpoix donc. Quelle est sa poésie si tant est que l’on puisse, non pas la résumer, mais la présenter en vue de la découvrir ? Rue des fleurs tout d’abord puisque c’est avec cet ouvrage qu’il a reçu le prix Goncourt de la poésie en 2022. Ce qui lui vaudra une visibilité plus importante auprès d’un public peu habitué à lire ou à fréquenter la poésie. Ecrit en vers, ce qu’il n’a pas fait depuis longtemps, ce recueil vient après une carrière déjà longue et des publications qui ont marqué le trop petit milieu de la poésie Ce n’est pas pour autant un aboutissement, c’est une étape dans une œuvre qui s’attache au langage, à ses limites et aux limites de la connaissance des mortels que nous sommes tous.
Profondément attaché à la vie, très conscient de la finitude et de la mort dont il parle souvent, Jean-Michel Maulpoix s’adresse à son lecteur sur le ton de la confidence. Il n’y a pas de cri ni de grandes envolées lyriques. Le lyrisme est toutefois un des pivots de sa réflexion. Mais pas n’importe quel lyrisme, un lyrisme critique. Pour préciser ce qu’il entend par là, il a écrit « Pour un lyrisme critique » dans lequel il se réclame d’un lyrisme trois fois critique : la première fois en tant qu’objet, puis en tant que lieu et enfin en tant qu’écriture. La poésie est donc un objet que l’on peut étudier, un lieu que l’on peut explorer et surtout une écriture qui frôle le pathos mais n’y tombe pas et où se joue l’essentiel de ce qui peut se dire. Le poète se doit de partir de ce qui nous entoure pour arriver à dire « ce pour quoi manquent les mots » Ce qui inclut un regard et une compréhension de ce que nous vivons avec toutes nos incertitudes, nos doutes, nos interrogations et nos chagrins Et tout le monde est concerné. Il faut lire « Sur le trottoir », poème qui parle de la vie d’une prostituée pour comprendre à quel point le poète ne détourne pas le regard mais sait ce qui se passe dans le cœur de tout homme et de toute femme quel que soit son métier, quelle que soit sa vie.
La première partie de Rue des fleurs s’intitule Pour une banlieue pauvre dans lequel Jean-Michel Maulpoix décrit ce qu’il voyait encore étudiant dans une banlieue parisienne qu’il longeait tous les matins Le réel est le point de départ de toute la poésie de Jean-Michel Maulpoix. Les émotions viennent tout de suite après sans oublier les grands qui l’ont précédé. La deuxième partie En automne au fond du jardin comporte en exergue une citation d’Arthur Rimbaud « L’automne déjà !». Quelques mots pour citer ce grand prédécesseur et à ce propos, il faut lire dans Pour un lyrisme critique les chapitres qu’il dédiés à Rimbaud, Verlaine, Char et Saint-John Perse pour profiter de toute la compréhension de ces auteurs que Jean-Michel Maulpoix nous fait redécouvrir Dans le silence de la chambre résonne du temps qui passe, du Dieu sourd et absent, et de l’amour d’une femme. Rue des fleurs clôt ce recueil avec six poèmes dans lesquels il montre par petites touches qu’il apprécie les fleurs sans pour autant dire ni redire leur beauté ni leur mystérieux langage.
L’Hirondelle rouge a précédé Rue des fleurs. La disparition de ses parents est le sujet de ce recueil. Dans une première partie, il évoque son père et sa mère, leur amour, le vide que la disparition des parents creuse dans une vie. Puis il reprend confiance. La cicatrisation qui est bien loin de l’oubli, se transforme en une méditation sereine sur sa propre vie, sur la poésie et le travail des mots, ce qui lui fait dire : « Je voudrais pouvoir dire, à l’heure de mourir-et si possible d’une voix bien audible- que j’ai passionnément aimé ce monde, cette vie et mes semblables et que je ne regrette pas de n’avoir pu emprunter d’autres chemins ! N’est-ce pas ce que pourrait faire de mieux le poème : affirmer l’unité et la beauté de la vie terrestre, plutôt que de remâcher dans l’encre, un goût de cendre ». Il n’est pas question de pleurer sur son sort ni sur celui d’un monde qui serait trop cruel. Il faut au contraire vivre « je ne veux pas d’une vie dont il manquerait un morceau ». La beauté comme la laideur, le bonheur comme le malheur sont à vivre pleinement et rien n’est à regretter.
Une histoire de bleu est le livre le plus connu de Jean-Michel Maulpoix. Publié pour la première fois en 1992 puis repris dans la collection blanche de Gallimard en 2000, c’est ici que son auteur développe dans de courts textes en prose, son approche de la vie, de la mort, de Dieu et de la poésie. Rien que ça. Tout y est !
Le poète s’adresse d’abord à son lecteur sur le ton d’une amicale discussion pour passer ensuite du tu au nous et élargir son propos. Il faut, dit-il, savoir écouter les bruits du monde et même si nous sommes maladroits, même si nous ne savons pas vraiment ni écouter ni comprendre le monde, il nous faut vivre et être disponible pour tout ce qui nous échappe, pour tout ce que nous ne comprenons pas, pour tout ce que les mots n’arrivent pas à appréhender. Même le poète n’y arrive pas Son rôle est de mettre des mots en place, de construire des phrases pour aller jusqu’à la limite de ce qu’il est possible de dire et d’exprimer mais aussi et surtout de mettre en place des mots et des phrases pour montrer ce qu’il y a en deçà de cette limite Et c’est là que le bleu intervient. A mi-chemin entre les dieux et nous, situé quelque part au-delà du langage, il est cette clé qui permet de laisser de l’espace, comme un jeu qui fait que le monde change parce qu’il est vivant. Et voilà comment Jean-Michel Maulpoix parle de ce bleu présent partout dans toute son œuvre
« S’il n’est point d’âme ni de principe, au moins existe-t-il ce bleu, toujours prêt à s’entrouvrir dans la grisaille des jours, offert à quiconque et pour rien, telle la paume d’une main vide, et telle une promesse dont chacun doit savoir qu’elle est vaine »
Gratuit, à portée de main, le bleu reste à disposition encore faut-il savoir le voir sachant qu’il est impossible de le conserver. Mais le poète est là pour ça
L’instinct de ciel est un autre recueil qui est publié à la suite de Une histoire de bleu. Le bleu est bien, comme chacun le sait, la couleur du ciel. Le regard est un sens que Jean-Michel Maulpoix convoque souvent dans ses poèmes qu’ils soient en prose ou non. Le travail du poète est un travail sans fin, toujours à recommencer, il lui faut toujours mettre en phrase ce qui échappe aux mots. Difficile voire impossible. Et c’est cette impossibilité qui fait que tous, nous avons une part de rêve en nous. Mais cette part ne trouve jamais à se rassasier. Et c’est bien ce qui est l’essence de la vie, ce qui est la caractérise. C’est notre première condition d’hommes finis. « Pourquoi nos ailes sont-elles cousues à l’intérieur, sous la doublure blanche de la peau ? » Nous savons rêver mais nous ne savons pas voler, condamnés que nous sommes à rester sur terre avec nos mots, nos imperfections, nos impossibilités.
Jean-Michel Maulpoix n’a pas fini de nous emmener aux limites, aux bords, aux frontières du discours et des mots. Et il n’a pas encore fini de nous parler de « ce curieux désir que nous avons du ciel, de l’amour et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher des mains » Il y a quelque chose qui échappe à nos mains qui tiennent peut-être un crayon ou un stylo. La poésie est ce travail, cet artisanat qui se fait avec un crayon tenu dans la main, c’est l’outil, et des mots, ce sont les matières premières. Son prochain livre, Le jardin sous la neige , sortira en librairie le 3 mars 2023. En attendant, une dernière citation tirée de Une histoire de Bleu et reprise dans Rue des fleurs– c’est dire si elle a son importance pour l’auteur – : « Je me suis efforcé, durant le temps qui fut le mien, de faire tenir des mots ensemble. C’était mon métier, mon usure, ma douleur ». Métier, usure, douleur pour lui, découverte, ouverture, bonheur pour nous.
Brève bibliographie
-Rue des fleurs
Ed. Mercure de France (2022). 10€50. 88 pages
-L’hirondelle rouge
Ed. Mercure de France. (2017.) 13€. 128 pages
-Une histoire de bleu/L’instinct de ciel
Ed. Gallimard. (2005). 8€10. 256 pages
-Pour un lyrisme critique
Ed. José Corti. (2009). 19€ .264 pages
Jean-Michel Maulpoix et Pierre Grouix seront à Thionville le vendredi 17 mars à 19h à Puzzle 1 place André Malraux dans le cadre du festival Politeïa (Cliquer) dont le thème est « La Liberté »